Les chroniques économiques de Bernard Girard

16.10.12

Ayrault a-t-il choisi la bonne stratégie pour réduire le déficit?




Le gouvernement a donc choisi d’exercer une forte pression fiscale sur les Français pour sortir du déficit budgétaire. Les premières réactions ont surtout porté sur l’impact de ces mesures sur les uns et les autres. les observateurs sont à peu près tous tombés d’accord sur deux points : beaucoup plus de contribuables que ne le dit le gouvernement seront touchés par ces mesures, celles-ci affecteront en priorité les plus riches.

En ce sens, on peut dire que le gouvernement a loupé sa communication en faisant croire que 90% des Français échapperaient à toute augmentation de l’impôt mais qu’il a bien tenu ses promesses d’équité. Il a d’autant plus raté sa communication qu’il a annoncé quelques jours plus tard son intention de financer les baisses de cotisations sociales des entreprises par la CSG, ce qui signifie une augmentation des impôts pour tous. Depuis, on le sait, il a reculé, s’est emmélé les pieds dans ses projets, mais peu importe. La seule chose certaine est qu’il y aura des augmentations d’impôts d’autant plus élevées que l’on est plus riche.

Reste à savoir si ces nouvelles mesures seront efficaces. Vont-elles effectivement le réduire le déficit. Ce sera le cas si elles améliorent massivement les recettes fiscales ? mais les amélioreront-elles autant que le souhaiterait le gouvernement ? Ce n’est pas certain.

Plusieurs facteurs pourraient contrecarrer ses projets : la récession qui réduirait les recettes des entreprises et celles des ménages, la fraude, l’évasion fiscale et le changement des comportements des agents économiques, de ceux, du moins, qui risquent d’être le plus touchés par ces nouvelles mesures.

La récession, le mauvais exemple de 2009
Une mauvaise situation économique pourrait gêner considérablement le gouvernement. Le mécanisme est simple et bien connu : les recettes diminuent, du fait de la crise, tandis que les dépenses, notamment les dépenses sociales, les allocations chômage, augmentent. C’est ce qui s’est produit en 2009 : cette année là, la croissance économique avait été négative, elle avait reculé d’un peu plus de 2%, ce qui s’était traduit, mécaniquement, par une augmentation du déficit. Les recettes de l’Impôt sur les Sociétés ont, cette année là, baissé de 6% et celles tirées de l’impôt sur le revenu de 23%. Droits de douane et TVA avaient également subi une érosion significative.

Cela peut-il se reproduire ? sans doute. Et c’est d’autant plus prévisible que le contexte général est mauvais, plusieurs de nos voisins sont entrés en récession et vont donc réduire, si ce n’est déjà commencé, leurs achats de nos services et produits. Cette perte de recettes peut-elle être aussi importante qu’en 2009 ? il faudrait, pour cela, que la croissance recule bien plus qu’il n’est aujourd’hui indiqué dans les prévisions les plus négatives. Peut-elle cependant réduire à néant la polituque du gouvernement ? 

Si l’on regarde ses recettes fiscales, elles se partagent en quatre grandes sources : la TVA qui représente 51% de ses recettes, l’impôt sur le revenu, un peu plus 20%, l’impôt sur les sociétés, un peu plus de 17%, la Taxe sur les produits pétroliers, un peu plus de 5%, le reste se partageant entre différentes taxes.
Ces chiffres l’indiquent : s’il veut conserver ses recettes fiscales, l’Etat a tout intérêt à soutenir la consommation qui risque de souffrir de l’augmentation de l’impôt sur le revenu s’il apparaît qu’elle touche effectivement beaucoup de monde, et de la montée du chômage. D’où, au delà des polémiques politiques, l’intérêt des débats sur l’impact des mesures annoncées sur les ménages. Si elles ne touchent vraiment, comme l’affirme le gouvernement, que les plus riches, l’impact sur la consommation sera réduit. Dans le cas contraire, ce sera beaucoup plus difficile.

