Ayrault a-t-il choisi la bonne stratégie pour réduire le déficit?
Le
gouvernement a donc choisi d’exercer une forte pression fiscale sur les
Français pour sortir du déficit budgétaire. Les premières réactions ont surtout
porté sur l’impact de ces mesures sur les uns et les autres. les observateurs
sont à peu près tous tombés d’accord sur deux points : beaucoup
plus de contribuables que ne le dit le gouvernement seront touchés par ces
mesures, celles-ci
affecteront en priorité les plus riches.
En ce
sens, on peut dire que le gouvernement a loupé sa communication en faisant
croire que 90% des Français échapperaient à toute augmentation de l’impôt mais
qu’il a bien tenu ses promesses d’équité. Il a d’autant plus raté sa communication
qu’il a annoncé quelques jours plus tard son intention de financer les baisses
de cotisations sociales des entreprises par la CSG, ce qui signifie une
augmentation des impôts pour tous. Depuis, on le sait, il a reculé, s’est
emmélé les pieds dans ses projets, mais peu importe. La seule chose certaine
est qu’il y aura des augmentations d’impôts d’autant plus élevées que l’on est
plus riche.
Reste à
savoir si ces nouvelles mesures seront efficaces. Vont-elles effectivement le
réduire le déficit. Ce sera le cas si elles améliorent massivement les recettes
fiscales ? mais les amélioreront-elles autant que le souhaiterait le
gouvernement ? Ce n’est pas certain.
Plusieurs
facteurs pourraient contrecarrer ses projets : la récession qui réduirait
les recettes des entreprises et celles des ménages, la fraude, l’évasion
fiscale et le changement des comportements des agents économiques, de ceux, du
moins, qui risquent d’être le plus touchés par ces nouvelles mesures.
La récession, le mauvais exemple de 2009
Une mauvaise situation économique pourrait gêner
considérablement le gouvernement. Le mécanisme est simple et bien connu :
les recettes diminuent, du fait de la crise, tandis que les dépenses, notamment
les dépenses sociales, les allocations chômage, augmentent. C’est ce qui s’est
produit en 2009 : cette année là, la croissance économique avait été
négative, elle avait reculé d’un peu plus de 2%, ce qui s’était traduit,
mécaniquement, par une augmentation du déficit. Les recettes de l’Impôt sur les Sociétés ont, cette année là, baissé de
6% et celles tirées de l’impôt sur le revenu de 23%. Droits de douane et TVA avaient
également subi une érosion significative.
Cela peut-il se
reproduire ? sans doute. Et c’est d’autant plus prévisible que le contexte
général est mauvais, plusieurs de nos voisins sont entrés en récession et vont
donc réduire, si ce n’est déjà commencé, leurs achats de nos services et
produits. Cette perte de recettes peut-elle être aussi importante qu’en
2009 ? il faudrait, pour cela, que la croissance recule bien plus qu’il
n’est aujourd’hui indiqué dans les prévisions les plus négatives. Peut-elle
cependant réduire à néant la polituque du gouvernement ?
Si l’on regarde ses
recettes fiscales, elles se partagent en quatre grandes sources : la TVA qui
représente 51% de ses recettes, l’impôt sur le revenu, un peu plus 20%, l’impôt
sur les sociétés, un peu plus de 17%, la Taxe sur les produits pétroliers,
un peu plus de 5%, le reste se partageant entre différentes taxes.
Ces chiffres
l’indiquent : s’il veut conserver ses recettes fiscales, l’Etat a tout intérêt
à soutenir la consommation qui risque de souffrir de l’augmentation de l’impôt
sur le revenu s’il apparaît qu’elle touche effectivement beaucoup de monde, et
de la montée du chômage. D’où, au delà des polémiques politiques, l’intérêt des
débats sur l’impact des mesures annoncées sur les ménages. Si elles ne touchent
vraiment, comme l’affirme le gouvernement, que les plus riches, l’impact sur la
consommation sera réduit. Dans le cas contraire, ce sera beaucoup plus
difficile.
