Les défis d'Ayrault
Je ne
sais pas si François Hollande s’est essayé à l’écriture de pièces de théâtre
mais la séquence que nous sommes en train de vivre montre qu’il a le sens de la
progression dramatique. Nous avons eu les annonces des mesures d’économie
demandées aux ministères immédiatement suivi d’un conseil européen dont les
résultats ont été pour partie attribués à cette annonce. A peine nous sommes
nous remis de ce premier acte que Didier Migaud, le premier président de la
cour des comptes lance un coup de tonnerre avec ses 33 milliards qu’il va nous
falloir trouver en 2013 qui devrait permettre à Jean-Marc Ayrault qui va dans
quelques heures prononcer sa déclaration de politique générale d’apparaître dans
toute sa plendeur.
S’il ne
trébuche pas… Car, on le sait, ces déclarations de politique générale sont un moment
important, fondateur dans la vie d’un gouvernement. C’est avec ce discours que l’opinion
et, d’abord, ceux qui la font, journalistes, parlementaires, commentateurs de
toutes sortes, se font une idée d’un premier ministre et de son gouvernement.
On se souvient comment Edith Cresson avait raté son entrée. Ce discours devrait
être l’occasion pour le Premier Ministre de mettre en avant les quelques idées
ou principes qui animeront son activité dans les mois qui viennent. On nous dit
que Jean-Marc Ayrault entend
mettre en avant les exigences de « vérité »
et de « justice » ainsi qu'une méthode : « la mobilisation de tous » les
corps intermédiaires. Rien donc de bien nouveau. C’est le programme Hollande
mis en musique.
Reste qu’il va devoir résoudre une équation
difficile : réduire une dette très lourde sans brider une croissance qui n’est
pas au rendez-vous. Ce qui veut dire réduction des dépenses de l’Etat, de ses
effectifs et de ses dépenses d’intervention sans forcément augmenter trop
impôts. Ce qui annonce une autre équation tout aussi difficile à résoudre :
comment faire des économies sans dégrader plus encore la qualité de services
publics d’autant plus utiles que la situation économique est plus difficile?
Dans son malheur, ce gouvernement n’a, au fond, qu’un
avantage : il sait ce qu’il ne faut pas faire. Il a l’exemple des erreurs
du gouvernement Fillon qui fut confronté à peu près aux mêmes difficultés.
Un « lean management » inadapté à l’administration
La première de ces erreurs a été de vouloir décider seul
sans négocier avec les parties prenantes, les organisations syndicales. Le
gouvernement semble vouloir, sur ce point, se démarquer des solutions retenues
par son prédécesseur. Du moins le dit-il puisqu’il a indiqué que les réductions
d’emploi dans l’administration seraient négociées avec les partenaires sociaux
et que la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux sera supprimée.
La seconde erreur du gouvernement Fillon a été de se donner
un objectif abstrait dans lequel personne ne pouvait se reconnaître : ne
pas remplacer un fonctionnaire à la retraite sur deux. Jen e suis pas certain
que le gouvernement Ayrault ait fait beaucoup mieux en annonçant son objectif
d'une baisse de 2,5 % des effectifs pour compenser les créations de postes
dans l'Education, la justice, la police et la gendarmerie. Cela a fortement, et
à très juste titre, irrité les organisations syndicales. « On a soupé
de cette méthode arithmétique pendant cinq ans, c'est pas pour la reprendre
aujourd'hui », a aussitôt déclaré, sur un ton plutôt vif qu’on ne lui
connaissait pas forcément, François Chérèque, le leader de la CFDT.
La troisième erreur du gouvernement Fillon aura été la
méthode utilisée, la RGPP, la Révision Générale des Politiques Publiques qui a
dressé contre elle syndicalistes et élus locaux. En témoignait encore, dimanche
dernier, les propos de Jean-Claude Mailly, le patron de Force Ouvrière, dans
une interview donnée sur France 3. “Ce
que j'ai déjà demandé et ce que je vais redemander à la Conférence sociale des
9 et 10 juillet c'est d'abord de savoir si l'engagement du candidat François
Hollande, concernant l'arrêt de la Révision générale des politiques publiques
(RGPP), va être respecté.”
