Crise : quelques lueurs d’espoir, beaucoup d’inquiétudes
Pour l’écouter
La
trêve estivale, ces deux mois pendant lesquels on s’éloigne, on pense à autre
chose, est terminée. Et l’on redécouvre, à la rentrée un monde où rien ne s’est
arrangé : la situation des pays en difficultés, la Grèce, l’Espagne,
l’Italie, le Portugal, ne s’est pas arrangée. La Grande-Bretagne s’est enfoncée
chaque jour un peu plus dans la dépression. Les jeux Olympiques n’auront été
qu’un bref moment de répit. Le seul qui ait vu un peu de rose dans le ciel,
c’est l’Irlande. La situation des pays qui avaient jusqu’à présent échappé à la
crise, l’Allemagne, la Chine, les pays émergents s’est dégradée. Quant à la
France, on sait ce qu’il en est : si nous ne sommes pas entrés en
récession, c’est tout comme et l’on a vu les chiffres du chômage exploser.
Mais
puisque nous sommes au tout début de cette rentrée, je vous propose de faire le
point sur ce qui s’est passé ces derniers mois. En commençant, peut-être, par
l’Irlande, le seul pays qui semble, pour l’heure, deviner le bout du tunnel.
Seule ou presque l’Irlande a profité de la
baisse de l’euro
Je disais à l’instant que l’Irlande avait vu
un peu de rose dans son ciel. Un peu, juste un peu, mais assez pour soulager un
instant ce pays qui a beaucoup souffert et qui est tombé, on le sait, de haut.
Ce rose est venu avec la baisse de l’euro.
Cette baisse a été fêtée dans la presse
économique comme une bonne nouvelle puisqu’elle rendait les industries
européennes plus compétitives sur les marchés internationaux. Encore fallait-il
compter avec le poids de ces marchés dans le chiffre d’affaires des
entreprises. Une entreprise allemande dont les exportations se font pour
l’essentiel en Europe n’a rien gagné à cette baisse puisqu’elle vend en euros.
Elle peut même avoir perdu pour peu qu’elle achète des composants en dollars ou
en livres sterling. Ce qui est vrai d’une entreprise allemande l’est, bien sûr,
de toute autre entreprise européenne.
S’il en va autrement avec l’Irlande c’est que
pour des motifs historiques et linguistiques, elle commerce beaucoup avec la
Grande-Bretagne, pays en dehors de la zone euro. Ses produits, certains au
moins, sont donc devenus plus compétitifs sur le marché britannique. Ce qui a
permis à son secteur manufacturier de retrouver le chemin de la croissance.
C’était de tous les pays d’Europe le seul dans cette situation. Cela ne veut
pas dire que le chômage toujours très élevé, ait diminué, il frôle toujours les
15%, mais cela pourrait annoncer un début de sortie de crise pour ce
pays : de meilleures statistiques sur le front industriel rassurent les
investisseurs étrangers, une amélioration du chiffre d’affaires des entreprises
manufacturières annonce, pour l’année prochaine, de meilleures rentrées d’impôts,
même si les impôts sur les sociétés sont particulièrement faibles en Irlande. La
balance commerciale s’améliore puisque les exportations progressent tandis que
les importations continuent, du fait du chômage, à reculer. Ce qui allège les
besoins de financement. Enfin, l’Europe, rassurée, pourrait donner plus de
temps à ce pays pour se sortir de ses difficultés.
Un coin, un tout petit coin de rose dans le
ciel pour ce pays donc, mais un rose qui tient au cours de l’euro, que celui-ci
se redresse et les difficultés risquent de revenir. Comme le disait il y a peu
un financier : « Les chiffres de l’Irlande ne sont pas terribles,
mais comparés à ceux de l’Espagne ou du Portugal… Au royaume des aveugles, les
borgnes sont rois. »
L’Allemagne commence à sentir les effets de la
crise
L’Allemagne dont on sait la puissance
industrielle aurait pu profiter de cette baisse de l’euro. Cela n’a pas été le
cas. Pour deux motifs : d’abord, parce qu’une part importante de ses exportations
sont à destination de la zone euro et qu’elle a fini par souffrir des
difficultés de ses voisins. Et, ensuite, parce que ses clients à l’extérieur de
la zone euro, notamment la Chine, ont commencé à souffrir de leurs marchés
européens.
Jamais depuis 2009, les achats des industriels
allemands n’ont été aussi faibles, ce qui est, bien sûr, un mauvais
signe : une entreprise qui n’achète pas est une entreprise qui n’a pas de
nouveaux clients ou qui n’a pas confiance dans l’avenir. Plutôt que de lancer
de nouvelles fabrications, elle tente d’épuiser ses stocks.
