Les marchés attaquent la France ?
Les
marchés fourbissent leurs armes
Depuis
quelques jours, la presse de gauche, Mediapart, le candidat du Front de gauche,
mais aussi Nicolas Sarkozy agitent le risque d’une attaque des marchés contre
la France en cas de victoire de François Hollande. Et pour conforter leur
argument, ils avancent deux nouvelles passées à peu près inaperçues :
- d’abord,la création par l’Eurex, une filiale de la bourse allemande, d’un produit financier permettant à presque tout le monde, enfin, à presque tous ceux qui ont un peu d’argent, de spéculer contre la dette française.
- Et,ensuite, une décision de l’Autorité des Marchés Financiers qui a mis fin à l'interdiction des ventes à découvert sur les titres émis par 10 grandes banques et sociétés d'assurance côtées sur le marché parisien : AXA, BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole…
- d’abord,la création par l’Eurex, une filiale de la bourse allemande, d’un produit financier permettant à presque tout le monde, enfin, à presque tous ceux qui ont un peu d’argent, de spéculer contre la dette française.
- Et,ensuite, une décision de l’Autorité des Marchés Financiers qui a mis fin à l'interdiction des ventes à découvert sur les titres émis par 10 grandes banques et sociétés d'assurance côtées sur le marché parisien : AXA, BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole…
Réponse
du berger à la bergère ? François Hollande voulait s’attaquer à la
finance, il voulait la dompter, la refaire passer sous les fourches caudines du
pouvoir politique et celle-ci se rebifferait, se préparerait à l’affrontement,
s’équiperait des armes nécessaires pour mener l’assaut contre un pouvoir
socialiste hostile ? c’est possible, mais tous les bruits de sabre ne font
pas les guerres… et avant de se prononcer mieux vaut regarder dans le détail ce
nouveau produit financier.
Le 16 avril
Depuis hier, lundi 16 avril, quiconque le souhaite peut spéculer contre la dette française. C’est Marc Forentino, un chroniqueur financier de la Tribune que l’on voit de temps en temps à la télévision qui a lancé le premier cri d’alarme. Dans une de ses chroniques datée du 23 mars, il écrivait : « Le 16 Avril, soit, quelle coïncidence, une semaine avant le premier tour des élections Françaises, le marché des dérivés, L'Eurex va ouvrir un contrat à terme sur les emprunts d'Etat Français. Qu'est ce que cela veut dire? Très simplement. Jusqu'à présent, si vous vouliez spéculer contre la dette Française, vous n'aviez que deux moyens: acheter des CDS, ces fameux contrats d'assurance contre la faillite, ou vendre à découvert des emprunts d'état Français, deux moyens destinés aux grandes institutions financières et aux gros fonds spéculatifs et qui nécessitaient de gros moyens. Avec l'ouverture de ce contrat, ce sera plus facile. Tout le monde ou presque pourra acheter ou vendre à découvert des emprunts d'Etat Français. Facilement. Et en plus avec un effet de levier de 20. C'est-à-dire qu'avec 50,000 euros seulement vous pourrez vendre à découvert 1 million d'euros d'emprunts d'Etat Français. C'est l'arme idéale pour attaquer la France. (…) On va dire que c'est une simple coïncidence. Que c'est un hasard si quelques jours avant les élections présidentielles les spéculateurs du monde entier se dotent d'une arme fatale, bon marché, et à fort effet de levier pour s'attaquer à la dette Française. Il n'y a pas de complot. Rassurez-vous. Dormez tranquille. Il ne se passera rien…. »
Il a
été dans les jours qui suivent repris par d’autres journalistes financiers,
mais c’est un article de Martine Orange dans Mediapart qui a véritablement mis
le feu aux poudres et incité les politiques à y regarder de plus près. Mais de
quoi s’agit-il exactement ?
Un produit dérivé…
Comme toujours avec les produits financiers, c’est un peu
compliqué. Il s’agit de contrats à terme qui permettent d'acheter ou de vendre
des titres à un prix fixé à l'avance pour un règlement effectif à une date
ultérieure. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’obligations souveraines.
