La reprise de François Hollande
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François
Hollande a donc annoncé, lors de son allocution du 14 juillet, que la reprise
était là. Ses propos ont surpris, on a parlé de méthode Coué, d’optimisme. Ils
ont d’autant plus surpris que les prévisions de l’OCDE, du FMI, de la
Commission Européenne et de la plupart des instituts de conjoncture ne disent
rien de pareil.
Les
prévisions des économistes étant ce qu’elles sont, souvent guère plus fiables
que celles des météorologistes sur plusieurs jours, il n’est pas impossible que
François Hollande ait raison contre tous. Disons qu’il a, au mieux, pris un
risque sérieux.
Ce
pourrait être le risque que prend celui qui se sent noyer et s’accroche à la
moindre branche d’arbre pour se maintenir à flot mais au vu ce que l’on connaît
de François Hollande, le sang-froid dont il fait preuve par ailleurs, cela
paraît peu probable ; il s’agirait donc plutôt d’un risque calculé de la
part d’un politique qui, faut-il le rappeler, ne nous a pas habitué à faire des
promesses irréalisables.
Un
risque qui rappelle celui qu’il a pris à propos du chômage lorsqu’il a, à
plusieurs reprises, annoncé l’arrêt de sa progression avant la fin de l’année.
Ce qui fait penser qu’il s’agit d’une stratégie mûrement réfléchie. Mais
regardons, d’abord, ce qui l’autorise à cet optimisme.
Des indicateurs qui hésitent
François Hollande n’appuie évidemment pas ses prévisions
optimistes sur du vent. Mais sur quelques indicateurs qui ont oscillé ces
derniers mois dans la bonne direction. C’est notamment le cas de l’indice de la
production industrielle qui a rebondi de 2,6% en avril, une bonne performance,
meilleure que celle de nos voisins mais qu’il convient de mettre en
perspective : il fait suite à de nombreux chiffres médiocres et n’a pas
été confirmé en mai. François Hollande avait-il quand il a parlé des premiers
retours de l’INSEE sur de bons chiffres en juin ? C’est possible. Reste
que rien n’est moins sûr. On peut, comme le suggère François Hollande se
trouver à un point de bascule, au moment où les indicateurs se retournent, on
peut également avoir affaire à une variation mensuelle sans grande
signification, liée à la reconstitution des stocks à laquelle doivent, même en
période de récession, procéder les industriels.
Faut-il ajouter que serions nous, même dans l’hypothèse la
plus favorable, celle d’un retournement rien ne dit que cette reprise serait
annonciatrice d’une croissance vive. Nous pourrions très bien nous retrouver
dans la situation des Japonais qui ont vécu pendant plusieurs années une sorte
de croissance atone.
François Hollande ne s’appuie pas seulement sur cet indice
de la production industrielle, il a aussi cité le chômage et la consommation. Il
aurait pu aussi parler des exportations qui se sont redressées en avril avant
de retomber en mai. Ce que l’on disait pour la production industrielle vaut
pour ces autres indices. Il y a donc bien eu un frémissement, mais il est
difficile de les interpréter.
Pourquoi donc François Hollande a-t-il pris le risque
d’annoncer la reprise dans ces conditions ? car risque il y a et
doublement si l’avenir ne confirme pas ses prévisions :
- risque de discréditer la parole présidentielle,
- risque de passer pour incompétent en matière économique alors qu’on le crédite d’être compétent et mieux informé de ces questions que ses prédécesseurs.
Un mot de son allocution du 14 juillet offre, je crois, une
clef : confiance. Il a insisté sur son rôle dans la reprise tout comme il
a dénoncé le pessimisme, ce pessimisme dont nous parlions la semaine dernière
et qui interdit de se projeter dans l’avenir, d’investir et qui est donc un
frein à la croissance.
Une prophétie auto-réalisatrice ?
