François Hollande n’est pas, ne sera pas Roosevelt. Sera-t-il Schröder ?
Un
modèle Roosevelt ?
Depuis
quelques semaines commentateurs et journalistes, en général de gauche, cherchent
à comprendre Hollande, à le devenir, en le comparant, tantôt à Roosevelt, tantôt
à Schrôder ?
La comparaison
avec Roosevelt est toute à la fois élogieuse et taquine puisqu’elle conduit le
plus souvent à conclure qu’il pourrait le devenir mais qu’il est probable qu’il
ne le sera pas.
Celle
avec Schröder est moins élogieuse et plus polémique : qui, à gauche,
souhaite vraiment réformer le code du travail dans le sens avancé par
l’ex-chancelier allemand ? Aujourd’hui, pas grand monde, du moins
officiellement.
Mais
restons un instant sur la comparaison avec Roosevelt.
La
comparaison est tentante puisque les deux présidents sont arrivés au pouvoir en
plein cœur d’une crise d’extrême gravité, la crise de 1929 pour le président
américain, celle de 2008 pour son successeur français.
Les
deux arguments le plus souvent avancés pour explique que non, décidément,
Hollande ne sera pas Roosevelt relèvent, pour l’un, du caractère et de la
personnalité des deux hommes et, pour l’autre, de la politique économique :
celle que François Hollande a choisi va, disent ses critiques, mener conduira
au delà de l’austérité à la récession, c’est-à-dire à l’exact contraire de ce
que Roosevelt que l’on associe un peu rapidement au keynésianisme aurait fait.
La
comparaison est tentante mais fallacieuse. Hollande ne sera pas Roosevelt, pas
mais pour bien d’autres raisons que celles avancées qui tiennent aux conditions
historiques dans lesquelles l’un et l’autre Président sont intervenus.
Pour
mieux comprendre ce qui les distingue, il faut revenir à la situation qu’a trouvée
Roosevelt lorsqu’il a pris le pouvoir.
Un allié inattendu pour le président démocrate : le
grand capital réformiste
La crise de 1929 fut, on le sait, d’une extrême brutalité
aux Etats-Unis, bien plus qu’en France en 2008. On se souvient tous de ces
scènes de films nous montrant ces chômeurs traversant les Etats-Unis pour aller
trouver du travail à l’autre bout du pays. Elle fut d’autant plus brutale que
n’existait alors à peu près aucun filet de protection sociale. Ce sera l’une
des réussites du New Deal que d’avoir su créer des dispositifs protégeant un
peu mieux les salariés. On pense notamment à la création en 1935 de
l’allocation chômage et de l’allocation vieillesse, ce qu’on appelle aux
Etats-Unis sécurité sociale. Les mesures qu’a annoncées François Hollande, celles
dont parlent ses adversaires à gauche ou ailleurs en Europe paraissent bien
fades à coté.
C’est une première différence, mais ce n’est pas la seule.
Si Roosevelt a pu si profondément modifier le paysage social et économique aux
Etats-Unis, c’est qu’il a trouvé en arrivant au pouvoir un modèle élaboré et
préparé de longue date, depuis une dizaine d’années, par des segments
importants du capitalisme américain.
Ce programme que l’on trouve présenté de manière
systématique dans un plan écrit par le directeur général de la General Electric,
l’une des principales entreprises de ce qui étaient alors les nouvelles
technologies dessine ce que sera la politique de Roosevelt pendant ses
premières années de mandat. Ce que sera, disons plutôt, celle de l’administration
qu’il met en place pour lutte contre la dépression : la NRA, la National
Recovery Administration.
Le plan Swope : un compromis historique
Cette administration que l’on pourrait avec un peu de malice
comparer au ministère du redressement productif d’Arnaud Montebourg, reprend
donc pour l’essentiel les mesures du plan Swope et des travaux de tous ces
industriels qui réfléchissent depuis quelques années aux mesures qu’il faudrait
prendre pour sortir l’Amérique de l’ornière. On peut les résumer ainsi :
- création d’un système d’assurance chômage et
vieillesse pour réduire l’inquiétude des salariés, les fidéliser et les
stabiliser,
- transformation des salariés, dont le nombre a
explosé depuis le début du siècle, en consommateurs : ce qui veut dire
augmentation des salariés, création d’un salaire minimum obligatoire, réduction
du temps de travail,
- allégement des mesures antitrust qui gênent le
développement des grands groupes industriels en confiant à des organismes
professionnels, du type chambre patronale ou chambre de commerce le soin de
définir des pris, de planifier, éventuellement, la production,
- standardisation des méthodes comptables et plus
grande transparence des comptes des entreprises qui corrigent les dérives
observées dans les années qui ont précédé la crise.