Ces contrats à terme ont été à l’origine conçus pour
permettre aux entreprises, aux investisseurs de se protéger contre les
variations des valeurs de leurs actifs, pour se protéger du risque de change,
par exemple. Mais ils se sont très vite transformés en outil de spéculation.
C’était, d’ailleurs, inscrit dans leurs gènes. Si je me lance dans un contrat à
terme pour me protéger d’un risque à venir, il faut bien que je trouve
quelqu’un en face qui accepte de prendre ce risque et qui va demander en
échange, dans l’hypothèse où tout se passe bien pour lui, une forte
rémunération.
Le produit que lance Eurex pourrait donc jouer contre la
dette française. C’était déjà possible avec ce qu’on appelle les CDS, les Credit
defaut swaps, un produit inventé au début des années 90, mais il était réservé aux
institutions financières ayant de très gros moyens puisqu’il faut mobiliser des
millions voire des dizaines de millions d’euros pour devenir un acteur sur leur
marché.
Le nouveau produit que propose Eurex baisse considérablement
le prix d’entrée puisqu’il permet
de spéculer avec une mise limitée : 100.000 euros. Ce n’est évidemment pas
à la portée de toutes les bourses, mais c’est à la portée de beaucoup dans le
monde. Et cela peut être d’autant plus tentant que l’effet de levier est estimé
entre 10 et 20 fois la mise. « Les
dégâts peuvent être rapides » comme l’explique Martine Orange dans son
article de Mediapart, « les hedge
funds et autres fonds spéculatifs vont donc pouvoir parier sur la chute de la
dette française, sans mobiliser beaucoup de fonds. »
Mais on
peut naturellement se demander comment cela peut avoir un impact sur l’économie
française.
Comment est-ce que cela fonctionne ?
Pour comprendre le mécanisme, il faut regarder ce qui se
passe avec les CDS conçus pour protéger les porteurs de dettes souveraines
contre un défaut d’un pays.
Comme tous les contrats à terme, ces produits peuvent être
comparés à un système d’assurances. Tout comme on prend une assurance lorsque
l’on craint un sinistre, on se couvre en achetant ces produits financiers lorsque
l’on s’inquiète.
Le prix des CDS est fonction de l’inquiétude des
investisseurs, des marchés. Leurs prix montent lorsque les marchés, les
porteurs de dettes souveraines veulent se protéger d’un risque. En ce sens, ces
CDS sont un indicateur de la perception que les marchés ont du risque.
Et, assez naturellement, les financiers évaluent le risque
pris sur les dettes souveraines en regardant les prix des CDS. Risque dont ils
peuvent se couvrir de deux manières, en achetant ces CDS, s’ils ont dans leur
portefeuille de la dette souveraine, et en demandant des taux d’intérêt plus
élevés s’ils veulent en acheter. Et ainsi, la boucle est bouclée, les taux
d’intérêt montent en même temps que les CDS. Les pays ont plus de mal à se
financer, leurs difficultés se creusent. On est dans le cadre d’une prédiction
auto-réalisatrice dont les premiers bénéficiaires sont les spéculateurs qui
peuvent avoir intérêt à manipuler les marchés…
Un moteur pour la spéculation
On l’a compris, il suffirait que les spéculateurs, les
fameux hedge funds, fassent monter le prix de ces CDS pour que les porteurs de
dettes souveraines s’inquiètent, se mettent à en acheter, déclenchant ainsi le
mécanisme que je décrivais il y a deux secondes. Est-ce ce qui s’est
produit ? Beaucoup d’observateurs en ont la conviction. Encore a-t-il
fallu, pour ce que cela marche que les investisseurs aient bien le sentiment d’un
risque, risque politique, par exemple. La montée du cours des CDS est alors
simplement venu confirmer ce qu’ils craignaient par ailleurs.