Cela s’accompagne, mais sera-t-on surpris,
d’un déclin de prises de commande de l’industrie allemande, moins 8% sur un an,
et, ce qui est toujours un indicateur significatif, de l’optimisme des
industriels allemands.
Toujours au royaume des signes inquiétants, il
y a la dérive des CDS (Crédit default Swap) du gouvernement allemand. Il s’agit
d’instruments financiers conçus pour couvrir les défaillances d’un emprunteur. Leur
dégradation veut tout simplement dire que les investisseurs ne font plus autant
confiance à l’Allemagne qu’il y a quelques années, que les plus prudents voient
s’accumuler les nuages au dessus de son économie.
Il serait naturellement tout à fait excessif
d’en tirer des conclusions définitives. L’économie allemande se porte bien,
infiniment mieux que celle de tous ses voisins. Son taux de chômage est faible,
en dessous de 7% et surtout, bien inférieur à ce qu’il pouvait être il y a
quelques années encore, même s’il progresse régulièrement depuis le début de
l’année. Ses entreprises sont toujours aussi compétitives. Mais la crise
commence à la toucher. Et si l’on a pu un instant penser que l’Allemagne
pourrait tirer seule son épingle du jeu, il semble que ce ne soit pas le cas.
Ce qui pourrait modifier son point de vue, d’autant que la crise économique
chez ses voisins de la zone euro commence à donner naissance à des inquiétudes
géopolitiques.
La Russie pourrait-elle venir au secours de la
Grèce
Les Allemands ont été à ce jour parmi les plus
sévères avec la Grèce. Ils l’ont dit et répété : ils ne veulent pas payer
pour un pays qui ne collecte pas les impôts, qui a laissé se développer la
corruption et qui a longtemps vécu avec des comptes truqués. Mais cette
position rigoureuse commence à inquiéter outre-Rhin du coté même des alliés
d’Angela Merkel. Ce n’est pas le sort des Grecs qui inquiète Michael Meister ou
Alexander Dobrindt, deux poids lourds de la coalition gouvernementale, mais la place
que pourraient prendre les Russes dans cette région. Le raisonnement est simple
et assez convaincant. Si la Grèce est abandonnée par l’Europe, on peut craindre
que les Russes n’en profitent pour s’installer dans ce pays qui se situe au sud
de sa zone traditionnelle d’influence (Bulgarie, Macédoine), qui pourrait lui
donner un accès à la Méditerranée et faire pendant à une Turquie très engagée
dans le camp occidental.
Cette crainte pourrait paraître un peu
déplacée et démodée : la guerre froide est finie depuis longtemps,
mais le comportement des Russes à l’égard de la Syrie, la manière dont ils
défendent son gouvernement pour protéger la base qu’ils possèdent dans ce pays
invite à la prudence. Les Russes ont perdu beaucoup de leur superbe, mais ils
n’ont certainement pas abandonné toute ambition de redevenir la puissance
mondiale qu’ils étaient du temps du communisme.
Le rapprochement de la Grèce et de la Russie
n’est pas nouveau. Il y a quelques années les deux pays avaient envisagé la construction
d’un pipeline permettant le transport du pétrole russe jusqu’au port grec
d’Alexandroupoli. Cela n’a pas pu se faire du fait des Bulgares qui s’y sont
opposés, mais à cette occasion les liens entre les deux pays se sont resserrés.
Et la crise que traverse la Grèce contribue à les resserrer un peu plus. La
Russie aurait proposé à la Grèce de lui prêter 25 milliards de dollars et
serait, en cas de sortie de la Grèce de la zone euro, certainement disposée à
faire des efforts supplémentaires.
Un léger mieux pour la Grèce ?
Qu’Alexander Doblind, un des dirigeants de la
CSU bavaroise s’inquiète de ces questions est d’autant plus intéressant qu’il
avait fait, il y a quelques temps parlé de lui en indiquant que la sortie de la
Grèce de l’euro était à ses yeux inévitable et qu’il était de ceux qui
pensaient construire la prochaine campagne électorale en Bavière contre l’euro.
Peut-être ses inquiétudes géopolitiques l’amèneront-elles à calmer un peu sa
colère anti-hellénique largement partagée par la population allemande si l’on
en croit un sondage publié hier selon lequel à peine plus d'un quart des Allemands pense que la Grèce devrait rester
dans la zone euro, selon un sondage publié hier selon et selon lequel 54 % des
Allemands sont contre un maintien de la Grèce dans l'euro (sondage réalisé
l'institut Harris pour le Financial
Times).
