Le chômage des jeunes, bombe à retardement
Les
chiffres du chômage sont, mois après mois, mauvais, très mauvais. On s’y
attendait, nous dit-on, ils risquent, ajoute-t-on du coté des experts, de se
dégrader encore dans les mois qui viennent. La faute à la crise ? sans
doute. Mais pas seulement. Le chômage, notamment celui des jeunes et des
seniors, semblent devenus constitutifs de notre société. Nous vivons avec
depuis des années. En 2004, 9,7% des jeunes de moins de 25 ans étaient au chômage.
Ils étaient 22% en 2011 et 24% aujourd’hui. Spécificité française ? pas du
tout. Les chiffres sont aussi mauvais, voire pire, bien pire, tout autour de
nous. Seuls l’Allemagne, les Pays-Bas et le Japon semblent y échapper avec des
taux inférieurs à 10%. La crise a même frappé très fort en Grande-Bretagne,
dont le chômage des jeunes a plus que doublé en moins de dix ans, atteignant
des niveaux comparables aux nôtres. Les pays nordiques que l’on nous donne si
souvent en exemple ont eux aussi connu une rapide dégradation de leurs statistiques
en ce domaine.
Un phénomène international
On l’a
compris, il s’agit d’un phénomène international qui touche tous les continents
et à peu près tous les pays. Reprenant des statistique du BIT, de la banque
mondiale et de l’OCDE, le magazine britannique The Economist a calculé que 290
millions de jeunes de 15 à 24 ans, soit près du quart de la jeunesse mondiale,
sont en dehors du système scolaire et sans emploi. C’est considérable et
inquiétant pour l’avenir.
On sait
que les jeunes connaissent traditionnellement plus de chômage que les plus
âgés. Pour plusieurs motifs : ils n’ont pas d’expérience professionnelle
et ont donc plus de mal à trouver un emploi, ils ne sont pas encore sûrs de ce
qu’ils veulent et peuvent faire et sont donc amenés à procéder par essais et
erreurs, ce qui les amène à changer plus rapidement d’emploi. Ils jouent, dans
de nombreuses économies un rôle de tampon en cas de difficultés : il est
plus facile de licencier un jeune sans grande compétence qu’un père de famille
qui a de l’expérience. Leurs emplois sont en général moins bien protégés. Aux
Etats-Unis, comme dans bien d’autres pays, les règles, notamment les
conventions signées avec les organisations syndicales, invitent les entreprises
à licencier en priorité, en cas de difficultés, les derniers recrutés, les plus
jeunes en font naturellement partie.
Tous
les systèmes qui visent à protéger les salariés en place, les obstacles aux
licenciements de toute nature contribuent à rendre plus difficile l’entrée sur
le marché du travail des plus jeunes qui souffrent tout à la fois de
l’allongement des périodes d’essai qui les accompagnent en général et de la pusillanimité
des employeurs qui hésitent à augmenter leurs effectifs de crainte de ne
pouvoir les ajuster rapidement à la demande en cas de difficultés.
Toute
ces bonnes raisons expliquent bien que les jeunes soient plus souvent en
chômage que le reste de la population, pas qu’il soit si important. D’autres facteurs entrent en ligne de compte.
Certains démographiques. Dans nombre de pays en développement, des phénomènes
démographiques : la population a explosé et l’économie n’est tout
simplement pas en mesure d’accueillir tous ces jeunes, de leur offrir un
emploi. C’est, notamment, le cas au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, région
dans laquelle le chômage des jeunes dépasse les 40%. Un chiffre qui n’est pas
près de se résorber lorsque l’on sait que 10 millions de jeunes devraient
arriver sur le marché du travail en Afrique du Nord d’ici à 2020. Même en Asie
orientale, le taux de chômage des jeunes en 2011 était 2,8 fois plus élevé que
celui des adultes.
Ailleurs,
la faible croissance de l’activité économique a durement touché les jeunes.
Mais d’autres facteurs ont joué.
Le
secteur industriel, gros employeur de main d’œuvre il y a encore quelques
années, a vu ses effectifs fondre sous le coup de gains de productivité
élevés : on a besoin de moins en moins de monde dans les usines pour
fabriquer les mêmes quantités de produits, de transfert d’une partie des
activités industrielles vers de nouvelles régions.