Ce mécanisme de spéculation aura été, dans le cas des CDS,
favorisé parce qu’on appelle les ventes à nu, la possibilité d’acheter ces
produits, ces assurances, sans avoir de dette souveraine dans son portefeuille.
C’est un peu comme si l’on pouvait acheter une assurance automobile sans
posséder de véhicule. Cela permettait à des opérateurs de se lancer sur ce
marché avec des fonds relativement limités.
Le nouveau produit d’Eurex pourrait aggraver la situation
dans la mesure où il devrait favoriser cette spéculation. Il va être vendu sur
d’autres réseaux de distribution comme un produit rapportant rapidement
beaucoup, il va s’adresser à des gens qui n’investiront dedans que dans
l’espoir de gagner beaucoup d’argent. Le nombre de ceux susceptibles de
spéculer va augmenter, et ils seront d’autant plus nombreux qu’ils seront
convaincus de faire une bonne affaire. On peut penser qu’ils regarderont le
cours des CDS. L’augmentation de 135% en un an de ceux sur la dette française
devrait les inciter à investir dans ce nouveau produit.
Ce risque de spéculation devrait donc contribuer à
l’offensive des marchés financiers contre la France, offensive qui pourrait être
aggravée par la mesure prise par l’AMF, l’Autorité des Marchés Financiers, qui vient de mettre fin à
l'interdiction des ventes à découvert sur les titres émis par 10 grandes
banques et sociétés d'assurance côtées sur le marché parisien. En clair, cela veut dire que l’on pourra plus
facilement spéculer à la baisse sur les titres de ces entreprises.
Et l’on pourrait donc se retrouver dans quelques semaines avec,
d’un coté, une augmentation des taux d’intérêt sur la dette française et, de
l’autre, un effondrement de la Bourse à Paris, une bourse qui dévisse déjà puisqu’elle
a perdu depuis la mi-mars, 11%. La France est, dit Marc Fiorentino, clairement
attaquée. Et ceci avant même que les Français aient voté.
Pourquoi l’Eurex se lance-t-il dans cette bataille ?
On peut
naturellement se demander pourquoi Eurex, une filiale de la bourse allemande,
s’est lancée dans cette aventure. Lorsqu’on les interroge, les dirigeants de
cette entreprise répondent : « Parce que les clients le demandent. »
Et s’ils le demandent, c’est
qu’ils ont le sentiment de pouvoir gagner beaucoup d’argent avec ce nouveau
produit. Des hedge funds confiaient récemment au Financial Times que
les dettes européennes leur avaient rapporté en 2011 entre 11 et 13 % par
an quand leurs autres investissements dépassaient rarement les 4-5 %. Cela
avait été leur meilleure source de profits et l’on comprend bien que cela ait
pu attirer l’attention d’autres acteurs. Pourquoi les hedge funds seraient-ils
le seuls à profiter de cette manne ?
Eurex
est une société privée qui se comporte comme n’importe quelle société
commerciale, elle développe les produits dont elle pense qu’ils rencontreront
du succès. Que cela puisse se faire au dépens d’un pays, d’une économie ne concerne
pas vraiment ses dirigeants dont la seule ambition est d’augmenter leur part de
marché et leur chiffre d’affaires. Ce qui nous amène à cette autre
question : que peut faire la France pour lutter contre ?
François
Hollande a dit qu’il interviendrait auprès des autorité allemandes pour leur
demander d’interdire ce produit. Sans doute le fera-t-il s’il est élu, mais on
peut imaginer que le gouvernement allemand lui répondra qu’Eurex est une
société privée sur laquelle il n’a pas prise. Est-ce à dire que la France est
sans ressources ? Pas forcément.
Les armes de la France
Les
outils, les armes pour engager une bataille contre la France existent, mais les
belligérants, je veux dire les marchés financiers les utiliseront-ils ? Il
y aura sans doute des escarmouches, mais les hostilités ne prendront vilaine
tournure que si les marchés s’inquiètent, s’ils pensent que le nouveau
gouvernement va prendre des mesures qui aggravent la dette et augmentent
l’incertitude. Et de ce point de vue, il n’est pas certain que François
Hollande, s’il est élu, soit plus mal placé que Nicolas Sarkozy.