Que les politiques se fassent sur le dossier
plus prudent serait bienvenu et pas impossible dés lors que d’autres signes, infimes, font penser que la
situation pourrait lentement, progressivement s’améliorer. Soyons clairs, il ne
s’agit que de signes minuscules presque invisibles à l’œil nu qui seront
peut-être démentis dans quelques jours ou quelques semaines, mais les Grecs
semblent commencer à reprendre confiance dans leurs banques. C’est le Spiegel
qui l’annonçait il y a quelques jours en reprenant une information de la
BCE : les dépots dans les banques grecques ont cessé de dégringoler, ils
ont même progressé de 2%. C’est peu, bien sûr, mais cela semble suggérer que
les Grecs craignent un peu moins l’avenir, doutent un peu moins des
possibilités de leur pays de rester dans la zone euro. Un sentiment que
semblent, d’ailleurs, partager les économistes qu’interroge régulièrement
l’agence Reuters. Ils étaient 35 sur 64 à penser il y a un an que la Grèce
resterait dans la zone euro, ils sont aujourd’hui 45. Cela reste encore peu
mais témoigne d’un léger mieux.
Dans ce même article, le Spiegel fait
également état d’un léger mieux en Espagne et en Italie, deux pays qui peuvent
aujourd’hui emprunter à des taux plus faibles qu’hier. Mais il est encore trop
tôt pour parler de bonnes nouvelles.
Toujours dans le domaine de ce que l’on n’ose
appeler de bonnes nouvelles mais qui va tout de même dans le bon sens, il faut
souligner les pressions de la Chine sur l’Allemagne pour qu’elle contribue
enfin à la résolution de la crise en Europe. C’est le quotidien britannique, The
Gardian qui nous le dit, les plus hautes autorités chinoises et, d’abord,
le premier ministre, Wen Jiabao, qui insistait, il y a quelques jours, pour que
l’Europe et, d’abord, l’Allemagne prenne des mesures pour enrayer la crise qui
frappe l’Europe.
Il est vrai que la Chine a de quoi
s’inquiéter.
La Chine commence à sentir les effets de la
crise
Après ces pays en grandes difficultés venons
en à la Chine. A en croire ses dirigeants tout va pour le mieux dans le
meilleur des mondes. Plusieurs indicateurs font, cependant, douter de ce bel
optimisme.
Il y a, bien sûr, le ralentissement de la
croissance. L'activité
manufacturière en Chine est tombée en août à son plus bas niveau depuis mars
2009,selon
un indicateur publié lundi par la banque HSBC. C’est, selon la banque, le
10e mois de détérioration
consécutive des conditions d'opération du secteur manufacturier chinois.
Pas surprenant dans ces conditions que la
bourse de Pékin n’ait jamais été aussi faible depuis 2009. Plus inquiétant que
cette baisse du cours des actions, il y a le comportement de ces entreprises
chinoises qui s’étaient placées sur les marchés boursiers occidentaux notamment
américains et qui tentent
aujourd’hui de les quitter de crainte de devoir être d’autant plus sévèrement
sanctionnées qu’elles ne respectent pas toujours les règles comptables des
entreprises occidentales. Elles sont 36, qui s’étaient affiliées au Nasdaq
new-yorkais, à s’être engagées depuis 2009 dans des opérations de désengagement
de ce type. Ce comportement n’a de sens que si elles ont des inquiétudes pour
le futur. Si elles pensaient qu’il ne s’agit que d’un ralentissement de
quelques semaines ou quelques mois, elles seraient sans doute moins inquiètes.
Dans un tout autre domaine, l’effondrement des
cours du minerai de fer, dont la Chine est grosse consommatrice, fait penser
que l’activité de l’industrie chinoise est en recul. Ce minerai a perdu 11% de
sa valeur depuis avril dernier. Et ce qui est vrai du minerai de fer l’est de
l’aluminium, du cuivre, tous matériaux dont la Chine est grosse consommatrice.
Or, les entreprises chinoises se sont toutes
développées dans un contexte de croissance rapide, elles ne sont pas adaptées à
des périodes de stagnation voire de recul de leur activité. Elles n’ont pas mis
au point des politiques de trésorerie qui les protègent en cas d’effondrement
de leur activité comme font les entreprises habituées à vivre dans des
environnements plus contrastés où périodes de crise et de croissance
alternent. Cela se complique de ce que
les banques chinoises ne sont pas équipées pour apporter ces avances en
trésorerie dont pourraient avoir besoin ces entreprises. Elles n’ont pas
développé l’ingénierie financière nécessaire.