Vues les
augmentations prévues, les recettes tirées de l’impôt sur le revenu devraient
progresser. Toute la question est de savoir si elles progresseront suffisamment
pour compenser les pertes prévisibles de recettes sur l’impôt sur les sociétés
dont les bénéfices vont très probablement rétrécir du fait du recul de la
croissance.
La fraude
Venons-en maintenant au deuxième point : la fraude.
L’augmentation des impôts entraîne presque automatiquement son augmentation
lorsque celle-ci est possible. On sait qu’elle ne l’est pas pour tous. Un
commerçant ou un artisan peuvent plus facilement masquer une partie de leurs
revenus qu’un salarié.
Cette fraude est importante. En 2010, Valérie Pécresse avait
indiqué que le fisc et les douanes avaient récupéré 16 milliards d’€ grâce à leurs différents
contrôles. Le syndicat Unifié des Impôts estimait, lui, en 2008, que le montant
de la fraude fiscale était de l’ordre de 40 milliards. Il s’agit, à l’évidence,
de sommes gigantesques et si le gouvernement veut réussir son pari, il lui faudrait
éviter qu’elles augmentent.
Jérôme Cahuzac, le ministre du budget, vient d’annoncer
qu’il présenterait en décembre prochain de nouvelles mesures pour lutter
contre. Fort bien, mais on sait aussi que la fraude dépend de la manière dont
l’impôt est conçu. L’impôt sur la fortune en offre un bel exemple :
il taxe également les biens immobiliers et les actions. Or, il est bien plus
facile de tricher sur la valeur d’un bien immobilier qui ne peut au mieux faire
l’objet que d’estimations susceptibles de varier que sur la valeur d’actions
qui sont publiées au jour le jour. En ce sens, les propositions d’intégrer dans
l’impôt sur la fortune les œuvres d’art, si elle a une portée symbolique,
risque de ne guère rapporter : comment savoir si tel ou tel contribuable
possède des œuvres d’art ? et comment évaluer celles-ci alors que leur
prix peut fortement varier selon leurs conditions de mise en vente comme
l’illustrent tous les jours les résultats de Drouot et des autres salles de
vente.
L’évasion fiscale
On associe parfois l’évasion fiscale à la fraude. Ce sont
deux choses différentes. Les français ont le droit d’aller s’installer à
l’étranger. Ils n’ont pas celui de frauder.
L’évasion fiscale, l’installation de contribuables à
l’étranger, en Suisse, en Belgique, en Grande-Bretagne pour échapper à l’impôt fait
régulièrement l’objet des titres de la presse. La présidente du Medef a annoncé
qu’elle exploserait, quelques cas d’artistes, de sportifs ou d’industriels font
de temps à autre scandale. Le phénomène est cependant mal connu. Malgré toutes
les déclarations alarmistes il ne semble pas qu’il ait beaucoup progressé ces
derniers mois, mais peut-être est-il un peu tôt pour le dire.
Il est vrai que l’évasion fiscale est plus simple
aujourd’hui, dans une Europe ouverte, qu’hier, dans des pays fermés. Il est
vrai également qu’elle ne concerne plus seulement des particuliers fortunés,
mais qu’elle peut être organisée par de grandes entreprises. Il leur suffit, au
terme d’une réorganisation, d’installer à l’étranger, en Belgique, par exemple,
leur siège social ou telle ou telle de leur activité pour que ceux de leurs
dirigeants qui perçoivent des salaires très élevés deviennent résidents d’un
pays à la fiscalité plus clémente. Mais, il y a des limites à l’exercice :
il n’est pas évident de diriger une entreprise depuis l’étranger, sachant qu’un
français ne peut être résident fiscal à l’étranger que s’il y vit de longues
périodes. Gabriel Zucman, qui a réalisé une étude sur le phénomène entre 1995
et 2007, parle d’un flux des départs assez faible, de l’ordre de 500 par an.
Cet économiste de l’école de Paris évalue le manque à gagner du fisc français
du fait de cette évasion fiscale à, à peu près 5 milliards d’euros, soit l’équivalent
du budget du ministère de la justice.
