Les chroniques économiques de Bernard Girard

20.9.12

François Hollande n’est pas, ne sera pas Roosevelt. Sera-t-il Schröder ?



Un modèle Roosevelt ?
Depuis quelques semaines commentateurs et journalistes, en général de gauche, cherchent à comprendre Hollande, à le devenir, en le comparant, tantôt à Roosevelt, tantôt à Schrôder ?
La comparaison avec Roosevelt est toute à la fois élogieuse et taquine puisqu’elle conduit le plus souvent à conclure qu’il pourrait le devenir mais qu’il est probable qu’il ne le sera pas.

Celle avec Schröder est moins élogieuse et plus polémique : qui, à gauche, souhaite vraiment réformer le code du travail dans le sens avancé par l’ex-chancelier allemand ? Aujourd’hui, pas grand monde, du moins officiellement.

Mais restons un instant sur la comparaison avec Roosevelt.

La comparaison est tentante puisque les deux présidents sont arrivés au pouvoir en plein cœur d’une crise d’extrême gravité, la crise de 1929 pour le président américain, celle de 2008 pour son successeur français.

Les deux arguments le plus souvent avancés pour explique que non, décidément, Hollande ne sera pas Roosevelt relèvent, pour l’un, du caractère et de la personnalité des deux hommes et, pour l’autre, de la politique économique : celle que François Hollande a choisi va, disent ses critiques, mener conduira au delà de l’austérité à la récession, c’est-à-dire à l’exact contraire de ce que Roosevelt que l’on associe un peu rapidement au keynésianisme aurait fait.

La comparaison est tentante mais fallacieuse. Hollande ne sera pas Roosevelt, pas mais pour bien d’autres raisons que celles avancées qui tiennent aux conditions historiques dans lesquelles l’un et l’autre Président sont intervenus.

Pour mieux comprendre ce qui les distingue, il faut revenir à la situation qu’a trouvée Roosevelt lorsqu’il a pris le pouvoir.

Un allié inattendu pour le président démocrate : le grand capital réformiste
La crise de 1929 fut, on le sait, d’une extrême brutalité aux Etats-Unis, bien plus qu’en France en 2008. On se souvient tous de ces scènes de films nous montrant ces chômeurs traversant les Etats-Unis pour aller trouver du travail à l’autre bout du pays. Elle fut d’autant plus brutale que n’existait alors à peu près aucun filet de protection sociale. Ce sera l’une des réussites du New Deal que d’avoir su créer des dispositifs protégeant un peu mieux les salariés. On pense notamment à la création en 1935 de l’allocation chômage et de l’allocation vieillesse, ce qu’on appelle aux Etats-Unis sécurité sociale. Les mesures qu’a annoncées François Hollande, celles dont parlent ses adversaires à gauche ou ailleurs en Europe paraissent bien fades à coté.

C’est une première différence, mais ce n’est pas la seule. Si Roosevelt a pu si profondément modifier le paysage social et économique aux Etats-Unis, c’est qu’il a trouvé en arrivant au pouvoir un modèle élaboré et préparé de longue date, depuis une dizaine d’années, par des segments importants du capitalisme américain.

Ce programme que l’on trouve présenté de manière systématique dans un plan écrit par le directeur général de la General Electric, l’une des principales entreprises de ce qui étaient alors les nouvelles technologies dessine ce que sera la politique de Roosevelt pendant ses premières années de mandat. Ce que sera, disons plutôt, celle de l’administration qu’il met en place pour lutte contre la dépression : la NRA, la National Recovery Administration.