Ce qui est vrai de la Chine l’est des autres
pays émergents, de l’Inde, dont le taux de croissance a reculé mais aussi du
Brésil qui commence à voir l’inflation se développer du fait de la hausse des
prix des produits alimentaires, ils ont augmenté de 10% en juillet sur les
marchés internationaux, du fait des conditions climatique, et ont un impact
partout et tout particulièrement dans les pays émergents. Or, qui dit inflation
dit resserrement du crédit de la part des banques centrales et donc frein à la
croissance.
Une sortie de crise dont on commence à deviner
les contours ?
Je pourrai ainsi poursuivre et continuer d’égrener
les nouvelles économiques de ces dernières semaines. Je pourrais parler des
prévisions de récession en Grande-Bretagne, des provinces espagnoles qui les
unes derrières les autres se tournent vers l’Etat pour échapper à la
banqueroute, lequel ne peut évidemment pas grand chose. Je pourrais parler de
la situation française, du chômage qui a passé ces derniers jours le seuil des
trois millions, j’y reviendrai dans les prochaines semaines, mais nous sommes
entourés d’indicateurs économiques, inondés d’informations et le plus difficile
n’est pas tant de les trouver que de tenter d’identifier celles qui paraissent
le plus significatives, le plus intéressantes, celles qui dessinent le futur.
C’est un exercice difficile, extrêmement
risqué. On ne peut que se tromper, prendre ses désirs pour des réalités. C’est,
cependant, en cherchant dans cette montagne de données que l’on a quelque
chance d’y voir un peu plus clair sur notre avenir. Et, de toutes ces données
qui me sont passées devant les yeux ces dernières semaines, il en est une qui
me paraît plus importante que d’autres. Plus importante parce qu’elle signale
tout à la fois une modification des comportements des consommateurs et qu’elle
semble une réponse collective, des consommateurs, des travailleurs, de nous
tous à la crise de l’endettement que nous vivons depuis quelques années.
Lorsque l’on parle d’endettement, on pense
surtout à celui de l’Etat, mais il est étroitement lié à la dette privée, à notre
endettement aux uns et aux autres. C’est en regardant les statistiques de
l’Irlande, de cette Irlande dont j’ai déjà parlé, que j’ai trouvé cette donnée
qui me paraît annonciatrice de nos lendemains.
L’Irlande est le pays européen qui a été
le premier touché par cette crise, celui qui vit depuis le plus longtemps avec
cette dette colossale. Et l’on y voit aujourd’hui les comportements
changer : le nombre d’Irlandais propriétaires de leur logement a chuté, il
est passé de 75 à 70%., ce qui correspond à une augmentation de 47% du nombre
de ménages qui louent leur logement. Il y avait en 2006, 323 000 ménages qui
louaient leur appartement, il y en a aujourd’hui 475 000.
C’est important parce que le logement est le
premier facteur d’endettement des ménages. La meilleure manière de réduire son
endettement est donc de louer son logement plutôt que de l’acheter. Or, ce
phénomène n’est pas propre à l’Irlande. On le retrouve aux Etats-Unis où des experts
évaluent que trois millions d’Américains pourraient abandonner la propriété de
leur logement pour s’orienter vers la location. On parle d’une croissance de 25
à 30% du marché de la location selon les régions. Pour la plupart de ces
nouveaux locataires ce n’est certainement pas de gaieté de cœur qu’ils
abandonnent la propriété de leur logement, mais ce nouveau marché attire déjà
des investisseurs. Il devrait donc se développer rapidement dans les années qui
viennent.
En Espagne, pays de propriétaires dont la législation est très défavorable à la
location, de nombreux économistes militent pour une libéralisation qui favorise
la location. On devrait sans doute trouver des phénomènes voisins ailleurs.
Le désendettement de nos sociétés semble
s’amorcer par le bas, par le désendettement des ménages.
Ce changement de comportement n’est évidemment
pas désiré, mais il n’est pas sans avantages : il favorise la mobilité, le
transfert de l’épargne vers d’autres activités que le logement, vers
l’industrie, notamment, et annonce un autre rapport à la consommation. Rapport
que l’on voit se dessiner dans nos villes avec l’apparition de ces transports
collectifs d’un nouveau type que sont velib ou Autolib. Pourquoi être
propriétaire d’une bicyclette ou d’un véhicule quand on peut en louer un ?
C’est le modèle de la société de consommation,
nourri par le crédit, que des économistes comme Keynes ont théorisé au
lendemain de la crise de 1929 et qui s’est vraiment développé au lendemain de
la seconde guerre mondiale qui commence à se défaire au travers de cette crise
qui devrait nous amener à inventer de nouveaux modes de consommation. Ces
quelques signes que je soulignais à l’instant pourraient en être les prémisses.
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