Les montants de la fraude et de l’évasion fiscale sont, on
le voit, significatifs. Si l’on savait comment les combattre et les supprimer
on pourrait faire l’économie des augmentations d’impôts. Les montants sont comparables :
l’effort fiscal demandé aux Français est de 30 milliards. La fraude est évaluée
à 40 milliards et l’évasion à 5 milliards. Mais on ne sait pas. Et le risque
est de les voir augmenter même s’il est probable que ce ne sera que de
peu.
Trop d’impôts peut-il tuer l’impôt ?
Reste un dernier point : trop d’impôts pourrait tuer
l’impôt. C’est une thèse que les économistes soutiennent régulièrement. Leur
raisonnement est le suivant : les agents économiques soumis à une trop
forte pression fiscale réduisent leurs efforts. A quoi bon travailler plus si
c’est pour ne pas gagner plus. C’est la fameuse thèse de Laffer que l’on voit
aujourd’hui réapparaître dans quelques éditoriaux.
Le raisonnement est populaire. Il a nourri et continue de
nourrir les argumentaires de tous ceux qui militent pour des baisses d’impôts.
On sait cependant qu’il ne fonctionne pas : ce n’est pas par ce que l’on
baisse les impôts que les agents économiques travaillant plus, gagnent plus et finissent
par en payer plus. Et a contrario, on n’a jamais vraiment prouvé que les
augmentations d’impôts réduisaient la propension à travailler. On imagine mal
un directeur d’entreprise, un commerçant ou un médecin prendre quelques jours de
vacances de plus parce qu’il paie trop d’impôts pour payer moins d’impôts même
s’il n’est pas rare de les entendre proférer ce type de menace.
Le plus probable est que ces augmentations d’impôts des plus
riches conduiront les entreprises à rechercher d’autres modes de rémunération.
Et elles auront là l’embarras du choix : plutôt que de verser des salaires
mirifiques, elles pourront loger leurs cadres dirigeants, mettre à leur
disposition une voiture avec chauffeur, une carte de crédit avec la capacité de
dépenser autant qu’ils souhaitent. Il est même probable que ces hausses d’impôt
favoriseront le développement de l’individualisation des hautes rémunérations
et la mise en place de cocktails de rémunérations qui donnent à chacun la
possibilité de construire sa rémunération en fonction de ses contraintes. Le
chef d’une famille nombreuses a d’autres besoins que le célibataire : il
est moins imposé et peut donc préférer du salaire à des avantages en nature…
On le voit donc, plusieurs facteurs peuvent raboter une
partie des recettes fiscales qu’attend le gouvernement. Au risque de ne pas
réduire autant que prévu le déficit. Est-ce grave ? Pas forcément si cela
lui permet tout de même de réduire de manière significative le déficit.
Il est plus facile de collecter des impôts que de réduire les
dépenses
Le gouvernement s’est donné des objectifs ambitieux. Il veut
ramener le déficit public à 3% en 2013, contre 4,5% pour cette année. Y
arrivera-t-il ? pour tous les motifs que j’ai donnés, recul de la
croissance, augmentation des dépenses sociales, de la fraude et de l’évasion
fiscale, modification du comportement des entreprises, ce n’est pas le plus
probable. Ce qui amène à se poser deux questions : est-ce que cet objectif
de 3% est raisonnable ? est-ce que l’on aurait pu l’atteindre
autrement ?
Pour atteindre son objectif, le gouvernement a choisi un mix
qui associe augmentation des impôts de l’ordre de 30 milliards, et réduction
des dépenses publiques de l’ordre de 10 milliards. Il aurait pu faire, comme le
proposait la droite, le contraire, faible augmentation des impôts, forte baisse
des dépenses. C’est le chemin qu’a suivi dans les années 90 le Canada. Aurait-ce
été une meilleure piste ? ce n’est pas certain. Et pour un motif tout
simple : il est plus facile de collecter des impôts que d’agir sur les
dépenses.
Chaque fois que l’on veut toucher aux dépenses de manière
autoritaire, on se heurte à deux difficultés : les protestations de ceux
qui sont touchés et la difficulté de maintenir un service de qualité.
Le cas des retraites de la RATP et de la SNCF a montré le
poids des groupes de pression. Le gouvernement Fillon a annoncé haut et fort
qu’il avait réussi à régler le problème. En fait, il n’a touché en rien aux
retraites des salariés de ces entreprises aujourd’hui en activité. Seuls ceux entrés
dans ces entreprises depuis la réforme verront dans quelques décennies leurs
pensions diminuer.
