Les chroniques économiques de Bernard Girard

27.10.12

Enfin de la lumière au bout du tunnel?




Explosion du chômage, pessimisme des chefs d’entreprise, chiffres de la croissance en berne, décrochage industriel dont témoignent le recul de nos exportations, dégradation de la note de la BNP-Paribas du fait de la situation économique de la France. Les raisons de désespérer sont multiples et solides. On les connaît bien et je n’y reviendrai pas préférant, ce matin, mettre l’accent sur des phénomènes dont on parle moins et qui témoignent tout à la fois de la résilience du tissu économique français qui semble d’être engagé dans une profonde transformation et d’une possible amélioration de la situation économique.

Comme toute transformation celle-ci est douloureuse et passe par la disparition de toute une série d’activités et d’entreprises qui ne sont plus compétitives, qui ne savent pas résister à la dureté des temps ou à la concurrence. Mais à coté de ces disparitions, il y a les germes du renouveau. Le cas de l’automobile est frappant. On sait que cette industrie est capitale pour  notre économie, elle représente, tous secteurs confondus, constructeurs, distributeurs, équipementiers, à peu 10% de l’emploi en France. On connaît les difficultés de Peugeot, celles de Renault, difficultés liées pour beaucoup à l’effondrement des ventes qui n’est pas près de s’achever, mais à coté de cela, il y a les bons résultats des équipementiers, des sociétés qui fabriquent des composants, Faurencia, Plastic Omnium… qui profitent de l’explosion mondiale de ce marché. Il y a également l’émergence, difficile et lente, mais prometteuse, du véhicule électrique qui offre à de nouveaux acteurs la possibilité de s’implanter sur ce marché, je pense à Bolloré qui après avoir obtenu le marché des 3000 véhicules Autolib, propose de louer aux Parisiens ses voitures à raison de 330€ par mois auquel il faudrait ajouter 200€ pour l’assurance, la charge électrique et le parking gratuit. Je ne sais s’il réussira mais on voit là se dessiner de nouveaux modes de consommation significatifs de cette transformation profonde de notre société industrielle qui s’esquisse à l’occasion de cette crise. 

Transformation qui touchera un grand nombre de secteurs, d’entreprises qui tâtonnent aujourd’hui mais ont entrepris de s’adapter à un monde nouveau. Ce sont quelques uns de ces phénomènes souterrains, invisibles à qui a les yeux fixés sur les chiffres de la croissance et du chômage, phénomènes qui incitent à relativiser le pessimisme ambiant que je voudrais vous présenter ce matin.

Les entreprises ont choisi de s’adapter
Les entreprises confrontées à la crise, qu’elles en souffrent directement ou pas, ne sont évidemment pas restées inertes. Beaucoup ont bougé, ont choisi de changer, de s’adapter à un monde différent, plus difficile. Une enquête que l’INSEE vient tout récemment de publier permet de le mesurer. Elle indique qu’à peu près la moitié des entreprises de plus de dix salariés du secteur marchand ont innové de 2008 à 2010, c’est-à-dire en plein cœur de la crise. Ces innovations ont pris plusieurs formes : innovations de produits, innovations d’organisation. Davantage de sociétés, précise l’INSEE, ont innové entre 2008 et 2010 qu’au cours des trois années précédentes, ce qui veut dire que la crise a été un facteur incitatif.
Les entreprises ont choisi de s’adapter et pas seulement en réduisant leurs effectifs, mais aussi en modifiant leurs manières de faire. C’est signe que l’économie est résiliente, capable d’adaptation. Ce qui est une bonne nouvelle.

Ces entreprises sont d’autant plus résilientes que 35% de ces innovations concernent l’organisation et les processus de prise de décision, ce qui, en d’autres mots, doit leur permettre d’être plus réactive. Ce qui est une nécessité en période de crise.

A l’inverse de l’impression que peuvent donner les enquêtes sur l’optimisme des chefs d’entreprise, ces innovations sont le plus souvent offensives : il s’agit de gagner des parts de marché, de s’installer à l’étranger comme le souligne l’enquête de l’INSEE :
Les sociétés investissant dans l’innovation, quel qu’en soit le type, ont essentiellement pour objectif d’augmenter leurs parts de marché, ou d’améliorer leurs produits. (…) Parmi les sociétés engagées dans des innovations technologiques, 58 % en attendent d’augmenter leurs parts de marché ou de conquérir de nouveaux marchés ; 55 % souhaitent élargir la gamme de leurs produits et 48 % en améliorer la qualité.
La qualité est également un objectif fort des sociétés innovant en matière d’organisation : 54 % souhaitent améliorer la qualité de leurs produits et 47 % désirent réduire leurs délais de réponse aux clients. Quant aux sociétés innovant en marketing, 62 % espèrent ainsi augmenter ou maintenir leurs parts de marché. (INSEE).