L’inadéquation
entre les compétences acquises dans le système scolaire et celles demandées par
les entreprises est également en cause. Ce problème est endémique et
probablement pour partie insoluble : les compétences que demandent les
entreprises évoluent si rapidement que les systèmes scolaires n’ont pas la
capacité de suivre et encore moins d’anticiper. Il a fallu des années pour
qu’ils trouvent le moyen de former des informaticiens. Ceux qui avaient, dans
les années soixante-dix, les compétences travaillaient dans les entreprises et
n’avaient pas envie de devenir profs. Mais le chômage aggrave cette
inadéquation : pour y échapper beaucoup de jeunes poursuivent leurs
études. Parce qu’ils le font sans conviction, par obligation plus que par
désir, ils s’orientent mal, vont vers des formations qui ne les préparent pas
aux compétences que recherchent les entreprises. Plus grave même, ces études
trop longues contribuent au chômage : elles créent de l’insatisfaction.
Comment peut-on être satisfait d’un emploi mal payé lorsque l’on a fait
plusieurs années d’études supérieures ?
Une bombe à retardement
Ce chômage massif des jeunes est une véritable bombe à
retardement. Et ceci partout.
Dans les pays du Sud, mais pas seulement, il crée des
risques d’instabilité politiques. Ce sont en général les jeunes qui se
révoltent. Il incite à l’émigration alors même que les pays du Nord font tout
pour la limiter. D’où la multiplication des sans papiers, des salariés qui ne
sont pas déclarés et font concurrence aux salariés locaux.
Dans les pays du Nord, il annonce une croissance
ralentie :
- les jeunes qui n’ont pas de travail restent plus longtemps chez leurs parents, voire leurs grands-parents comme on l’observe aujourd’hui en Italie ou en Espagne. Parce qu’ils n’en ont pas les moyens, ils ne cherchent pas à s’installer. Ils réduisent donc la demande de logements,
- les jeunes dont les débuts de carrière sont difficiles, qui vont de stage en stage, ont du mal à acquérir des qualifications dont l’économie a besoin. D’où ce paradoxe que l’on souligne si souvent : les entreprises qui veulent recruter ne trouvent pas les compétences qu’elles recherchent alors qu’il y a tant de chômage. Il ne faudrait pas croire que ce problème est spécifiquement français. Le cabinet McKinsey a étudié le phénomène dans 9 pays (les Etats-Unis, le Brésil, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Inde et le Mexique) qui montre que 43% des employeurs se plaignent de ne pas trouver sur le marché du travail les compétences qu’ils recherchent,
- L’impact d’un chômage prolongé en tout début de carrière se fait longtemps sentir, il laisse des traces, des cicatrices (« scarring » disent les économistes anglo-saxons pour décrire ce phénomène). Sur les revenus, de nombreuses études l’ont montré, les mêmes jeunes au début de carrière difficile ont en général, des revenus plus faibles que leurs collègues qui ont commencé dans de meilleure conditions. Sur le chômage. Plusieurs études ont montré que le chômage en début de carrière était un bon prédicteur des périodes de chômage ultérieures. Or qui dit revenus plus faibles et périodes de chômage prolongées dit moindre consommation et donc frein à la croissance.
- Plusieurs études ont également montré qu’un chômage des jeunes massif et prolongé contribue au développement des inégalités et à la création d’un marché du travail dual avec d’un coté les « élus » qui font de belles carrières, obtiennent des augmentations de salaires régulières et, de l’autre, ceux qui restent au plancher condamnés à aller d’emploi précaire en emploi précaire. Et cela aussi est un frein à la croissance.
Le chômage des jeunes a d’autres effets qu’il est plus difficile de quantifier. Il a un double impact sur le système scolaire. D’un coté, comme je le disais un peu plus haut, il gonfle les effectifs dans l’enseignement supérieur et contribue sans doute à sa dégradation en multipliant les étudiants qui ne s’inscrivent en fac que faute de mieux. Par ailleurs, il contribue au décrochage scolaire : à quoi bon faire des efforts à l’école si les bons élèves restent sans emploi ?
Le chômage des jeunes participe également au développement
de l’économie informelle, surtout s’il dure longtemps : ce n’est pas parce
que l’on n’a pas d’emploi que l’on ne cherche pas à gagner d’une manière ou
d’une autre de l’argent. Ce qui peut mener à des emplois non déclarés mais
aussi à certaines formes de violence ou de délinquance.
Autre facteur difficile à mesurer : le désengagement du
monde du travail classique dont témoigne l’explosion du nombre de jeunes qui
s’orientent vers des carrières non conventionnelles, notamment dans des
activités de type artistique, musique, théâtre… ce dont témoigne la progression
régulière du nombre d’intermittents du spectacle ou d’artistes affiliés aux
organismes spécialisés. Tant qu’à alterner régulièrement périodes de travail et
périodes de chômage, autant le faire dans des activités choisies, qui
intéressent et donnent le sentiment de se réaliser.