Vues les augmentations prévues, les recettes tirées de l’impôt sur le revenu devraient progresser. Toute la question est de savoir si elles progresseront suffisamment pour compenser les pertes prévisibles de recettes sur l’impôt sur les sociétés dont les bénéfices vont très probablement rétrécir du fait du recul de la croissance.

La fraude
Venons-en maintenant au deuxième point : la fraude. L’augmentation des impôts entraîne presque automatiquement son augmentation lorsque celle-ci est possible. On sait qu’elle ne l’est pas pour tous. Un commerçant ou un artisan peuvent plus facilement masquer une partie de leurs revenus qu’un salarié.

Cette fraude est importante. En 2010, Valérie Pécresse avait indiqué que le fisc et les douanes avaient récupéré  16 milliards d’€ grâce à leurs différents contrôles. Le syndicat Unifié des Impôts estimait, lui, en 2008, que le montant de la fraude fiscale était de l’ordre de 40 milliards. Il s’agit, à l’évidence, de sommes gigantesques et si le gouvernement veut réussir son pari, il lui faudrait éviter qu’elles augmentent.

Jérôme Cahuzac, le ministre du budget, vient d’annoncer qu’il présenterait en décembre prochain de nouvelles mesures pour lutter contre. Fort bien, mais on sait aussi que la fraude dépend de la manière dont l’impôt est conçu. L’impôt sur la fortune en offre un bel exemple : il taxe également les biens immobiliers et les actions. Or, il est bien plus facile de tricher sur la valeur d’un bien immobilier qui ne peut au mieux faire l’objet que d’estimations susceptibles de varier que sur la valeur d’actions qui sont publiées au jour le jour. En ce sens, les propositions d’intégrer dans l’impôt sur la fortune les œuvres d’art, si elle a une portée symbolique, risque de ne guère rapporter : comment savoir si tel ou tel contribuable possède des œuvres d’art ? et comment évaluer celles-ci alors que leur prix peut fortement varier selon leurs conditions de mise en vente comme l’illustrent tous les jours les résultats de Drouot et des autres salles de vente.

L’évasion fiscale
On associe parfois l’évasion fiscale à la fraude. Ce sont deux choses différentes. Les français ont le droit d’aller s’installer à l’étranger. Ils n’ont pas celui de frauder.

L’évasion fiscale, l’installation de contribuables à l’étranger, en Suisse, en Belgique, en Grande-Bretagne pour échapper à l’impôt fait régulièrement l’objet des titres de la presse. La présidente du Medef a annoncé qu’elle exploserait, quelques cas d’artistes, de sportifs ou d’industriels font de temps à autre scandale. Le phénomène est cependant mal connu. Malgré toutes les déclarations alarmistes il ne semble pas qu’il ait beaucoup progressé ces derniers mois, mais peut-être est-il un peu tôt pour le dire.
Il est vrai que l’évasion fiscale est plus simple aujourd’hui, dans une Europe ouverte, qu’hier, dans des pays fermés. Il est vrai également qu’elle ne concerne plus seulement des particuliers fortunés, mais qu’elle peut être organisée par de grandes entreprises. Il leur suffit, au terme d’une réorganisation, d’installer à l’étranger, en Belgique, par exemple, leur siège social ou telle ou telle de leur activité pour que ceux de leurs dirigeants qui perçoivent des salaires très élevés deviennent résidents d’un pays à la fiscalité plus clémente. Mais, il y a des limites à l’exercice : il n’est pas évident de diriger une entreprise depuis l’étranger, sachant qu’un français ne peut être résident fiscal à l’étranger que s’il y vit de longues périodes. Gabriel Zucman, qui a réalisé une étude sur le phénomène entre 1995 et 2007, parle d’un flux des départs assez faible, de l’ordre de 500 par an. Cet économiste de l’école de Paris évalue le manque à gagner du fisc français du fait de cette évasion fiscale à, à peu près 5 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget du ministère de la justice.