Tout cela est un peu technique et sent la technocratie mais
mérite d’être analysé un peu plus dans le détail.
La RGPP a été lancée en 2007 par François Fillon et Eric
Woerth, alors ministre du budget en charge de la réforme de l’Etat et, surtout,
ancien collaborateurs de cabinets de conseil privés, Andersen et Bossard, pour
réduire le train de vie de l’Etat.
Si je souligne qu’Eric Woerth a fait toute sa carrière
dans des cabinets de consultant, c’est que cette RGPP en porte la trace qui a,
en fait, consisté à introduire dans l’administration des méthodes de “lean
management”, management économe, léger développées aux Etats-Unis dans les
années 90 pour répondre à la concurrence des entreprises japonaises. Tout est
parti d’une remarque de chercheurs du MIT qui avaient observé qu’il fallait
moins d’heures de travail pour fabriquer une Lexus, un modèle de Toyota, de A à
Z que pour retoucher les défauts de fabrication des voitures allemandes. Comme
souvent, en matière de management, la comparaison était basée sur des
approximations, mais peu importe, le mouvement était lancé et les cabinets de
conseil ont rapidement développé des méthodes de réduction des coûts qui
reposent sur quelques idées simples et plutôt de bon sens : supprimer les
doublons, les opérations trop complexes qui se chevauchent, qui se traduisent
par l’allongement des délais, tous défauts qui conduisent à augmenter les
effectifs au delà de ce qui serait nécessaire.
Ce sont ces méthodes qu’Eric Woerth et les palanquées de
consultants qu’il a introduits dans les ministères ont voulu appliquer dans
l’administration avec pour mission de remettre à plat toutes les activités pour
éliminer celles qui paraissent inutiles ou susceptibles d’être mieux traitées
par le secteur privé. En pratique, cela a consisté à réunir les cadres des
ministères et à leur demander de plancher, à l’image de ce qui s’était fait
dans beaucoup de grandes entreprises, sur une grille de questions :
- Que
faisons-nous ?
- Quels
sont les besoins et les attentes collectives ?
- Faut-il
continuer à faire de la sorte ?
- Qui
doit le faire ?
- Qui
doit payer ?
- Comment
faire mieux et moins cher ?
- Quel
doit être le scénario de transformation ?
L’objectif était de tailler dans le gras. Partant de
l’hypothèse, banale à droite, que les fonctionnaires travaillent mal, il était
assez naturel d’en attendre beaucoup.
La suppression de 150 000 emplois
Tailler dans le gras, c’est bien ce qu’a fait la RGPP
puisque son application systématique a entraîné ces dernières années la
suppression de plus de 150.000 postes dans la Fonction publique d'Etat. Ce dont
on pourrait se féliciter si cela n’avait trop souvent contribué à dégrader la
qualité des prestations des services publics. Jean-Claude Mailly donnait dans
l’interview que je citais tout à l’heure l’exemple du contrôle sanitaire qui ne
se fait plus dans les abattoirs de volailles. Il est, faute d’effectifs,
remplacé par un autocontrôle sur la base d'un cahier des charges, ce qui peut,
comme le suggérait le patron de FO, entraîner un jour ou l’autre des problèmes
de sécurité sanitaire.
Dans cet exemple, la dégradation de la qualité des
prestations vient du remplacement d’un contrôle d’inspecteurs par un autocontrôle
avec ce que cela suppose de risques de dérives. Dans d’autres cas, elle vient
de l’application rigide de la règle du non-remplacement sans recherche de
rationalisation des procédures.
Mais le défaut majeur de cette RGPP aura été ailleurs. Cette
méthode a été conçue pour des entreprises privées qui n’obéissent pas aux mêmes
règles que la fonction publique, qui ne se préoccupent pas, pour ne prendre que
cet exemple, de leur environnement, du coût social de leurs décisions, ce que
ne peut faire l’Etat.