Que faire ?
On ne peut pas dire que cette question soit négligée. Les
politiques ont conscience de la gravité de la situation. François Hollande a à
plusieurs reprises indiqué que c’était l’une de ses priorités et deux des
composants de sa boite à outils, les emplois d’avenir et les contrats de
génération, ont été conçus pour réduire ce chômage.
On sait que ces instruments ont du mal à démarrer. La crise
y est sans doute pour beaucoup : les associations et collectivités locales
appelées à recruter les emplois d’avenir connaissent trop de difficultés pour
s’engager massivement dans un programme qui leur permet pourtant d’employer des
salariés à un coût proches de ceux d’un travailleur chinois, l’essentiel de la
rémunération étant versé par l’Etat. Mais est-elle la seule responsable ?
François Hollande n’est pas le premier à s’être engagé dans
ce combat. D’autres, à droite comme à gauche, ont fait de même ces dernières
années. On se souvient des programmes de pré-retraite, des Contrats Nouvelle
Embauche, du CPE, de Villepin, des Emplois jeunes de Jospin. Ces programmes ne
se ressemblent pas forcément dans le détail, mais tous reposent sur l’une ou
l’autre de ces trois idées :
- la première est que les seniors en restant dans l’emploi bloqueraient l’entrée massive des plus jeunes, d’où l’idée des préretraites, de la retraite à soixante ans ou, plus récemment et de manière plus subtile, cette notion de contrat de génération qui tente de lutter tout à la fois contre le chômage des seniors et celui des plus jeunes,
- la seconde est qu’un coût du travail trop élevé serait à l’origine des difficultés des plus jeunes, d’où toutes ces mesures qui visent à le réduire en exonérant les entreprises qui recrutent de jeunes salariés de cotisations sociales ou qui amènent l’Etat à financer jusqu’à 75% (emplois d’avenir) ou 80% (emplois jeunes) de ces salaires au niveau du SMIC,
- la dernière est que les employeurs hésitent à recruter des jeunes de peur de s’engager sur le long terme, d’où l’introduction dans la plupart de ces programmes de mesures qui facilitent le licenciement, autorisent, comme le CPE, le licenciement sans motifs…
Or,
aucune de ces trois hypothèses ne va de soi. Prétendre que les seniors prennent
l’emploi des plus jeunes est faux. Pour deux motifs :
- d’abord parce que les emplois que les uns et les autres occupent ne sont pas équivalents. Il est bien rare qu’un jeune remplace un senior, ils n’ont ni la même formation ni les mêmes compétences ni, bien sûr, la même expérience,
- ensuite, parce qu’une entreprise qui se sépare d’un senior le fait souvent pour réduire ses effectifs, comme on le voit dans tous ces plans sociaux qui comportent des clauses de départ anticipé pour les plus âgés.
Expliquer
que le coût du travail est un obstacle au recrutement des plus jeunes n’est pas
non plus complètement satisfaisant. C’est moins le niveau des salaires qui
bloque les recrutements que l’absence de perspectives de développement. Un
employeur assuré de la croissance de son activité dans les mois à venir est
enclin à recruter même à des niveaux de salaire relativement élevés.
Prétendre
enfin que les employeurs hésitent à recruter de peur de ne pouvoir se séparer
de leurs salariés en cas de difficulté est tout simplement oublier que chaque
jour des dizaines de milliers d’entreprises licencient du personnel. Et
qu’elles le font sans véritable difficulté.
Les
programmes conçus pour lutter contre le chômage des jeunes présentent en fait
deux faiblesses : ils ne peuvent pallier l’absence de demande dans les périodes
de très faible croissance ; ils ne traitent pas complètement les problèmes
structurels de l’emploi des jeunes qui sont, rappelons-le, liés, d’une part, à
la difficulté de l’appariement d’un jeune et d’un emploi et, d’autre part, au
décalage entre compétences requises et compétences offertes. Faute de savoir
comment relancer la croissance, c’est du coté de ces deux facteurs qu’il
faudrait agir en accompagnant mieux les jeunes demandeurs d’emploi dans la
recherche d’un premier emploi et en organisant des formations techniques qui
répondent aux demandes des employeurs alors qu’aujourd’hui ces formations sont
le plus souvent conçues pour répondre aux demandes des jeunes ou aux capacités des systèmes de formation. Ce ne sont pas
les entreprises qui courent après les journalistes ou les spécialistes du
marketing de luxe, mais les jeunes qui se précipitent vers ces formations
séduisantes (quel plus beau métier que journaliste ?) mais sans véritables
débouchés que multiplient les spécialistes de la formation.