Les chroniques économiques de Bernard Girard

24.4.12

Les PME ont besoin de trouver de nouveaux modes de financement


Pour écouter cette chronique donnée sur Aligre FM le 24/04/2012

Trop de défaillances d'entreprises
En avril, les grandes entreprises publient leurs résultats. Et pour beaucoup ils sont excellents, leur chiffre d’affaires progresse tout comme leur bénéfice. C’est, notamment, le cas pour LVMH, Plastic Omnium, Sodexho et bien d’autres. Et, en même temps, on apprend qu’il n’y a jamais eu autant de défaillances d’entreprises, de mise en redressement judiciaire ou de liquidation. En fait, prés de 60 000 entreprises ont fait faillite l’année dernière en France, autant qu’aux Etats-Unis. Ce paradoxe signale l’émergence d’une économie duale avec, d’un coté, de grandes entreprises  internationales qui se portent comme un charme, qui offrent d’excellents rendements et attirent donc vers elles les capitaux et, de l’autre, des entreprises plus petites, PME, entreprises de taille intermédiaire, ETI comme on dit aujourd’hui, qui se révèlent fragiles, très fragiles. Cet écart est, sans doute, pour beaucoup dans nos difficultés, qu’il s’agisse du chômage ou de la montée des inégalités.

Chômage, parce que ces entreprises qui disparaissent détruisent des emplois tandis que les grandes entreprises n’en créent plus chez nous, elles vont en créer là où sont leurs nouveaux marchés, dans les pays émergents, inégalités parce que les entreprises internationales qui ont de bons résultats les partagent, pour partie au moins, avec leurs collaborateurs quand les salariés des groupes en difficulté doivent se serrer la ceinture, mais entrons dans le détail.

C'est grave parce que ce sont ces grosses PME qui recrutent le plus facilement quand tout va bien
Sur les 3 premiers mois de l’année, 16 206 procédures de redressement judiciaire, de liquidation ou de sauvegarde ont été prononcés. Le chiffre est important, mais en ligne avec ce qu’il était les années précédentes, c’est lorsque l’on entre dans le détail que l’on mesure la gravité de la situation. Il y a toujours eu beaucoup de défaillances des très petites entreprises, mais cette fois-ci ce ne sont pas elles qui posent particulièrement problème, ce sont les entreprises de taille moyenne : ce sont les PME de plus de 50 salariés dont le taux de défaillance a augmenté de 27%. Or, c’est là que se trouvent les emplois. Ce sont ces entreprises de taille moyenne bien plus que les moins de cinquante personnes qui créent des emplois, qui sont, du moins, susceptibles de créer des emplois qualifiés bien rémunérés.

Elles recrutent plus facilement parce qu’elles ont moins de barrières à la croissance que les entreprises plus petites qui ne veulent pas passer les seuils administratifs et légaux, celui des cinquante salariés, par exemple, au delà duquel il faut créer un comité d’entreprise, ce qui donne au dirigeant d’entreprise le sentiment qu’il n’est plus seul maitre à bord, qu’il doit négocier toutes ses décisions. Parce qu’elles n’ont pas cet obstacle, ces grosses PME recrutent lorsque leur activité est en hausse quand des entreprises plus petites préfèrent souvent demander à leurs clients des délais.

Elles recrutent également plus facilement parce qu’elles bénéficient d’économies d’échelles dans de nombreux domaines, comme par exemple dans celui des services au personnel, qui en réduisent le coûts. Pour ne prendre qu’un exemple tout bête, le traitement d’une feuille de salaires coûte beaucoup moins cher dans une entreprise de 300 personnes que dans une entreprise de 25. La plus grosse peut avoir un matériel informatique plus performant, elle peut surtout avoir accès à des prestataires de service plus compétitifs. L’expert-comptable qui réalise les feuilles de paie des petites entreprises facture en moyenne ces bulletins 20€ pièce quand l’entreprise de 300 personnes peut s’adresser à des spécialistes qui les lui facturent 12 ou13€. Et ce qui est vrai du bulletin de paie l’est de bien d’autres facteurs de gestion.
Elles recrutent également plus facilement parce plus elles sont grosses plus elles sont susceptibles d’exporter et de trouver des occasions de croissance sur d’autres marchés que leur marché local.
Pour tous ces motifs, ces défaillances d’entreprises de taille intermédiaire sont inquiétantes. Elles sont pour beaucoup d’origine financière.

Des PME qui peinent à se financer
Chacune de ces défaillances a sa propre histoire, mais on retrouve toujours les mêmes composants : des difficultés économiques, des ventes qui diminuent, une demande qui recule, des clients qui font défaut, des produits vieillis, un concurrent plus performant et… des difficultés à se procurer le crédit nécessaire pour passer le cap, relancer l’activité, investir dans de nouveaux marchés ou de nouveaux produits.
Les banques ne prennent pas de risque avec les PME en difficulté. Elles demandent des garanties sur les biens personnels des dirigeants, ce qui les condamne à tout perdre si l’entreprise fait faillite. Elles le font d’autant plus volontiers que celles-ci sont plus endettées, soit vis-à-vis de leur banque soit vis à vis de leurs fournisseurs, ce qui est souvent le cas : le crédit interentreprise est dans les PME, en beaucoup plus élevé en France que chez beaucoup de nos voisins, il représente de 15 à 20% de leur passif, contre seulement 8% en Allemagne. C’est un signe de fragilité même si cela tient, pour beaucoup, à cette mauvaise habitude qui consiste à faire trainer les règlements des factures. Les délais de paiement des fournisseurs ont tendance à diminuer mais ils dépassent toujours les soixante jours.