Quant aux mesures prises pour réduire les effectifs de
l’administration on sait qu’elles ont beaucoup désorganisé sans vraiment réaliser
d’économies. Ce qui explique d’ailleurs que les déficits aient continué de se
creuser alors que des mesures étaient prises pour réduire les dépenses. En ce
sens, le choix d’un mix qui met l’accent sur les impôts sera plus efficace même
s’il ne permettra sans doute pas d’atteindre cet objectif de 3% annoncé.
Ne pas atteindre cet objectif de 3%, est-ce si grave ?
Faut-il d’ores et déjà parler d’échec ? pas forcément. L’important
est la volonté manifestée par le gouvernement de réduire le déficit, volonté
confirmée par des mesures difficiles, douloureuses qui permettront de réduire
le déficit même si ce n’est pas d’autant que prévu. Les créanciers, les marchés
financiers, ceux qui nous prêtent de l’argent seront d’autant plus indulgents
qu’ils savent le coût politique des mesures prises. Et le fait que le taux de
3% risque de ne pas être atteint ne les gênera probablement pas beaucoup. Pour
deux motifs : d’abord parce que c’est la tendance qui compte à leurs yeux,
et la tendance va dans le bon sens, et, ensuite, parce qu’ils sont sans doute
moins obnibulés par ces 3% que les gouvernements.
Les marchés se préoccupent surtout de la capacité des Etats
à rembourser les prêts qu’ils leur font. Et ce qui les intéresse est donc de
savoir si les dépenses qu’un Etat va réaliser grâce à son endettement lui
promettent de recettes fiscales suffisantes pour assurer le service de la
dette.
Ils n’ont ni les moyens ni le temps d’entrer dans les détails,
ils se contentent de quelques mesures simples. Le déficit d’un Etat doit
correspondre à peu près à son niveau historique de croissance corrigé de
l’inflation. Le taux de 3% correspond à peu près à cela, et c’est bien pourquoi
c’est ce que visent tous les pays développés, l’Europe mais aussi les
Etats-Unis. Mais on voit bien qu’il n’est pas figé : un pays qui aurait une
croissance de 2% l’an et une inflation du même niveau pourrait sans doute
supporter un déficit légèrement supérieur sans difficultés. Les marchés ne
commenceraient à s’inquiéter que si ce déficit dérapait. Et c’est parce qu’il a
passé ce seuil où il cesse d’être soutenable dans de nombreux pays européens
qu’ils les ont sanctionnés.
Le gouvernement Ayrault a donc choisi une stratégie qui
paraît plus efficace que d’autres pour rééquilibrer les comptes. Reste à mener
la bataille avec adresse parce que les risques de récession et donc de baisses
des recettes fiscales ne sont pas minces. Reste aussi à s’assurer qu’il saura
bien réduire les dépenses et toucher là où celles-ci se développent. Il lui
faudra d’autant plus d’habileté qu’il souhaite réduire massivement les cotisations
sociales des entreprises et que cela suppose un transfert vers les ménages,
vers, notamment, la CSG. Or, ce transfert étant important, de l’ordre de 40
milliards, il ne pourra se faire que si le gouvernement, une fois donnés des
gages aux marchés financiers, s’engage également dans une baisse des dépenses.
Ce qu’il devra faire autrement que les gouvernements Sarkozy qui ont tout misé
sur la réduction des effectifs de l’administration centrale avec des résultast
mitigés. Il lui faudra tailler dans le mille-feuille administratif, dans les
effets pervers d’une décentralisation qui bien loin de réduire les coûts de
l’Etat les a fait exploser en multipliant les couches : communes,
intercommunalités, départements, régions…
S’il veut effectivement pérenniser la
discipline budgétaire, le gouvernement Ayrault devra s’attaquer à ce chantier
qui ne sera pas le plus facile tant il risque de se heurter aux oppositions des
élus de tous bords. Son incapacité à faire appliquer la règle du non cumul aux
élus socialistes n’est qu’un avant-goût des oppositions qu’il risque de
rencontrer.
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