On l’aura remarqué, ces mesures, proposées par le segment le
plus progressiste du grand capital, n’ont rien de spécialement
philanthropique : ces chefs d’entreprise veulent en finir avec les lois antitrust
qui les gênent dans leur développement et avec toutes les mesures qui
exacerbent la concurrence, ils souhaitent développer leur marché en augmentant
le nombre de clients solvables susceptibles d’acheter leurs produits. Et tout
ceci en en conservant le contrôle. Pas folles les guêpes !
Mais on l’aura également remarqué, ces mesures ne sont pas
pour déplaire aux salariés : voilà que des patrons, pas tous, non, juste
quelques uns, ceux qui sont spécialisés dans la production de produits de
grande consommation, veulent augmenter les salaires et réduire le temps de
travail pour que les salariés aient le temps de consommer. Le dirigeant d’une
grande chaine de distribution, Filene, le disait explicitement dans les
multiples conférences qu’il donne un peu partout aux Etats-Unis.
Un modèle adapté à la grande entreprise
Je le disais, ce plan a été développé par des représentants
des industries spécialisées dans la production de masse. Si l’on entre un peu
plus dans le détail, on s’aperçoit que tous ses promoteurs dirigent de grandes
entreprises qui appliquent les méthodes modernes de management de Taylor,
l’organisation scientifique du travail, et qui peuvent donc, ils le disent,
financer ces hausses de salaires, les cotisations sociales qu’ils appellent de
leurs vœux par des gains de productivité.
Ils s’intéressent tous à ces questions et ce n’est sans
doute pas un hasard si Gerard Swope, l’auteur de ce plan qui a servi de modèle
à la NRA, a aussi contribué au financement de travaux sur l’amélioration de la
productivité, notamment ceux de l’équipe d’Elton Mayo à Hawtorne qui a permis
de montrer, découverte fondamentale des années trente, que les salariés
travaillaient d’autant mieux qu’on se préoccupait plus d’eux. Il s’agissait, à
l’origine de prouver que l’amélioration de l’éclairage des ateliers entrainait
des gains de productivité. Au cours de leurs travaux les chercheurs ont fait
varier, à la hausse et à la baisse cet éclairage, et découvert qu’à chaque fois
qu’ils le modifiaient la productivité augmentait : ce n’était pas
l’éclairage qui comptait mais l’attention portée aux salariées.
Mais naturellement, tout cela n’est possible que si tous les
acteurs jouent le jeu. Que quelques industriels décident de se comporter en
passagers clandestins, de ne pas augmenter les salaires, de ne pas verser de
cotisations sociales, et c’est tout l’édifice qui s’effondre.
D’où leur insistance sur l’abandon des mesures anti-trust et
leur volonté de contrôler la concurrence.
Une chance historique unique ?
On l’a compris, Roosevelt a bénéficié d’une chance
historique : avoir un programme élaboré par des capitalistes susceptible
de satisfaire la classe ouvrière. Je devrais plutôt dire d’une double chance
historique : non seulement il avait le soutien de pans entiers de
l’opinion pour mener cette politique, mais celle-ci s’appuyait de plus sur le
modèle économique qui allait sortir l’occident de la crise de 1929 et assurer
sa croissance pendant les quarante ans qui suivent : la société de
consommation.
Cette alliance n’a pas duré très longtemps. Deux ans après
sa création la NRA est jugée anticonstitutionnelle par la Cour Suprême, son
programme n’est pas abandonné mais repris dans des textes de loi, comme le
célèbre Wagner Act, qui font la part belle aux syndicats ouvriers, plus
question de corporatisme, d’ententes patronale, ce qui suscite l’opposition
résolue du patronat réformiste.
