Et maintenant la compétitivité
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Le
gouvernement vient donc de présenter son budget. Il a fait le choix d’agir
directement sur la dette, choix contesté par beaucoup mais qui a sa
logique : un niveau de dette trop élevé rend à peu près impossible toute
action, tout investissement. C’est un peu comme dans un ménage trop
endetté : arrive un moment où les recettes ne servent plus qu’à rembourser
les emprunts. Et il semble bien que nous en soyons arrivés là. C’est ce que
disait il y a quelques années François Fillon quand il expliquait qu’il était à
la tête d’un Etat en faillite. C’est ce que répète aujourd’hui Pierre
Moscovici.
Le
succès de la manifestation de ce week-end montre cependant que cela ne passe
pas toujours dans l’opinion, que la gauche de la gauche veut, et peut, profiter
de l’occasion pour se renforcer. Ce n’est pas une surprise. Mais ce budget sera
voté malgré les réticences des écologistes, des communistes et de certains
socialistes. Permettra-t-il de réduire autant que souhaité notre endettement,
de le ramener à 3% du PIB ? Beaucoup en doutent, mais à la limite peu
importe, c’est la tendance qui compte, le signe qu’on a passé le sommet de la
cote, que quoi qu’il arrive, demain, les dirigeants auront à cœur de maintenir
cet endettement à un niveau raisonnable. En ce sens, ce budget a autant une
valeur psychologique qu’une valeur économique. Valeur psychologique d’autant
plus forte qu’il est pris par la gauche, par cette gauche qui avait déjà, en
1983, cassé les reins à l’inflation et qui doit intervenir en pompier lorsque
la droite au pouvoir se révèle incapable d’imposer au pays des mesures
drastiques, douloureuses, qu’elle en est d’autant plus incapable qu’elle ne
sait les partager de manière équitable, ce que la gauche fait bien plus
naturellement.
Augmenter
les impôts et réduire la dépense publique était un passage obligé, ceux qui
disent le contraire se trompent tout simplement d’époque, refuser de lutter
contre l’endettement serait s’exposer à des taux d’inétrêt plus élevés et se
condamner à payer demain plus cher encore le service de la dette. On peut le
regretter, s’en offusquer et protester autant qu’on veut contre les marchés
financiers, cela ne sert à rien comme l’ont appris à leurs dépens les Grecs et
les Espagnols. Tant uqe nous aurons besoins d’eux pour financer nos dépenses
ils nous tiendront à la gorg. Pour reprendre l’image du ménage trop endetté, il
peut pester autant qu’il voudra contre les banquiers, reste qu’il leur faut
rembourser leur dette.
Cela dit,
augmenter les impôts et réduire la dépense publique ne suffira pas. Ce qu’il
faudrait pour nous sortir de l’ornière, c’est que l’économie redevienne plus
compétitive. Ce sera probablement la prochaine du programme du gouvernent
Ayrault. Reste à savoir comment il va s’y prendre.
Agir sur le coût du travail ?
Lorsque
l’on parle de compétitivité, on pense d’abord au coût du travail. Il serait
trop élevé en France et, de manière plus générale, en Europe. On peut faire des
comparaisons, expliquer qu’il n’est pas plus élevé en France qu’en Allemagne,
que les comparaisons avec les Etats-Unis ou le Japon ne sont pas si
catstrophiques. Tout cela est vrai, d’autant plus vrai que les données
utilisées ne sont pas toujours comparables : les assurances privées que les
entreprises contractent pour leurs salariés ne sont pas traitées comme des
cotisations sociales, or elles sont plus élevées dans certains pays que
d’autres et contribuent bien au coût du travail. Mais peu importe ces nuances, nos
concurrents sont souvent aujourd’hui plutôt la Chine, le Brésil, des pays
émergents qui ont un coût du travail beaucoup plus faible que le notre et on ne
peut évidemment passer cette question sous silence.
Réduire
le coût du travail serait forcément une bonne chose. Mais comment
procéder ?
Le coût
du travail comprend deux éléments : le salaire net que l’employeur verse
aux salariés et les cotisations sociales, part ouvrière et part patronale,
qu’il verse à différents organismes. Il est naturellement à peu près impossible
de jouer sur le salaire net. Les employeurs avaient une certaine marge de
manœuvre lorsqu’il y avait de l’inflation et qu’ils pouvaient jouer sur
l’illusion monétaire pour réduire de fait leur masse salariale : il leur
suffisait d’augmenter les salaires moins vite que l’inflation. C’est devenu
impossible depuis qu’il n’y a pratiquement plus d’inflation. Restent trois
grandes solutions : réduire les cotisations sociales, augmenter la
flexibilité ou trouver une meilleure organisation.