Les montants de la fraude et de l’évasion fiscale sont, on le voit, significatifs. Si l’on savait comment les combattre et les supprimer on pourrait faire l’économie des augmentations d’impôts. Les montants sont comparables : l’effort fiscal demandé aux Français est de 30 milliards. La fraude est évaluée à 40 milliards et l’évasion à 5 milliards. Mais on ne sait pas. Et le risque est de les voir augmenter même s’il est probable que ce ne sera que de peu. 

Trop d’impôts peut-il tuer l’impôt ?
Reste un dernier point : trop d’impôts pourrait tuer l’impôt. C’est une thèse que les économistes soutiennent régulièrement. Leur raisonnement est le suivant : les agents économiques soumis à une trop forte pression fiscale réduisent leurs efforts. A quoi bon travailler plus si c’est pour ne pas gagner plus. C’est la fameuse thèse de Laffer que l’on voit aujourd’hui réapparaître dans quelques éditoriaux.
Le raisonnement est populaire. Il a nourri et continue de nourrir les argumentaires de tous ceux qui militent pour des baisses d’impôts. On sait cependant qu’il ne fonctionne pas : ce n’est pas par ce que l’on baisse les impôts que les agents économiques travaillant plus, gagnent plus et finissent par en payer plus. Et a contrario, on n’a jamais vraiment prouvé que les augmentations d’impôts réduisaient la propension à travailler. On imagine mal un directeur d’entreprise, un commerçant ou un médecin prendre quelques jours de vacances de plus parce qu’il paie trop d’impôts pour payer moins d’impôts même s’il n’est pas rare de les entendre proférer ce type de menace.

Le plus probable est que ces augmentations d’impôts des plus riches conduiront les entreprises à rechercher d’autres modes de rémunération. Et elles auront là l’embarras du choix : plutôt que de verser des salaires mirifiques, elles pourront loger leurs cadres dirigeants, mettre à leur disposition une voiture avec chauffeur, une carte de crédit avec la capacité de dépenser autant qu’ils souhaitent. Il est même probable que ces hausses d’impôt favoriseront le développement de l’individualisation des hautes rémunérations et la mise en place de cocktails de rémunérations qui donnent à chacun la possibilité de construire sa rémunération en fonction de ses contraintes. Le chef d’une famille nombreuses a d’autres besoins que le célibataire : il est moins imposé et peut donc préférer du salaire à des avantages en nature…

On le voit donc, plusieurs facteurs peuvent raboter une partie des recettes fiscales qu’attend le gouvernement. Au risque de ne pas réduire autant que prévu le déficit. Est-ce grave ? Pas forcément si cela lui permet tout de même de réduire de manière significative le déficit.

Il est plus facile de collecter des impôts que de réduire les dépenses
Le gouvernement s’est donné des objectifs ambitieux. Il veut ramener le déficit public à 3% en 2013, contre 4,5% pour cette année. Y arrivera-t-il ? pour tous les motifs que j’ai donnés, recul de la croissance, augmentation des dépenses sociales, de la fraude et de l’évasion fiscale, modification du comportement des entreprises, ce n’est pas le plus probable. Ce qui amène à se poser deux questions : est-ce que cet objectif de 3% est raisonnable ? est-ce que l’on aurait pu l’atteindre autrement ?
Pour atteindre son objectif, le gouvernement a choisi un mix qui associe augmentation des impôts de l’ordre de 30 milliards, et réduction des dépenses publiques de l’ordre de 10 milliards. Il aurait pu faire, comme le proposait la droite, le contraire, faible augmentation des impôts, forte baisse des dépenses. C’est le chemin qu’a suivi dans les années 90 le Canada. Aurait-ce été une meilleure piste ? ce n’est pas certain. Et pour un motif tout simple : il est plus facile de collecter des impôts que d’agir sur les dépenses.

Chaque fois que l’on veut toucher aux dépenses de manière autoritaire, on se heurte à deux difficultés : les protestations de ceux qui sont touchés et la difficulté de maintenir un service de qualité.
Le cas des retraites de la RATP et de la SNCF a montré le poids des groupes de pression. Le gouvernement Fillon a annoncé haut et fort qu’il avait réussi à régler le problème. En fait, il n’a touché en rien aux retraites des salariés de ces entreprises aujourd’hui en activité. Seuls ceux entrés dans ces entreprises depuis la réforme verront dans quelques décennies leurs pensions diminuer.