Par ailleurs, les banques demandent aux PME, qui n’ont que peu d’autres moyens de se financer, des taux d’intérêt beaucoup plus élevés qu’aux grands groupes. Parce qu’elles offrent moins de garanties, mais aussi parce qu’elles ont moins de possibilité de faire autrement que de s’adresser à leur banque. Les grands groupes peuvent se financer de plusieurs manières, ils peuvent, notamment, aller sur les marchés et émettre des obligations, ce qu’ils font régulièrement. Le groupe Galeries Lafayette qui est actuellement en conflit avec Casino pour le rachat de Monoprix vient ainsi de contracter un emprunt obligataire de 500 millions d’euros.

Faire appel aux marchés financiers est beaucoup plus difficile pour des entreprises de taille moyenne. Les outils existants ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. 400 PME de 50 à 250 salariés sont actuellement cotées. Et les efforts faits pour en augmenter le nombre n’ont pas donné de résultats probants. Le cas d’Alternext est caractéristique. Depuis sa création, ce marché qui devait permettre aux PME de lever des capitaux sans passer par les marchés boursiers traditionnels, n’a levé que 1,8 milliards d’euros. Quant à vendre de la dette, comme font les grandes entreprises qui émettent des obligations, ce n’est, en général, pas à leur portée.

Des investissements retardés : une compétitivité menacée
Quand elles sont mises en cause, les banques se défendent et disent qu’elles ont désséré les cordons du crédit. C’est vrai des banques françaises plus que des banques étrangères installées en France, mais il est vrai que les banques offrent aujourd’hui plus facilement du crédit qu’il y a quelques mois. Les entrepreneurs qu’interrogent régulièrement l’IFOP sur le sujet en témoignent : ils étaient 44% au premier trimestre 2010 à dire qu’ils avaient du retarder leurs investissements du fait des taux ou de la difficulté d’accès au crédit, ils n’étaient plus que 27% en mars dernier. Mais les banques n’ont pas desséré de la même manière tous les crédits. Si elles ont baissé les taux des prêts à court terme, elles n’ont pas baissé ceux des prêts à moyen et long terme que les entreprises, surtout celles qui sont spécialisées dans la production industrielle, utilisent pour financer leurs investissements. Et on a là, en fait, un des facteurs qui contribuent à expliquer la désinsdustrialisation. Les entreprises industrielles de taille moyenne perdent en compétitivité parce qu’elles ont du mal à moderniser et renouveler leurs équipements et ne peuvent le faire qu’à un coût élevé. Cette situation est d’autant plus gênante que ces mêmes entreprises ont freiné leurs investissements depuis 2008, faute d’accès au crédit mais aussi parce qu’elles n’avaient pas confiance dans l’avenir. Et ce défaut d’investissement se fait aujourd’hui sentir surtout si elles trouvent en face d’elles des concurrents français ou étrangers qui ont pu réaliser ces investissements à temps. On le voit, la solution n’est certainement pas dans la mise en place de barrières douanières, mais bien dans la mise au point de solutions pour mieux financer ces entreprises.

Au delà des défaillances d’entreprise déjà soulignées, ces difficultés de financement contribuent au vieillissement des équipements industriels.

Ce viellissement présente plusieurs inconvénients. Il s’accompagne de plus de pannes, c’est-à-dire d’arrêts de la production et donc de diminution des recettes : pendant qu’une entreprise répare ses machines, elle ne fabrique pas des produits qu’elle peut vendre.

Le vieillissement peut encore avoir un impact sur l’environnement. Il n’est pas rare qu’il soit à l’origine des accidents industriels. Enfin, il réduit la compétitivité. Le plus performant est presque toujours celui qui a les équipements les plus récents.

Ces difficultés de financement sont d’autant plus sensibles que les équipements industriels ont, tout comme les produits de grande consommation, des cycle de vie raccourcis et qu’il faudrait donc les changer plus souvent.

Peu de financements alternatifs
Les candidats à l’élection présidentielle ont proposé de mettre en place une banque d’investissements et de réduire le taux d’imposition pour celles qui investiraient. Ce sont de bonnes solutions. Est-ce que cela suffira ? ce n’est pas certain. Il faudrait également que les entreprises soient plus solides financièrement. Beaucoup tentent de résoudre cette difficulté en se regroupant. C’est une bonne solution : les groupes de PME trouvent plus facilement du crédit que les sociétés indépendantes. Elles peuvent plus facilement développer des compétences financières nouvelles : il en faut pour procéder à des achats, à des fusions, à des rapprochements d’entreprises. Ces compétences permettent d’accéder à de nouvelles sources de financement plus économiques. Ce qui transparait dans les statistiques : les groupes procèdent plus facilement à des émissions obligataires que les grosses PME indépendantes.