C’est un thème qu’il avait d’ailleurs annoncé dans sa
conférence de presse de mai dernier lorsqu’il avait dit : « sur le
plan psychologique, il est très important que les Français se disent « ça
peut repartir » ; car la confiance ramènera la consommation et
l’investissement. » Et c’est à cela que doit servir cette déclaration sur
la reprise : modifier la perception que les Français, salariés et chefs
d’entreprise, producteurs et consommateurs, ont de la situation économique. Il
s’agit, au fond, de mettre en place un mécanisme de prophétie
auto-réalisatrice : je prévois que la situation va s’améliorer, je prends
des mesures qui vont de fait contribuer à améliorer la situation :
j’anticipe des investissements, je ne ralentis pas ma consommation… C’est un
mécanisme bien connu dont on a analysé les effets dans de nombreux domaines,
dans celui de l’inflation, notamment, mais aussi dans celui de pénuries de
toutes sortes (on annonce une pénurie, pour s’en protéger, chacun fait des
provisions contribuant ainsi à créer une pénurie qui n’aurait pas autrement eu
lieu). Les pédagogues ont montré la puissance de ce qu’ils appellent l’effet
pygmalion et qui n’est rien d’autre qu’une prophétie auto-réalisatrice, les
géographes ont montré son rôle dans la construction des espaces économiques et
dans l’évolution des quartiers. C’est donc un concept puissant. Reste à savoir
s’il peut s’appliquer dans ce contexte et si la parole présidentielle est le
mieux armée pour l’initier.
Il semble que les prophéties auto-réalisatrices aient joué
un rôle dans le développement industriel rapide d’Israël. C’est en tout cas
l’hypothèse de Dov Even, un économiste israélien qui explique le succès de ce
pays sur le plan économique par la conviction de ses habitants qu’ils
réussiraient cette industrialisation. Cette conviction les aurait incités à
créer des entreprises, à investir dans l’industrie plutôt que dans d’autres
activités. Il associe cela à ce qu’il appelle l’effet golem ou à l’effet
messianique qui sont d’autres noms de la prophétie adaptés à la culture locale.
Ce qui a été vrai d’Israël devrait donc pouvoir l’être
d’autres pays et notamment de la France. Reste à savoir s’il suffit de la
parole présidentielle…
La parole présidentielle
Peut-on attendre l’émergence de cet effet de la parole
présidentielle. François Hollande le pense manifestement. Et il fait preuve en
cela d’une certaine originalité. La parole politique, et notamment la parole
présidentielle, relève plutôt de ce que le philosophe britannique Austin
appelait le discours performatif. Il entendait par là, ces phrases qui sont
aussi action, qui du fait même qu’elles sont prononcées changent le monde. Le
titre du livre dans lequel il présente cette thèse le dit clairement :
« quand dire c’est faire » (en anglais : « How to do things
with words »). Lorsque le maire dit à un couple : « je vous
déclare unis par les liens du mariage », il change effectivement le statut
des deux personnes en face de lui : ils étaient quelques instants plus tôt
célibataires, les voilà, du fait même de cette déclaration mariés.
La parole présidentielle a cette force parce que prononcée
par le Président auquel les institutions donnent justement ce pouvoir. Certains
en ont d’ailleurs abusé, comme Nicolas Sarkozy qui a fini par confondre parler
et agir. François Hollande s’expose à un autre risque. Pur que la reprise
qu’ils annonce devienne réalité, il ne suffit pas qu’il le déclare, il faut
encore que les agents économiques le croient, lui fassent confiance, pensent
qu’il sait mieux qu’eux, qu’il est mieux informé… Or, ce n’est pas gagné.
Ce n’est pas impossible comme le montre son engagement sur
le chômage. Les chiffres du retournement ne sont pas encore là, mais certains
commencent à y croire, notamment du coté de l’opposition, suffisamment pour dénoncer
emplois aidés et artifices. Critique qui fait sourire quand on sait que tous les
gouvernements depuis trente ans ont utilisé ce type de mesure pour réduire le
chômage et qui est un peu absurde : mieux vaut avoir un emploi, même aidé,
que rien du tout. Ne serait-ce que pour trouver un emploi ultérieurement. De
nombreuses études ont montré qu’il était d’autant plus difficile de se faire
recruter que l’on était resté plus longtemps au chômage. Les jeunes gens qui
occupent ces emplois d’avenir n’auront pas ce handicap lorsqu’ils en
chercheront un dans le secteur privé. Ce n’est pas négligeable !
Ce qui devrait se produire avec le chômage peut-il se
répéter avec la croissance ? Ce n’est pas certain. En affirmant haut et
fort sa volonté de voir un retournement de la courbe du chômage d’ici à la fin
de l’année, François Hollande s’adressait autant aux responsables en charge
dans les associations, dans les ministères, dans les collectivités locales
qu’aux Français. Chaque fois qu’il insistait sur cet engagement il réaffirmait
avec force à l’intention de tous ceux qui doivent faire vivre cette politique sa
volonté de voir réussir les mesures prises par le gouvernement. Pas question de
trainer des pieds, de lambiner, de ratiociner, de multiplier les obstacles de
toutes sortes comme savent si souvent faire les administrations ! Cela lui
était d’autant plus facile qu’il a sur eux tous une sorte d’autorité, directe,
hiérarchique lorsqu’il s’agit de ministres et de fonctionnaires, morales
lorsqu’il s’agit d’élus de collectivités territoriales.