Le plan Swope : un compromis historique
Cette administration que l’on pourrait avec un peu de malice comparer au ministère du redressement productif d’Arnaud Montebourg, reprend donc pour l’essentiel les mesures du plan Swope et des travaux de tous ces industriels qui réfléchissent depuis quelques années aux mesures qu’il faudrait prendre pour sortir l’Amérique de l’ornière. On peut les résumer ainsi :
- création d’un système d’assurance chômage et vieillesse pour réduire l’inquiétude des salariés, les fidéliser et les stabiliser,
- transformation des salariés, dont le nombre a explosé depuis le début du siècle, en consommateurs : ce qui veut dire augmentation des salariés, création d’un salaire minimum obligatoire, réduction du temps de travail,
 allégement des mesures antitrust qui gênent le développement des grands groupes industriels en confiant à des organismes professionnels, du type chambre patronale ou chambre de commerce le soin de définir des pris, de planifier, éventuellement, la production,
- standardisation des méthodes comptables et plus grande transparence des comptes des entreprises qui corrigent les dérives observées dans les années qui ont précédé la crise.

On l’aura remarqué, ces mesures, proposées par le segment le plus progressiste du grand capital, n’ont rien de spécialement philanthropique : ces chefs d’entreprise veulent en finir avec les lois antitrust qui les gênent dans leur développement et avec toutes les mesures qui exacerbent la concurrence, ils souhaitent développer leur marché en augmentant le nombre de clients solvables susceptibles d’acheter leurs produits. Et tout ceci en en conservant le contrôle. Pas folles les guêpes !

Mais on l’aura également remarqué, ces mesures ne sont pas pour déplaire aux salariés : voilà que des patrons, pas tous, non, juste quelques uns, ceux qui sont spécialisés dans la production de produits de grande consommation, veulent augmenter les salaires et réduire le temps de travail pour que les salariés aient le temps de consommer. Le dirigeant d’une grande chaine de distribution, Filene, le disait explicitement dans les multiples conférences qu’il donne un peu partout aux Etats-Unis.

Un modèle adapté à la grande entreprise
Je le disais, ce plan a été développé par des représentants des industries spécialisées dans la production de masse. Si l’on entre un peu plus dans le détail, on s’aperçoit que tous ses promoteurs dirigent de grandes entreprises qui appliquent les méthodes modernes de management de Taylor, l’organisation scientifique du travail, et qui peuvent donc, ils le disent, financer ces hausses de salaires, les cotisations sociales qu’ils appellent de leurs vœux par des gains de productivité.

Ils s’intéressent tous à ces questions et ce n’est sans doute pas un hasard si Gerard Swope, l’auteur de ce plan qui a servi de modèle à la NRA, a aussi contribué au financement de travaux sur l’amélioration de la productivité, notamment ceux de l’équipe d’Elton Mayo à Hawtorne qui a permis de montrer, découverte fondamentale des années trente, que les salariés travaillaient d’autant mieux qu’on se préoccupait plus d’eux. Il s’agissait, à l’origine de prouver que l’amélioration de l’éclairage des ateliers entrainait des gains de productivité. Au cours de leurs travaux les chercheurs ont fait varier, à la hausse et à la baisse cet éclairage, et découvert qu’à chaque fois qu’ils le modifiaient la productivité augmentait : ce n’était pas l’éclairage qui comptait mais l’attention portée aux salariées.

Mais naturellement, tout cela n’est possible que si tous les acteurs jouent le jeu. Que quelques industriels décident de se comporter en passagers clandestins, de ne pas augmenter les salaires, de ne pas verser de cotisations sociales, et c’est tout l’édifice qui s’effondre.

D’où leur insistance sur l’abandon des mesures anti-trust et leur volonté de contrôler la concurrence.

Une chance historique unique ?
On l’a compris, Roosevelt a bénéficié d’une chance historique : avoir un programme élaboré par des capitalistes susceptible de satisfaire la classe ouvrière. Je devrais plutôt dire d’une double chance historique : non seulement il avait le soutien de pans entiers de l’opinion pour mener cette politique, mais celle-ci s’appuyait de plus sur le modèle économique qui allait sortir l’occident de la crise de 1929 et assurer sa croissance pendant les quarante ans qui suivent : la société de consommation.
Cette alliance n’a pas duré très longtemps. Deux ans après sa création la NRA est jugée anticonstitutionnelle par la Cour Suprême, son programme n’est pas abandonné mais repris dans des textes de loi, comme le célèbre Wagner Act, qui font la part belle aux syndicats ouvriers, plus question de corporatisme, d’ententes patronale, ce qui suscite l’opposition résolue du patronat réformiste.
Mais l’impulsion était donnée. Et, de fait, on a vu dans les années qui ont suivi, se développer tous les outils de cette société de consommation : le crédit à la consommation, le marketing, la grande distribution, le libre-service, l’obsolescence programmée, la planification de la production… Cela s’est, d’abord, fait dans le secteur privé, puis la guerre venue dans le secteur militaro-industriel qui a développé ce que les économistes appellent parfois le keynésianisme militaire avec une planification de la production toute entière tournée vers des objectifs décidés par le politique.