L’essentiel
des débats porte aujourd’hui sur les deux premiers points. Ce qui se comprend
puisque cela dépend des pouvoirs publics, ce qui n’est pas le cas du troisième.
Comment réduire les cotisations sociales ?
La réduction des cotisations sociales fait partie des
revendications les plus répétées des chefs d’entreprise, c’est aussi l’une des
politiques les plus constantes des gouvernements qui se suivent. Au point que
les cotisations sociales sur les salaires les plus faibles ont aujourd’hui
fortement diminué. Mais comment aller plus loin?
Plusieurs pistes ont été explorées. La droite avait imaginé d’introduire une TVA sociale qui aurait servi
à financer ces prestations. La gauche a, du temps de Rocard, inventé la CSG, la
contribution sociale généralisée et on lui prête aujourd’hui l’intention de
l’augmenter pour alléger le coût du travail.
D’autres encore ont imaginé de moduler les cotisations
sociales, de les augmenter pour les plus hauts revenus ou de les faire porter
sur les machines, ce que l’on appelé la cotisation sur la valeur ajoutée, une
idée de Martine Aubry que François Hollande a reprise à la fin de la campagne
électorale.
Aucune de ces solutions n’est malheureusement pleinement
satisfaisante.
Aucune de ces solutions n’est pleinement satisfaisante.
La TVA sociale a un double défaut : elle peut avoir un
impact sur la consommation et donc sur la croissance et elle est fortement
inégalitaire. Ce sont les deux arguments que la gauche avait à juste titre utilisés
pour la critiquer lorsque le gouvernement Fillon l’avait envisagée.
La CSG n’a pas ces défauts, elle est plus égalitaire
puisqu’elle est progressive et touche plus les riches que les pauvres et, ce
faisant, elle a un impact plus faible sur la consommation, mais elle en a un
autre : elle taxe le capital qui est très mobile, bien plus que le travail.
Or, notre problème est que le capital, l’épargne ne s’investit pas suffisamment
dans les activités productives, dans l’industrie. Le taxer un peu plus ne va
pas améliorer cette situation.
La modulation des cotisations sociales que propose la CGT est
une autre solution. Elle pourrait prendre différentes formes : taxer les
grandes entreprises plus que les petites, les gros revenus plus que les
faibles, le secteur tertiaire plus que le secteur secondairen, les entreprises qui licencient fréquemment plus que celles qui
ne licencient pas, ce qu’on appelle le bonus-malus… Il s’agirait dans tous les
cas d’un transfert des cotisations des uns vers les autres, ce que les uns ne
paieaient d’autres le feraient à leur place.
On peut imaginer donc mille solutions pour moduler les
cotisations mais toutes présentent toutes le même inconvénient :
l’introduction d’un extrême complexité dans ce qui est aujourd’hui relativement
simple avec la création de nouveaux effets de seuil : une entreprise
pourrait ainsi refuser des promotions ou des augmentations à ses salariés parce
que le coût en serait prohibitif, une autre pourrait refuser de croître pour ne
pas voir augmenter de manière excessive sa masse salariale.
Dernière solution envisagée, la cotisation sur la valeur ajoutée, c’est-à-dire
sur les machines, a été imaginée pour favoriser l’emploi. L’idée étant de faire
payer les entreprises qui remplacent les hommes par des machines. Séduisante a
priori, cette idée se révélerait si elle était mise en œuvre contre-productive.
Ce n’est, en effet, qu’à courte vue que l’on peut prétendre que les machines
font concurrence à l’homme et détruisent des emplois. Elles en détruisent
certainement quelques uns mais elles en créent et en protègent en même temps beaucoup
d’autres : l’automatisation améliore la productivité et donc la compétivité
de l’entreprise qui automatise son système de production. La taxer plus revient
à diminuer sa productivité et à faire exactement le contraire de ce que l’on
souhaite.
