Enfin de la lumière au bout du tunnel?
Explosion
du chômage, pessimisme des chefs d’entreprise, chiffres de la croissance en
berne, décrochage industriel dont témoignent le recul de nos exportations,
dégradation de la note de la BNP-Paribas du fait de la situation économique de
la France. Les raisons de désespérer sont multiples et solides. On les connaît
bien et je n’y reviendrai pas préférant, ce matin, mettre l’accent sur des
phénomènes dont on parle moins et qui témoignent tout à la fois de la
résilience du tissu économique français qui semble d’être engagé dans une profonde
transformation et d’une possible amélioration de la situation économique.
Comme
toute transformation celle-ci est douloureuse et passe par la disparition de
toute une série d’activités et d’entreprises qui ne sont plus compétitives, qui
ne savent pas résister à la dureté des temps ou à la concurrence. Mais à coté
de ces disparitions, il y a les germes du renouveau. Le cas de l’automobile est
frappant. On sait que cette industrie est capitale pour notre économie, elle représente, tous
secteurs confondus, constructeurs, distributeurs, équipementiers, à peu 10% de
l’emploi en France. On connaît les difficultés de Peugeot, celles de Renault,
difficultés liées pour beaucoup à l’effondrement des ventes qui n’est pas près
de s’achever, mais à coté de cela, il y a les bons résultats des
équipementiers, des sociétés qui fabriquent des composants, Faurencia, Plastic
Omnium… qui profitent de l’explosion mondiale de ce marché. Il y a également
l’émergence, difficile et lente, mais prometteuse, du véhicule électrique qui
offre à de nouveaux acteurs la possibilité de s’implanter sur ce marché, je
pense à Bolloré qui après avoir obtenu le marché des 3000 véhicules Autolib,
propose de louer aux Parisiens ses voitures à raison de 330€ par mois auquel il
faudrait ajouter 200€ pour l’assurance, la charge électrique et le parking
gratuit. Je ne sais s’il réussira mais on voit là se dessiner de nouveaux modes
de consommation significatifs de cette transformation profonde de notre société
industrielle qui s’esquisse à l’occasion de cette crise.
Transformation
qui touchera un grand nombre de secteurs, d’entreprises qui tâtonnent
aujourd’hui mais ont entrepris de s’adapter à un monde nouveau. Ce sont
quelques uns de ces phénomènes souterrains, invisibles à qui a les yeux fixés
sur les chiffres de la croissance et du chômage, phénomènes qui incitent à
relativiser le pessimisme ambiant que je voudrais vous présenter ce matin.
Les entreprises ont choisi de s’adapter
Les entreprises confrontées à la crise, qu’elles en
souffrent directement ou pas, ne sont évidemment pas restées inertes. Beaucoup
ont bougé, ont choisi de changer, de s’adapter à un monde différent, plus
difficile. Une enquête que l’INSEE vient tout récemment de publier permet de le
mesurer. Elle indique qu’à peu près la moitié des entreprises de plus de dix
salariés du secteur marchand ont innové de 2008 à 2010, c’est-à-dire en plein
cœur de la crise. Ces innovations ont pris plusieurs formes : innovations
de produits, innovations d’organisation. Davantage de sociétés, précise
l’INSEE, ont innové entre 2008 et 2010 qu’au cours des trois années
précédentes, ce qui veut dire que la crise a été un facteur incitatif.
Les entreprises ont choisi de s’adapter et pas seulement en
réduisant leurs effectifs, mais aussi en modifiant leurs manières de faire.
C’est signe que l’économie est résiliente, capable d’adaptation. Ce qui est une
bonne nouvelle.
Ces entreprises sont d’autant plus résilientes que 35% de
ces innovations concernent l’organisation et les processus de prise de
décision, ce qui, en d’autres mots, doit leur permettre d’être plus réactive.
Ce qui est une nécessité en période de crise.
A l’inverse de l’impression que peuvent donner les enquêtes
sur l’optimisme des chefs d’entreprise, ces innovations sont le plus souvent
offensives : il s’agit de gagner des parts de marché, de s’installer à
l’étranger comme le souligne l’enquête de l’INSEE :
Les sociétés investissant dans l’innovation, quel qu’en soit le type, ont essentiellement pour objectif d’augmenter leurs parts de marché, ou d’améliorer leurs produits. (…) Parmi les sociétés engagées dans des innovations technologiques, 58 % en attendent d’augmenter leurs parts de marché ou de conquérir de nouveaux marchés ; 55 % souhaitent élargir la gamme de leurs produits et 48 % en améliorer la qualité.