Cette chance historique, François Hollande ne l’a pas. On ne voit pas quelles entreprises puissantes développent aujourd’hui des projets, des plans qui pourraient séduire des pans entiers de l’opinion et contribuer à construire une force suffisante pour renverser les obstacles. On ne voit pas d’ailleurs ce que pourraient être ces plans. Les entreprises spécialisées dans les énergies vertes pourraient éventuellement proposer des pistes, et c’est probablement de ce coté que l’on trouvera un jour ou l’autre la solution, mais on sait combien ces industries sont fragiles, peu sûres d’elles-mêmes et encore dépendantes des aides publiques.

On ne voit pas non plus quel modèle économique pourrait se substituer à la société de consommation. On en devine bien ici ou là les prémisses avec, par exemple, le développement de la location de voitures ou de bicyclettes dans les grandes villes qui invitent à remplacer une société de la propriété par une société de la location de services, avec, autre exemple, la mise au point, dans une entreprise comme Google, de dispositifs qui lui permettent de croître sans passer par des politiques d’obsolescence programmée de ses produits, mais on voit aussi comment des entreprises aussi novatrices et puissantes qu’Apple ont bâti et continuent de bâtir leur succès sur, justement, le renouvellement de plus en plus rapide de leurs produits.

Ces nouveaux modèles économiques qui permettraient de concilier exigence écologique et satisfaction des consommateurs n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.

On l’a compris, c’est parce que François Hollande n’a pas cette chance historique qu’il ne pourra, quoi qu’il fasse ou qu’il veuille, qu’elle que soit sa force de caractère, devenir un nouveau Roosevelt.

Est-ce que cela le condamne à devenir un nouveau Schröder ?
François Hollande ne sera donc pas un nouveau Roosevelt. Est-il pour autant condamné à devenir un nouveau Schröder, du nom de ce chancelier social démocrate allemand qui a profondément transformé le droit du travail outre-Rhin ? A droite, on le souhaite ardemment, il suffit pour s’en convaincre de lire les éditoriaux de la presse magazine mais aussi de quelques quotidiens que l’on range plutôt à gauche. Le risque existe évidemment : quoi de plus facile que de céder aux demandes du MEDEF quand on voit se multiplier les plans sociaux ? A gauche, on le craint.

Il est évidemment bien trop tôt pour le dire. Beaucoup va dépendre du contenu des négociations sociales qui vont se tenir dans les semaines et mois qui viennent. L’un des points d’achoppement sera la flexisécurité qui devrait, comme dans le modèle danois, tout à la fois fluidifier le marché du travail, pour utiliser cet euphémisme qui veut tout simplement dire faciliter les licenciements, et dédramatiser le chômage, grâce à des indemnités fortes et des formations. S’il n’y a que cela dans ce nouveau compromis historique dont parlait il y a quelques jours Hollande, alors nous aurons notre Schröder, sans que l’on soit sûr que cela puisse résoudre nos problèmes puisque, à l’inverse de l’Allemagne, nous n’avons pas à nos frontières de Pologne, de Slovaquie, de Tchéquie qui offrent une main d’œuvre abondante et bon marché.

Reste, évidemment, une troisième solution : que Hollande invente et impose une voie nouvelle. Ce n’est pas le plus probable mais ce n’est pas impossible. Les références de plus en plus fréquentes dans la presse et dans les commentaires à Mendès-France, figure tutélaire d’une gauche rigoureuse, austère et efficace, font penser que cette hypothèse, la plus flatteuse pour François Hollande, n’est pas à exclure.