Mais l’impulsion était donnée. Et, de fait, on a vu dans les
années qui ont suivi, se développer tous les outils de cette société de
consommation : le crédit à la consommation, le marketing, la grande
distribution, le libre-service, l’obsolescence programmée, la planification de
la production… Cela s’est, d’abord, fait dans le secteur privé, puis la guerre
venue dans le secteur militaro-industriel qui a développé ce que les
économistes appellent parfois le keynésianisme militaire avec une planification
de la production toute entière tournée vers des objectifs décidés par le
politique.
Cette chance historique, François Hollande ne l’a pas. On ne
voit pas quelles entreprises puissantes développent aujourd’hui des projets,
des plans qui pourraient séduire des pans entiers de l’opinion et contribuer à
construire une force suffisante pour renverser les obstacles. On ne voit pas
d’ailleurs ce que pourraient être ces plans. Les entreprises spécialisées dans
les énergies vertes pourraient éventuellement proposer des pistes, et c’est
probablement de ce coté que l’on trouvera un jour ou l’autre la solution, mais
on sait combien ces industries sont fragiles, peu sûres d’elles-mêmes et encore
dépendantes des aides publiques.
On ne voit pas non plus quel modèle économique pourrait se
substituer à la société de consommation. On en devine bien ici ou là les
prémisses avec, par exemple, le développement de la location de voitures ou de
bicyclettes dans les grandes villes qui invitent à remplacer une société de la
propriété par une société de la location de services, avec, autre exemple, la
mise au point, dans une entreprise comme Google, de dispositifs qui lui
permettent de croître sans passer par des politiques d’obsolescence programmée
de ses produits, mais on voit aussi comment des entreprises aussi novatrices et
puissantes qu’Apple ont bâti et continuent de bâtir leur succès sur, justement,
le renouvellement de plus en plus rapide de leurs produits.
Ces nouveaux modèles économiques qui permettraient de
concilier exigence écologique et satisfaction des consommateurs n’en sont
encore qu’à leurs balbutiements.
On l’a compris, c’est parce que François Hollande n’a pas
cette chance historique qu’il ne pourra, quoi qu’il fasse ou qu’il veuille, qu’elle
que soit sa force de caractère, devenir un nouveau Roosevelt.
Est-ce que cela le condamne à devenir un nouveau
Schröder ?
François Hollande ne sera donc pas un nouveau Roosevelt.
Est-il pour autant condamné à devenir un nouveau Schröder, du nom de ce
chancelier social démocrate allemand qui a profondément transformé le droit du
travail outre-Rhin ? A droite, on le souhaite ardemment, il suffit pour
s’en convaincre de lire les éditoriaux de la presse magazine mais aussi de quelques
quotidiens que l’on range plutôt à gauche. Le risque existe évidemment :
quoi de plus facile que de céder aux demandes du MEDEF quand on voit se
multiplier les plans sociaux ? A gauche, on le craint.
Il est évidemment bien trop tôt pour le dire. Beaucoup va dépendre
du contenu des négociations sociales qui vont se tenir dans les semaines et
mois qui viennent. L’un des points d’achoppement sera la flexisécurité qui
devrait, comme dans le modèle danois, tout à la fois fluidifier le marché du
travail, pour utiliser cet euphémisme qui veut tout simplement dire faciliter
les licenciements, et dédramatiser le chômage, grâce à des indemnités fortes et
des formations. S’il n’y a que cela dans ce nouveau compromis historique dont
parlait il y a quelques jours Hollande, alors nous aurons notre Schröder, sans
que l’on soit sûr que cela puisse résoudre nos problèmes puisque, à l’inverse
de l’Allemagne, nous n’avons pas à nos frontières de Pologne, de Slovaquie, de
Tchéquie qui offrent une main d’œuvre abondante et bon marché.
Reste, évidemment, une troisième solution : que
Hollande invente et impose une voie nouvelle. Ce n’est pas le plus probable
mais ce n’est pas impossible. Les références de plus en plus fréquentes dans la
presse et dans les commentaires à Mendès-France, figure tutélaire d’une gauche
rigoureuse, austère et efficace, font penser que cette hypothèse, la plus
flatteuse pour François Hollande, n’est pas à exclure.
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