La qualité est également un objectif fort des sociétés innovant en matière d’organisation : 54 % souhaitent améliorer la qualité de leurs produits et 47 % désirent réduire leurs délais de réponse aux clients. Quant aux sociétés innovant en marketing, 62 % espèrent ainsi augmenter ou maintenir leurs parts de marché. (INSEE).
Naturellement, tout cela ne va pas sans difficultés,
notamment en matière d’investissements : 28% des entreprises qui innovent
disent avoir rencontré des problèmes de financement. C’est à cela que devrait
servir la banque publique d’investissement. Et c’est à cela qu’elle servira si
elle n’est pas prise au piège des urgences politiques et ne se trouve pas dans
l’obligation de sauver des canards boiteux.
Les entreprises ont recommencé d’embaucher… timidement
Autre indice plutôt rassurant : les derniers chiffres
de l’Urssaf sur l’emploi. On sait que le chômage explose. Des usines ferment,
des entreprises disparaissent, créant de grosses poches de chômage qui frappent
l’opinion, mais celles qui ne s’en tirent pas trop mal, celles qui innovent ont,
semble-t-il, repris timidement leurs embauches.
Le nombre de déclarations d'embauche de plus d'un mois de l’ensemble des secteurs hors intérim est globalement stable en septembre (+ 1,1 %) et enregistre une hausse de 5,0 % sur 3 mois. Ainsi, la tendance à la baisse observée depuis mi 2011 semble s’être interrompue à l’été et la baisse annuelle n’est plus que de 7,3 % (-9,9% le mois précédent). (baromètre économique de l’Acoss, octobre 2012).
Tout cela est bien fragile mais fait penser que l’on a
peut-être passé le cap le plus difficile. Beaucoup, dans les mois qui viennent,
va dépendre des réactions des Français aux hausses d’impôts. Vont-ils réduire
leur consommation ? la maintiendront-ils ? tout dépendra, mais on l’a
déjà dit, de l’impact réel de ces hausses de la fiscalité sur les revenus de
ceux qui consomment le plus : les classes moyennes. S’il est faible, voire
inexistant, comme le dit le gouvernement, ce sursaut se confirmera. S’il est
fort, comme l’affirme l’opposition, il en ira tout autrement encore que les
ménages français qui épargnent beaucoup et sont peu endettés ont des marges
importantes, bien plus que celles de nos voisins.
Des signes encourageants en Europe
Beaucoup va naturellement dépendre de nos voisins et
clients. Vont-ils se sortir de la récession ? ou vont-ils nous entraîner
avec eux dans la spirale descendante ?
La Grande-Bretagne vient de publier de bons chiffres qui
indiquent qu’elle sort enfin de la récession. Est-ce que ce sera le cas de
l’Espagne ? du Portugal ? de l’Italie ? rien, pour l’instant ne
le suggère, mais les efforts que ces pays ont accompli, l’assainissement des
comptes engagé dans la zone euro devraient permettre d’assouplir, dans les mois
qui viennent, les objectifs budgétaires. C’est ce qu’a déjà fait l’Italie ces
dernières semaines.
Rien de pareil en Espagne, pour l’instant, même si on
devine, quand on regarde à la loupe, quelques améliorations : les dépôts
dans les banques ont pour la première fois depuis six mois progressé dans les
banques espagnoles. C’est une nouvelle encourageante : cela veut dire que
les Espagnols ont de nouveau confiance dans leurs banques et, surtout, que
celles-ci pourront demain, avec un peu de chance, baisser les taux d’intérêts
sur les prêts qu’elles proposent aux entreprises locales leur donnant ainsi la
possibilité d’emprunter pour se développer. Du coup on commence à entendre des
financiers annoncer la fin du tunnel. Le Financial Times citait il y a quelques
jours, la responsable d’un fonds d’investissement disant :
« Les marchés détestent l’incertitude et nous avons maintenant un modèle de ce à quoi pourra ressembler le monde demain. Nous sommes de retour dans le monde des certitudes. Nous avons passé le plus difficile (…) mais avec quelqu’un d’aussi puissant que Draghi nous avons fait beaucoup de chemin. »
Les salaires résistent à la crise
La bonne tenue des rémunérations en France mérite également
attention. A l’inverse de ce que l’on pouvait craindre et de ce qui s’est passé
ailleurs, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Espagne, la crise et
le chômage ne se sont pas traduits en France par une baisse des salaires.
On peut hésiter sur l’interprétation.
Ce peut être, comme le suggère Patrick Artus, l’économiste
de Natexis qui a attiré l’attention sur ce phénomène dans une de ses récentes
notes, le fait de nos institutions et de modes de rémunérations rigides qui
interdisent les baisses de salaires dans les périodes difficiles.