Aucune de ces solutions n’est donc pleinement satisfaisante. Sans doute peut-on aller plus loin en distinguant entre les prestations sociales qui sont liées au travail et qui doivent continuer d’être financées par celui-ci, c’est le cas du chômage, des accidents du travail et de la retraite, et celles qui pourraient aussi bien relever de la solidarité nationale : la famille, la maladie et, demain, la dépendance. Ces deux risques ne sont pas directement liés au travail et il n’y a donc pas de raison qu’ils soient financés par celui-ci. C'est cette idée que l'on retrouve à la base des transferts sur la TVA ou la CSG. L'impact ne serait évidemment pas le même selon que l'on choisit l'impôt indirect (la TVA) ou l'impôt direct (la CSG), mais la voie a été tracée depuis de nombreuses années. Il serait bien que le gouvernement, s'il s'engage dans cette voie, le fasse avec clarté.
La flexibilité
Je le disais un peu plus haut, on peut agir sur le coût du
travail de bien d’autres manières qu’en réduisant les cotisations sociales. L’une
de celles-ci consiste à ajuster au plus vite les effectifs à une demande qui
fluctue, surtout dans les périodes difficiles où l’employeur n’a qu’une très
faible visibilité. C’est aujourd’hui le cas des constructeurs automobiles qui
voient s’effondrer leurs ventes et sont bien incapables d’anticiper un rebon.
Celui se produira nécessairement, mais quand ? et comment faire pour être
ce jour là en mesure de répondre rapidement, plus rapidement que ses
concurrents à la demande ? On le voit, il ne suffit pas de se séparer de
son personnel lorsque l’on a moins de travail, il faut aussi être assuré de
pouvoir retrouver des salariés lorsque la demande redémarre.
Et l’on touche là à une autre revendication forte du
patronat : la flexibilité. Elle peut être obtenue de plusieurs manières.
En facilitant licenciements et embauches sur le modèle américain. C’est ce que
souhaitent les organisations patronales et beaucoup de spécialistes. Est-ce une
bonne solution ? Aux yeux des chefs d’entreprise, certainement. Quoi de
plus pénible que de ne pouvoir licencier une personne dont on veut se
séparer ?
Quand on regarde dans le détail, les choses sont cependant
plus compliquées. Les licenciements rapides ne sont une garantie d’efficacité
économique que si les salariés qui ont perdu leur emploi en retrouvent
rapidement un autre. Or, on le sait, ce n’est pas le cas. Prétendre que l’on
peut compenser cela par des périodes de formation est assez hypocrite. On sait
bien que, vue la manière dont elles sont organisées, ces formations sont très
souvent, surtout en période de chômage massif, de simples garages à chômeurs. Et
pour peu que le salarié reste un peu trop longtemps sans emploi, il peut se
retrouver dans cette zone grise où l’on est trop âgé pour être recruté et trop
jeune pour partir à la retraite. C’est d’autant plus rageant que l’on sait que
des emplois restent vacants faute de candidats. Mieux vaudrait imaginer des
solutions qui offrent aux employeurs à la recherche de salariés de solutions
qui leur permettent de recruter des salariés au chômage mais qui ne viennent
pas à eux parce qu’ils sont trop éloignés ou parce qu’ils n’ont pas les
compétences requises. On pense à des aides à la mobilité mais aussi à des
formations spécifiques liées à des emplois.
Mais des licenciements plus faciles ne sont pas la seule
façon de créer cette flexibilité. On pourrait l’obtenir de bien d’autres
manières : en introduisant de la flexibilité dans les horaires, piste
suivie en France depuis de nombreuses années avec l’annualisation et toutes les
techniques qui s’en rapprochent, et avec le chômage partiel.
On pourrait encore obtenir cette flexibilité par la
polyvalence : le même salarié pouvant occuper plusieurs postes peut être
déplacé de l’un à l’autre en cas de réduction de l’activité ou par la
sous-traitance ou l’intérim : plutôt que de faire tout elle-même,
l’entreprise sous-traite à des prestataires qui ajustent leurs prestations à ses
demandes.
L’appel à la sous-traitance a été très développé par les
entreprises françaises. Il est, pour beaucoup dans le développement d’un
secteur de service aux entreprises très actif. Si des entreprises comme Sodexo
sont aujourd’hui leaders mondiaux dans leurs domaines, restauration
d’entreprise, entretiens des locaux, services d’accueil, elles le doivent en
grande partie à cette volonté des entreprises de sous-traiter ces activités
ancillaires pour réduire leurs coûts. On retrouve le même phénomène pour les
sociétés de service informatique spécialisées qui déchargent les entreprises de
plusieurs de leurs tâches.