Naturellement, tout cela ne va pas sans difficultés, notamment en matière d’investissements : 28% des entreprises qui innovent disent avoir rencontré des problèmes de financement. C’est à cela que devrait servir la banque publique d’investissement. Et c’est à cela qu’elle servira si elle n’est pas prise au piège des urgences politiques et ne se trouve pas dans l’obligation de sauver des canards boiteux.
Les entreprises ont recommencé d’embaucher… timidement

Autre indice plutôt rassurant : les derniers chiffres de l’Urssaf sur l’emploi. On sait que le chômage explose. Des usines ferment, des entreprises disparaissent, créant de grosses poches de chômage qui frappent l’opinion, mais celles qui ne s’en tirent pas trop mal, celles qui innovent ont, semble-t-il, repris timidement leurs embauches.
Le nombre de déclarations d'embauche de plus d'un mois de l’ensemble des secteurs hors intérim est globalement stable en septembre (+ 1,1 %) et enregistre une hausse de 5,0 % sur 3 mois. Ainsi, la tendance à la baisse observée depuis mi 2011 semble s’être interrompue à l’été et la baisse annuelle n’est plus que de 7,3 %  (-9,9% le mois précédent). (baromètre économique de l’Acoss, octobre 2012).

Tout cela est bien fragile mais fait penser que l’on a peut-être passé le cap le plus difficile. Beaucoup, dans les mois qui viennent, va dépendre des réactions des Français aux hausses d’impôts. Vont-ils réduire leur consommation ? la maintiendront-ils ? tout dépendra, mais on l’a déjà dit, de l’impact réel de ces hausses de la fiscalité sur les revenus de ceux qui consomment le plus : les classes moyennes. S’il est faible, voire inexistant, comme le dit le gouvernement, ce sursaut se confirmera. S’il est fort, comme l’affirme l’opposition, il en ira tout autrement encore que les ménages français qui épargnent beaucoup et sont peu endettés ont des marges importantes, bien plus que celles de nos voisins.

Des signes encourageants en Europe
Beaucoup va naturellement dépendre de nos voisins et clients. Vont-ils se sortir de la récession ? ou vont-ils nous entraîner avec eux dans la spirale descendante ?

La Grande-Bretagne vient de publier de bons chiffres qui indiquent qu’elle sort enfin de la récession. Est-ce que ce sera le cas de l’Espagne ? du Portugal ? de l’Italie ? rien, pour l’instant ne le suggère, mais les efforts que ces pays ont accompli, l’assainissement des comptes engagé dans la zone euro devraient permettre d’assouplir, dans les mois qui viennent, les objectifs budgétaires. C’est ce qu’a déjà fait l’Italie ces dernières semaines.

Rien de pareil en Espagne, pour l’instant, même si on devine, quand on regarde à la loupe, quelques améliorations : les dépôts dans les banques ont pour la première fois depuis six mois progressé dans les banques espagnoles. C’est une nouvelle encourageante : cela veut dire que les Espagnols ont de nouveau confiance dans leurs banques et, surtout, que celles-ci pourront demain, avec un peu de chance, baisser les taux d’intérêts sur les prêts qu’elles proposent aux entreprises locales leur donnant ainsi la possibilité d’emprunter pour se développer. Du coup on commence à entendre des financiers annoncer la fin du tunnel. Le Financial Times citait il y a quelques jours, la responsable d’un fonds d’investissement disant :
« Les marchés détestent l’incertitude et nous avons maintenant un modèle de ce à quoi pourra ressembler le monde demain. Nous sommes de retour dans le monde des certitudes. Nous avons passé le plus difficile (…) mais avec quelqu’un d’aussi puissant que Draghi nous avons fait beaucoup de chemin. » 

Les salaires résistent à la crise
La bonne tenue des rémunérations en France mérite également attention. A l’inverse de ce que l’on pouvait craindre et de ce qui s’est passé ailleurs, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Espagne, la crise et le chômage ne se sont pas traduits en France par une baisse des salaires.

On peut hésiter sur l’interprétation.

Ce peut être, comme le suggère Patrick Artus, l’économiste de Natexis qui a attiré l’attention sur ce phénomène dans une de ses récentes notes, le fait de nos institutions et de modes de rémunérations rigides qui interdisent les baisses de salaires dans les périodes difficiles.