On peut également y voir le signe de ce que beaucoup
d’entreprises s’en sortent correctement et n’ont donc pas de motif de réduire
leur masse salariale. S’il est vrai qu’il est difficile de réduire celle-ci de manière
autoritaire, il est également vrai que la structure des rémunérations a, dans
les entreprises privées, beaucoup évolué ces dernières années. La plupart
comprennent aujourd’hui une part variable assise sur les performances de
l’entreprise, son chiffre d’affaires… si celui-ci avait diminué, les salaires
auraient mécaniquement suivi. Or, ce n’est apparemment pas ce qui s’est
produit.
On peut encore une autre explication : si les
entreprises n’ont pas fait plus d’efforts pour comprimer leur masse salariale
c’est que du fait de leurs évolutions le poids de celle-ci dans leurs coûts a
diminué. Et c’est sans doute ce qui s’est produit : du fait de la crise,
des craintes pour l’avenir, les entreprises n’ont pas recruté quand elles
pouvaient en avoir besoin, elles se sont séparées d’intérimaires. Elles ont
demandé à leurs salariés de faire plus d’efforts, de travailler plus, d’être
plus productifs. Il est difficile dans ce contexte de réduire les salaires.
Tout au plus peut-on éviter de les augmenter. Et c’est probablement ce qui
s’est passé.
Quel s’en soit le motif, cette bonne tenue des rémunérations
est plutôt une bonne nouvelle pour qui s’inquiète de la consommation :
rien ne serait pire pour celle-ci que des baisses de salaires.
La naissance d’un marché du travail européen
Un autre facteur qui pourrait à terme modifier profondément
notre environnement économique est la création d’un marché du travail européen.
Du fait de la crise, nous en approchons. On voit aujourd’hui des Portugais, des
Espagnols, des Irlandais, des grecs, émigrer, aller s’installer ailleurs pour
échapper au chômage chez eux. L’Europe, la France, l’Allemagne, les pays
nordiques, sont leur première destination puisqu’ils ont librement accès au
marché du travail.
On dira : c’est un peu surprenant. Comment l’arrivée
d’immigrants, seraient-ils européens peut-elle contribuer à améliorer la
situation alors que nous connaissons un chômage massif qui ne fait que
croître ? la réponse est à chercher du coté du marché du travail et de ses
imperfections. Alors même que le nombre de chômeurs augmente, le nombre d’emplois
qui ne trouvent pas preneur reste important. Certains métiers sont en train de
disparaître faute de personnel. C’est, dans le bâtiment, le cas des couvreurs.
Mais on sait également combien de régions manquent de médecins, d’infirmières…
Or, ce sont autant d’imperfections qu’une plus grande
mobilité des travailleurs au sein de l’Europe pourrait réduire. Le travailleur
espagnol chassé de chez lui par la crise acceptera plus volontiers de devenir
couvreur que d’autres. Le médecin grec ou portugais acceptera de s’installer
dans des régions que délaissent leurs collègues français ou allemands.
Les obstacles à la mobilité en Europe restent importants, le
premier est, bien sûr, la langue, mais la crise devrait accélérer la création
de ce marché européen de l’emploi. Et plus le marché est vaste, plus les
travailleurs sont mobiles plus il y a de chances que les postes orphelins
trouvent preneur. Avec tout ce que cela suppose d’effet d’entraînement sur le
reste de l’économie.
Des indices épars, fragiles, mais…
Ce sont des indices épars que j’ai réunis dans
cette chronique pour suggérer que nous étions peut-être en train de voir le
bout de tunnel, un peu de lumière tout au bout. Tout cela est bien sûr très
fragile, peut à tout moment être démenti, mais cela repose, pour l’essentiel,
sur des changements institutionnels qui ont consolidé la construction
européenne, l’ont rendue tout à la fois plus solide et plus résiliente. Ce qui
autorise d’excellents connaisseurs de ces dossiers à faire preuve d’un certain
optimisme. Je pense à Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France,
qui déclarait il y a quelques jours dans un entretien donné au journal 20
minutes :
« Les conditions d'une sortie de crise sont réunies. Nous concentrons tous nos efforts pour extirper définitivement de la tête des investisseurs cette idée absurde d’éclatement de l’euro et tranquilliser le monde entier sur la pérennité de la zone euro. Dans ce contexte, nous pouvons espérer en 2013 qu'en France, nous voyions progressivement la confiance revenir et avec elle l'investissement. »
Il arrive aux banquiers centraux comme aux autres de se
tromper. Espérons que cette fois-ci ce ne sera pas le cas.
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