Cela changera-t-il dans le futur ? On voit arriver sur le marché de nouveaux acteurs qui proposent aux entreprises de taille intermédiaire des produits mieux adaptés à leurs besoins. Il s’agit de produits qui permettent de mutualiser des dettes qu’on appelle Fonds Commun de Créance ou, plutôt, de Titrisation. Le mot titrisation peut faire un peu peur, il rappelle les subprimes et ces produits ne se développeront vraiment que lorsque les pouvoirs publics leur apporteront leur garantie, ce qui suppose un vote au Parlement qui ne pourrait, au mieux, avoir lieu avant septembre. (voir sur ce sujet, Agefi, PME : la solution obligataire). Mais cela ne concernerait que les plus grosses entreprises moyennes et ne réglerait pas le problème des plus petites, c’est-à-dire des plus nombreuses. Se lancer dans cette aventure a, en effet, un coût, ne serait-ce que parce qu’il faut faire appel à une agence de notation pour rassurer les marchés… 

Les banques sont elles aussi prises dans un étau
Si ces entreprises sont à la recherche de solutions nouvelles pour se financer, c’est qu’elles ne trouvent pas leur bonheur dans les banques.

Le comportement de celles-ci est souvent très sévèrement critiqué, mais il obéit à des logiques auxquelles les banquiers peuvent difficilement échapper. Il y a, d’abord, la prudence naturelle de qui prête de l’argent face à des dossiers difficiles. On reproche aujourd’hui aux banquiers de ne pas prêter mais souvenons-nous, il n’y a pas si longtemps, on leur reprochait d’avoir prêté à des gens qui n’étaient pas solvables. Il y a, ensuite, l’obligation de faire face à une insuffisance de capital due à la mise en place à venir de nouvelles règles liées  ce qu’on appelle Bâle III. C’est plus technique mais contribue à expliquer la situation.

On a beaucoup dit pendant la campagne électorale que les banques ne jouaient pas le jeu, qu’elles prenaient l’argent que leur prête la Banque Centrale Européenne à un taux très faible, de l’ordre de 1% , pour acheter des emprunts d’Etat qui leur assurent des revenus plus importants au lieu de l’investir dans l’économie. C’est exact, c’est proprement scandaleux et cela justifie que l’on demande, comme fait François Hollande, que la BCE prête directement aux états, mais c’est un mécanisme classique lorsque les établissements bancaires ont des réserves insuffisantes. C’est ce qui s’est passé au Japon dans les années 90. A l’époque, elles avaient des fonds propres insuffisants parce qu’elles avaient accumulé les pertes, emprunteurs défaillants… La situation en Europe est différente, elle tient à une évolution des réglementations, mais le résultat est le même.

Pour renforcer le système financier, il a été décidé, dans le cadre de ce qu’on appelle Bâle III de demander aux banques de renforcer leurs fonds propres. Ce que l’on a fait en introduisant de nouveaux ratios de solvabilité. En clair, les volumes de liquidités que les banques vont devoir mobiliser, voire immobiliser pour être autorisées à accorder des crédits vont augmenter en 2015.

Les banques s’y préparent et il leur faut, pour cela, d’une part, améliorer leurs rendements et, d’autre par, nettoyer leurs portefeuilles de tout ce qui ressemble à de mauvaises dettes. Ce qui explique qu’elles se montrent beaucoup plus exigeantes avec leurs emprunteurs. Et sans doute n’est-ce qu’un début.
Dans une interview accordée tout récemment à la Tribune, des financiers expliquaient, je les cite, "il est clair qu'il y a un risque avec Bâle III de renchérir le coût de financement de l'économie", "tous les crédits seront pénalisés par Bâle III". Il est bien difficile de leur donner tort.

Tout cela n’est évidemment pas de bon augure pour les entreprises de taille intermédiaire qui vont devoir ajuster leurs stratégies pour s’adapter à un contexte différent. Sans doute leur faudra-t-il diversifer leurs sources de financement, s’adresser, par exemple, à tous ces cadres dirigeants qui ont gagné beaucoup d’argent pour les inciter à investir, il leur faudra grossir pour convaincre les banques de continuer de leur prêter dans de bonnes conditions… De leur coté, les banques et les pouvoirs publics vont devoir imaginer d’autres produits financiers qui permettent d’orienter l’épargne abondante des Français vers ces entreprises moyenne mais à forte croissance. Mais rien de tout cela n’ira de soi. On peut craindre d’autres défaillances de la part d’entreprises qui n’ont pas les compétences nécessaires pour ajuster leur stratégie ou dont les patrons ne voudront pas céder un fragment de leur autonomie. Or, chercher de nouveaux actionnaires, séduire son banquier cela veut dire accepter de nouveaux contrôles. 

La reprise de l’emploi passe aussi par là.