Quant aux mesures prises pour réduire les effectifs de l’administration on sait qu’elles ont beaucoup désorganisé sans vraiment réaliser d’économies. Ce qui explique d’ailleurs que les déficits aient continué de se creuser alors que des mesures étaient prises pour réduire les dépenses. En ce sens, le choix d’un mix qui met l’accent sur les impôts sera plus efficace même s’il ne permettra sans doute pas d’atteindre cet objectif de 3% annoncé.

Ne pas atteindre cet objectif de 3%, est-ce si grave ?
Faut-il d’ores et déjà parler d’échec ? pas forcément. L’important est la volonté manifestée par le gouvernement de réduire le déficit, volonté confirmée par des mesures difficiles, douloureuses qui permettront de réduire le déficit même si ce n’est pas d’autant que prévu. Les créanciers, les marchés financiers, ceux qui nous prêtent de l’argent seront d’autant plus indulgents qu’ils savent le coût politique des mesures prises. Et le fait que le taux de 3% risque de ne pas être atteint ne les gênera probablement pas beaucoup. Pour deux motifs : d’abord parce que c’est la tendance qui compte à leurs yeux, et la tendance va dans le bon sens, et, ensuite, parce qu’ils sont sans doute moins obnibulés par ces 3% que les gouvernements.

Les marchés se préoccupent surtout de la capacité des Etats à rembourser les prêts qu’ils leur font. Et ce qui les intéresse est donc de savoir si les dépenses qu’un Etat va réaliser grâce à son endettement lui promettent de recettes fiscales suffisantes pour assurer le service de la dette.

Ils n’ont ni les moyens ni le temps d’entrer dans les détails, ils se contentent de quelques mesures simples. Le déficit d’un Etat doit correspondre à peu près à son niveau historique de croissance corrigé de l’inflation. Le taux de 3% correspond à peu près à cela, et c’est bien pourquoi c’est ce que visent tous les pays développés, l’Europe mais aussi les Etats-Unis. Mais on voit bien qu’il n’est pas figé : un pays qui aurait une croissance de 2% l’an et une inflation du même niveau pourrait sans doute supporter un déficit légèrement supérieur sans difficultés. Les marchés ne commenceraient à s’inquiéter que si ce déficit dérapait. Et c’est parce qu’il a passé ce seuil où il cesse d’être soutenable dans de nombreux pays européens qu’ils les ont sanctionnés.

Le gouvernement Ayrault a donc choisi une stratégie qui paraît plus efficace que d’autres pour rééquilibrer les comptes. Reste à mener la bataille avec adresse parce que les risques de récession et donc de baisses des recettes fiscales ne sont pas minces. Reste aussi à s’assurer qu’il saura bien réduire les dépenses et toucher là où celles-ci se développent. Il lui faudra d’autant plus d’habileté qu’il souhaite réduire massivement les cotisations sociales des entreprises et que cela suppose un transfert vers les ménages, vers, notamment, la CSG. Or, ce transfert étant important, de l’ordre de 40 milliards, il ne pourra se faire que si le gouvernement, une fois donnés des gages aux marchés financiers, s’engage également dans une baisse des dépenses. Ce qu’il devra faire autrement que les gouvernements Sarkozy qui ont tout misé sur la réduction des effectifs de l’administration centrale avec des résultast mitigés. Il lui faudra tailler dans le mille-feuille administratif, dans les effets pervers d’une décentralisation qui bien loin de réduire les coûts de l’Etat les a fait exploser en multipliant les couches : communes, intercommunalités, départements, régions… 

S’il veut effectivement pérenniser la discipline budgétaire, le gouvernement Ayrault devra s’attaquer à ce chantier qui ne sera pas le plus facile tant il risque de se heurter aux oppositions des élus de tous bords. Son incapacité à faire appliquer la règle du non cumul aux élus socialistes n’est qu’un avant-goût des oppositions qu’il risque de rencontrer.