On l’a
peu remarqué, mais la presse économique et financière internationale n’a pas
pris parti dans la campagne présidentielle. Elle a été également sévère avec
tous les candidats, The Economist nous a reprochés de ne pas prendre la mesure
des difficultés à venir, il n’a pas appelé à voter pour un candidat plutôt que
pour un autre, ce qui veut probablement dire que les marchés, que représente
bien cet hebdomadaire, seront demain plus dans l’expectative que dans
l’offensive.
Cela
tient à la manière dont les deux principaux candidats ont mené leur affaire, de
façon un peu paradoxale. Du candidat de gauche, on attendait des promesses, des
dépenses à tout va. François Hollande a fait tout le contraire, il a mené une
campagne modérée, a évité de faire des promesses inconsidérées, ce qui lui vaut
aujourd’hui d’être critiqué tant sur sa gauche que par les médias qui lui reprochent
de ne pas avoir assez insisté sur les marqueurs de gauche. Il a bien déclaré
que la finance était son adversaire, mais son programme ne devrait pas affoler
les marchés financiers. Il pourrait même plutôt les rassurer. Il a, en effet,
mis en avant la croissance. Il veut en négocier l’introduction dans le Traité
européen, or les marchés se méfient de l’austérité, ils veulent eux aussi de la
croissance et ne devraient en ce sens pas être inquiétés par les propositions
de François Hollande.
A
l’inverse, Nicolas Sarkozy a mené une campagne anxiogène. On attendait du
Président sortant qu’il calme le jeu, qu’il parie sur la durée, il a fait tout
le contraire, il a proposé de revenir sur plusieurs des fondements de l’Europe,
ce qui, s’il était élu et s’il s’engageait effectivement dans cette voie,
créerait beaucoup d’incertitude en Europe. Et cela inquiète. Cela a inquiété
Angela Merkel, mais aussi ceux qui dans les salles de marché suivent
l’actualité française. Ils ne sont pas naïfs, ils savent bien que les campagnes
électorales autorisent beaucoup de débordement, ils savent aussi que s’il est
élu Nicolas Sarkozy oubliera vite ses promesses, mais, justement, ils ne savent
pas ce qu’il fera… ce qui n’est pas
moins inquiétant.
On ne
peut donc pas parier sur une dégradation plus forte de la situation en cas
d’élection de François Hollande. Mais, évidemment, cela pourrait ne pas suffire
et le prochain gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, pourrait être
amené à se battre. Il pourra demander aux autorités européennes de contrôler de
manière plus étroite les marchés de tous ces produits dérivés, et c’est sans
doute ce qu’il fera, mais il pourrait aussi leur demander d’intervenir sur ce
marché qui menacent les dettes souveraines comme les banques centrales
interviennent sur celui des changes.
Le
Fonds Européen de Stabilité Financière pourrait être le bras armé de cette
bataille. S’il vendait à son tour des CDS sur les dettes souveraines, s’il en
inondait le marché, il en ferait baisser les prix, il pincerait très fortement
les spéculateurs, leur faisant perdre beaucoup d’argent, ce qui les calmerait
pendant un temps. C’est la solution que proposait en novembre dernier dans un
article publié dans les Echos, un ancien directeur de la banque de France,
Michel Castel qui enseigne aujourd’hui l’économie à Nanterre.
Les
pouvoirs publics ne seront donc pas sans ressources, mais il va falloir aux
nouveaux gouvernants quels qu’ils soient de l’énergie et de la compétence pour
nous éviter les effets de cette offensive financière qui se dessine, une guerre
d’autant plus pernicieuse que les marchés, s’ils ont des moyens considérables,
n’ont pas un général à leur tête, dont on peut deviner la stratégie, mais une
multitude d’acteurs dont il n’est pas toujours facile d’anticiper les réactions
et les comportements.
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