Lorsqu’il supprime 300 emplois dans une ville moyenne comme
Guéret pour ce que l’on imagine être de bonnes raisons, il se tire lui-même une
balle dans le pied : ces emplois, ces 300 fonctionnaires qui ne sont pas
remplacés lorsqu’ils partent à la retraite se traduisent par la suppression de
quelques dizaines d’enfants dans les écoles. Au risque de devoir fermer des
classes. Et ce qui est vrai de l’école l’est des pédiatres, des commerçants,
des dentistes… L’impact des mesures prises par le gouvernement pour réduire les
effectifs de la fonction publique se fait sentir bien au delà de
l’administration concernée, affecte les autres services publics. Et ce
phénomène est d’autant plus sensible que la ville est plus petite. L’un des
effets pervers de la RGPP, souvent dénoncé par les maires des villes moyennes,
aura été la dégradation des services publics, maternités, hôpitaux, lycées…
Il y a d’autres pistes…
Si l’on voulait réduire effectivement les dettes, il
faudrait, il faudra rechercher d’autres pistes. J’en vois trois ou quatre.
La première est, tout simplement, d’agir sur la fiscalité,
non pas en augmentant des impôts et prélèvements sociaux déjà trtès élevés,
mais en agissant sur les niches fiscales, ce que recommande, d’ailleurs, la
cour des comptes.
La seconde est de procéder à une rationalisation des
procédures. Il ne devrait pas être trop difficile de trouver des exemples de
simplification administrative. Pour ne prendre qu’un exemple, je faisais
récemment renouveler mon passeport : l’employée qui l’a réalisé a digitalisé
tous les documents qu’elle me demandait (justification de domicile, passeport…)
et rangé dans un dossier une copie papier de ces mêmes documents. La
suppression du dossier aurait pu faire gagner du temps à tout le monde. Mais
c’est le contraire qui s’est produit : on a réduit les effectifs, compliqué la
procédure et allongé les délais pour obtenir ce qui pourrait être fait très rapidement
: une carte d’identité ou un passeport.
On touche, sur cet exemple minuscule, une des difficultés de
la rationalisation des fonctions administratives : les procédures évoluent au
fil des innovations réglementaires et législatives qui bien loin de se simplifier se compliquent. Ce qui nous mène à
une troisième piste : la simplification de la réglementation. Plutôt que
de chercher à réduire de manière autoritaire les effectifs de la fonction
publique, il conviendrait de réduire les tâches confiées à celles-ci, de les
simplifier. Trop souvent le législateur imagine des règles qui compliquent les
procédures. Et lorsque l’on réduit en même temps les effectifs on dégrade la
qualité des prestations offertes aux usagers, c’est-à-dire aux citoyens.
Une autre piste pourrait être, devrait être de simplifier le
véritable mille-feuille administratif qu’est devenue la France avec son Etat,
ses régions, ses départements, ses intercommunalités, ses communes… à chaque
niveau, on retrouve les mêmes fonctions, des gens qui font doublon…
Améliorer la performance de l’Etat
On le voit, de nombreuses pistes existent. On peut espérer
que fort des échecs de ses prédecesseurs, Jean-Marc Ayrault et son gouvernement
sauront emprunter une ou plusiers de ces voies. Il faut surtout espérer qu’ils
sauront faire de la qualité du service public leur premier critère. Et que cela
les amènera à imaginer des solutions qui permettent d’effectivement
l’améliorer. Cela est possible pour peu que l’on évite cette autre erreur du
gouvernement Fillon qu’aura été l’introduction dans la fonction publique de
tous ces dispositifs de notation et de rémunération au mérite qui ont peut-être
un sens dans un environnement concurrentiel mais n’en ont aucun dans un secteur
où la concurrence n’existe pas. Qui peut dire que Guéret est en concurrence avec
Forbach ou Thouars ?
Toutes les administrations ont des marges de
perfectionnement, nul n’en doute, mais à défaut de concurrence, il faut trouver
d’autres moyens. La notation sur des critères que chacun peut rapidement
contourner n’est certainement pas la solution plutôt que de prétendre,
un peu sottement, sanctionner ceux qui ne font pas bien, mieux vaudrait donner
aux responsables des modèles à suivre, des exemples de ce que des collègues
dans des situations voisines font mieux qu’eux. C’est possible, des méthodes
existent. C’est elles que l’on aimerait voir introduites dans l’administration…
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