On peut également y voir le signe de ce que beaucoup d’entreprises s’en sortent correctement et n’ont donc pas de motif de réduire leur masse salariale. S’il est vrai qu’il est difficile de réduire celle-ci de manière autoritaire, il est également vrai que la structure des rémunérations a, dans les entreprises privées, beaucoup évolué ces dernières années. La plupart comprennent aujourd’hui une part variable assise sur les performances de l’entreprise, son chiffre d’affaires… si celui-ci avait diminué, les salaires auraient mécaniquement suivi. Or, ce n’est apparemment pas ce qui s’est produit.

On peut encore une autre explication : si les entreprises n’ont pas fait plus d’efforts pour comprimer leur masse salariale c’est que du fait de leurs évolutions le poids de celle-ci dans leurs coûts a diminué. Et c’est sans doute ce qui s’est produit : du fait de la crise, des craintes pour l’avenir, les entreprises n’ont pas recruté quand elles pouvaient en avoir besoin, elles se sont séparées d’intérimaires. Elles ont demandé à leurs salariés de faire plus d’efforts, de travailler plus, d’être plus productifs. Il est difficile dans ce contexte de réduire les salaires. Tout au plus peut-on éviter de les augmenter. Et c’est probablement ce qui s’est passé.

Quel s’en soit le motif, cette bonne tenue des rémunérations est plutôt une bonne nouvelle pour qui s’inquiète de la consommation : rien ne serait pire pour celle-ci que des baisses de salaires.

La naissance d’un marché du travail européen
Un autre facteur qui pourrait à terme modifier profondément notre environnement économique est la création d’un marché du travail européen. Du fait de la crise, nous en approchons. On voit aujourd’hui des Portugais, des Espagnols, des Irlandais, des grecs, émigrer, aller s’installer ailleurs pour échapper au chômage chez eux. L’Europe, la France, l’Allemagne, les pays nordiques, sont leur première destination puisqu’ils ont librement accès au marché du travail.

On dira : c’est un peu surprenant. Comment l’arrivée d’immigrants, seraient-ils européens peut-elle contribuer à améliorer la situation alors que nous connaissons un chômage massif qui ne fait que croître ? la réponse est à chercher du coté du marché du travail et de ses imperfections. Alors même que le nombre de chômeurs augmente, le nombre d’emplois qui ne trouvent pas preneur reste important. Certains métiers sont en train de disparaître faute de personnel. C’est, dans le bâtiment, le cas des couvreurs. Mais on sait également combien de régions manquent de médecins, d’infirmières…
Or, ce sont autant d’imperfections qu’une plus grande mobilité des travailleurs au sein de l’Europe pourrait réduire. Le travailleur espagnol chassé de chez lui par la crise acceptera plus volontiers de devenir couvreur que d’autres. Le médecin grec ou portugais acceptera de s’installer dans des régions que délaissent leurs collègues français ou allemands.

Les obstacles à la mobilité en Europe restent importants, le premier est, bien sûr, la langue, mais la crise devrait accélérer la création de ce marché européen de l’emploi. Et plus le marché est vaste, plus les travailleurs sont mobiles plus il y a de chances que les postes orphelins trouvent preneur. Avec tout ce que cela suppose d’effet d’entraînement sur le reste de l’économie.

Des indices épars, fragiles, mais… 
Ce  sont des indices épars que j’ai réunis dans cette chronique pour suggérer que nous étions peut-être en train de voir le bout de tunnel, un peu de lumière tout au bout. Tout cela est bien sûr très fragile, peut à tout moment être démenti, mais cela repose, pour l’essentiel, sur des changements institutionnels qui ont consolidé la construction européenne, l’ont rendue tout à la fois plus solide et plus résiliente. Ce qui autorise d’excellents connaisseurs de ces dossiers à faire preuve d’un certain optimisme. Je pense à Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, qui déclarait il y a quelques jours dans un entretien donné au journal 20 minutes :

« Les conditions d'une sortie de crise sont réunies. Nous concentrons tous nos efforts pour extirper définitivement de la tête des investisseurs cette idée absurde d’éclatement de l’euro et tranquilliser le monde entier sur la pérennité de la zone euro. Dans ce contexte, nous pouvons espérer en 2013 qu'en France, nous voyions progressivement la confiance revenir et avec elle l'investissement. »

Il arrive aux banquiers centraux comme aux autres de se tromper. Espérons que cette fois-ci ce ne sera pas le cas.