Il en va malheureusement autrement avec la croissance. La
parole présidentielle n’a, dans ce domaine, de poids que si elle relayée par
d’autres paroles d’experts, d’économistes, d’entrepreneurs qui confirment son
diagnostic. Il n’est pas nécessaire qu’ils soient une majorité. Il suffit qu’ils
soient assez nombreux pour que s’installe une controverse, que ceux qui
prennent des décisions économiques, industriels qui investissent, consommateurs
qui dépensent… puissent hésiter, puissent, s’ils ont assez confiance dans leurs
produits ou dans leur situation, prendre des risques.
Cette controverse s’installe lentement. L’opinion a pris
conscience que certains indicateurs étaient positifs, ce qu’elle ignorait avant
l’intervention de François Hollande. Les économistes commencent de dire que la
France est sortie de la récession en juin. Il suffirait que dans les mois qui
viennent d’autres indicateurs soient positifs pour que la perception de la
situation change. On peut les attendre du coté du chômage, notamment du chômage
des jeunes. Les mesures gouvernementales, emplois avenir et autres, devraient
prendre leur plein effet à la rentrée, en septembre, quand le ministère de
l’Education nationale recrutera dix mille jeunes, quand les villes qui ont,
comme Paris, choisi de modifier les horaires scolaires dés cette rentrée
recruteront des jeunes pour animer les activités.
D’autres signes sont prometteurs. L’opinion des industriels
sur le climat des affaires s’améliore. Ces mêmes industriels pensent également
que la compétitivité de l’industrie française commence à faire des progrès. Tout
cela peut contribuer à détendre l’atmosphère et à rendre à la parole politique
un peu de la force qu’elle a perdu ces dernières années et, notamment, ces
derniers mois.
Est-ce que cela suffira à amorcer la reprise ? il
faudrait pour cela que la situation économique internationale évolue, parce que
pour l’heure la reprise est là aux Etats-Unis, mais ailleurs on en est loin. En
Asie, les économies hier si dynamiques font du surplace, voient leur croissance
ralentie. C’est le cas de la Chine et de l’Inde. Ce l’est également en Amérique
latine du Brésil. Quant à l’Europe, bien malin qui peut dire quand elle
redémarrera. Lorsque l’on parle de la situation économique de l’Europe, on
pense d’abord à l’Allemagne qui risque de souffrir du ralentissement dans les
pays émergents. D’autres pays pourraient surprendre, notamment ceux d’Europe du
Sud qui ont traversé, qui traversent une crise très grave mais dont l’industrie
commence à relever la tête. Je pense notamment à l’Espagne dont les industriels
se trouvent aujourd’hui dans une situation très originale : une main
d’œuvre bon marché du fait de la crise, un marché intérieur dévasté du fait de
la même crise qui les force à se tourner
vers l’exportation et, d’abord, en Europe. Ces pays pourraient très bien sortir
de la crise renforcés et devenir des concurrents redoutables pour nos
industries. Surtout si celles-ci n’investissent pas pour construire l’avenir. Mais,
pour l’instant, on ne peut attendre d’eux qu’ils tirent la croissance.
Un pari à double détente
En annonçant la reprise alors que nul n’en voit encore
vraiment les signes, François Hollande a pris un vrai risque. S’il l’a fait
alors qu’on le dit plutôt prudent, c’est qu’il a besoin d’aborder la rentrée et
2014 avec quelques succès dans sa gibecière. La réforme des retraites à la
rentrée risque de susciter manifestations, protestations et de mettre beaucoup
de monde dans la rue, et ceci à quelques mois d’échéances électorales qui
s’annoncent particulièrement difficiles pour les partis de gouvernement et,
notamment, pour le PS. S’il veut passer ces épreuves sans trop de dégâts, s’il
veut rebondir après, il faut qu’il puisse mettre à son crédit des réussites sur
le plan économique, sur le chômage, la croissance, la productivité. Que ses
électeurs puissent se dire :sa politique est rude, mais du moins
porte-t-elle ses fruits. Sinon, il ne lui restera pour sauver les meubles que
l’impuissance de l’UMP enferrée dans ses conflits de chefs et l’inquiétude que
suscite toujours, mais chaque jour un peu moins, le Front National. C’est peu…
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