Deux autres pistes pour réduire le coût du travail
Mais poursuivons notre exploration des mécanismes qui
contribuent à la formation du coût du travail.
Quand on regarde les études de l’INSEE on découvre qu’il
varie de manière significative selon les entreprises. Il est de 11% plus élevé
dans les entreprises de plus de 1000 personnes, ce qui tient probablement à des
niveaux de qualification plus élevés, à la présence d’organisations syndicales
qui ont obtenu de meilleures salaires et des avantages sociaux, mutuelles…, au
versements de la participation mais aussi à des effets d’entraînement :
les salaires les plus élevés ont en général tendance dans les grandes
entreprises en bonne santé à tirer vers le haut les salaires les plus faibles.
Le coût du travail varie également selon la situation
géographique : il est de 43% plus élevé en Ile de France que dans le reste
du pays. Encore une fois, cela peut tenir au niveau moyen plus élevé des
qualifications et à la taille moyenne plus importante des entreprises, mais
cela vient aussi des coûts plus élevés du foncier. Un salarié, ce sont aussi
des m2 utilisés et plus
ceux-ci coûtent cher et plus le coût du travail s’en ressent. Peut-on faire
quelque chose là ? c’est en tout cas une piste à explorer tant par les
pouvoirs publics que par les entreprises.
On l’oublie trop mais le coût du travail est aussi l’affaire
des entreprises, de leur organisation, de la manière dont elles fonctionnent. Et
il n’est pas rare de les voir se plaindre d’un coté d’un coût du travail trop
élevé et le laisser, de l’autre, dériver.
Le cas de la formation permanente en est une bonne
illustration. Elle représente en moyenne un peu plus de 2% du coût du travail.
Beaucoup plus naturellement dans les grandes entreprises. Ce serait une
excellente chose si elle servait effectivement à améliorer les compétences des
salariés, mais ce n’est souvent pas le cas. Des écoonomies majeures pourraient
être réalisées sur ce poste pour peu que les entreprises s’attachent à en
évaluer effectivement l’efficacité mais, pour des motifs incompréhensibles,
elles ne s’en préoccupent pas ou peu.
De la même manière, de grosses économies pourraient être
réalisées en agissant sur l’organisation. C’est un phénomène que connaissent
tous ceux qui se sont intéressés à ces questions : la plupart des
salariés, surtout ceux qui sont bien payés consacrent une partie de leur temps
à des tâches qui ne correspondent pas à leurs compétences : lorsque, pour
ne prendre qu’un exemple, une entreprise laisse ses ingénieurs faire des
photocopies, réparer des imprimantes, lrosqu’elle les autorise à passer de
longues journées dans des réunions où ils n’ont que peu à faire… elle
gaspille inutilement leur temps et de l’argent. Mais, évidemment, l’Etat et les
gouvernements n’ont que peu de moyens d’actions sur ce phénomène alors qu’il y
a là un véritable gisement de productivité.
La compétitivité n’est pas que le coût du travail
On le voit, il y a plusieurs manières d’agir sur le coût du
travail, mais il n’y a évidemment pas que lui. La compétitivité d’une
entreprise passe également par bien d’autres facteurs : par sa capacité à
se rendre indispensable, par, dit autrement, sa capacité à créer une position
de monopole, ce qui suppose de l’innovation mais aussi des capacités de production
difficiles à imiter, par son habileté à accéder à des ressources, compétences,
matières premières, etc. mieux et plus vite que ses concurrents mais aussi par
des capacités commerciales qui permettent de vendre ses produits là où d’autres
ne savent pas aller.
C’est tout cela qui manquent non pas à toutes mais à
beaucoup d’entreprises françaises. Le coût du travail est évidemment pas
important, mais il n’a pas empêché Airbus, Dassault, LVMH, L’Oreal ou, dans un
registre complètement différent, Sodexo, PlaticOmnium… de devenir des leaders
mondiaux dans leurs secteurs.
C’est tout cela qu’il faut prendre en compte dans une
réflexion sur la compétitivité. Et l’on se tromperait louredement si l’on
pensait qu’il suffirait de réduire le coût du travail pour sauver l’industrie
frnaçaise. Ce qui ne veut, évidemment pas dire qu’il ne faut pas tout faire
pour le réduire là où cela paraît possible.
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