Les chroniques économiques de Bernard Girard

28.2.12

Finance sociale : une idée pour Nicolas Sarkozy?


La « social finance » 
On sait que Nicolas Sarkozy a choisi de faire campagne en lançant une nouvelle idée chaque jour. La tactique qui lui avait réussi en 2007 consiste à balader son adversaire d’un sujet à l’autre, de l’obliger à réagir, de le faire dans l’improvisation et donc de passer pour ne pas avoir de projet alors que lui-même en a, ou en aurait une besace pleine. La reprise de cette technique se heurte toutefois à deux inconvénients :

- la plupart de ces idées ne sont que cela : des idées qu’il ne pourra pas mettre en œuvre, soit parce qu’elles sont irréalisables, comme ces référendums sur l’immigration et le chômage qui ont occupé la première page des journaux pendant quelques jours avant de disparaître, soit parce qu’elles se heurtent à tant d’opposition qu’il y a peu de chance qu’elles voient le jour.

 - le second inconvénient est qu’il faut des idées, il en faut beaucoup et Nicolas Sarkozy paraît cette fois-ci en manquer un peu. La preuve : il pioche dans celles qu’il avait avancées en 2007.

Sur le premier de ces deux inconvénients, il m’est bien difficile de faire quoi que ce soit, mais je peux l’aider sur le second. Je peux le faire en lui proposant de regarder ce qui se fait à Peterborough, une petite ville britannique qui teste depuis deux ans un nouveau produit financier : les social impact bonds, ce que l’on pourrait traduire par obligations à impact social.

C’est une innovation financière qui devrait plaire à ses amis du Fouquet’s, aux assureurs, banquiers et autres financiers qu’il a aidés tout au long de son premier mandat, qui pourrait séduire les journalistes économiques du Figaro ou des Echos, susciter l’enthousiasme de ses militants et réconcilier les divers droites humanistes, sociales, populaires qui le soutiennent. Mais peut-être aussi, on le verra, donner quelques idées à d’autres candidats à la recherche de solutions pour financer des biens publics, des services publics, des services sociaux en période de grande pénurie. Mais de quoi s’agit-il ?

Le capitalisme au service du social 
Le principe est simple : des actionnaires financent des services sociaux confiés à des opérateurs privés, entreprises privées ou associations caritatives, un peu comme ils financent des entreprises qui vendent des produits à d’autres entreprises ou à des particuliers.

 Lorsqu’un investisseur finance une entreprise, il est rémunéré par les bénéfices que celle-ci réalise. C’est le même mécanisme qui est ici proposé à la seule différence que l’Etat est ici le client potentiel. Je dis potentiel parce que si c’est bien avec lui que les émetteurs de ces obligations signent un contrat, celui-ci stipule que l’Etat ne paiera que si les actions entreprises donnent des résultats satisfaisants.

 Ces produits financiers d’un nouveau genre relèvent de ce que l’on appelle outre-manche, le PBR, Payment by results, le paiement sur résultats, une démarche engagée au début des années 2000 et poursuivie de manière systématique par l’actuel gouvernement conservateur en matière sociale et que l’on retrouve sous une forme ou sous une autre dans toute une série de programmes concernant la petite enfance, la lutte contre la toxicomanie, les SDF…

Mais revenons à nos obligations, à nos Social Impact Bonds, ou SIBs comme disent déjà les observateurs britanniques.

La première expérimentation de ce type a été entamée en 2010 à Peterborough, une petite ville d’une quinzaine de milliers d’habitants à une quinzaine de kilomètres au Nord-Est de Londres. Le projet consiste à réhabiliter des prisonniers, tâche aujourd’hui plutôt mal prise en charge par des services publics. « Si, disent les promoteurs de cette opération, nous réussissons à réduire de 10% la récidive, nous devrions pouvoir offrir à nos investisseurs un taux de retour de 7,5% par an sur huit ans. » Ce qui en ferait, effectivement, un investissement rentable, rentable pour les actionnaires, plus même, excitant, mais aussi, du moins en théorie pour l’Etat puisqu’il serait financé par les économies qu’il ferait : qui dit baisse du taux de récidive dit en effet baisse des budgets consacrés à la police, à la justice et au système pénitentiaire. Plutôt que de construire de nouvelles places de prison, il rembourserait avec intérêt les investissements réalisés par les particuliers et institutions qui ont acheté ces obligations.

 Si ces entreprises et associations chargées de ces missions font mieux que 10%, la rémunération du capital sera plus élevée, s’ils font moins bien, elle sera plus faible. Et s’il apparaît que les services ainsi financés ne sont pas plus efficaces que ceux aujourd’hui rendus par les services publics, l’Etat ne les achètera pas et les investisseurs perdront leur mise.

 Je disais que cela pourrait intéresser Nicolas Sarkozy. Cela a en tout cas séduit le gouvernement conservateur britannique qui s’est prêté au jeu, qui suit de très près cette expérimentation et qui a d’ores et déjà expliqué que c’était une piste très prometteuse. Pour que Nicolas Sarkozy puisse reprendre cette idée, il faudrait évidemment que ses communicants trouvent une bonne manière de la présenter au grand public, qu’ils lui donnent un nom, obligation fait un peu trop sérieux, un peu trop financier quand son principal adversaire a choisi de déclarer la guerre à la finance, mais ils sauront faire : ils ont du talent pour cela. 

Mais laissons là Nicolas Sarkozy et ses communicants et revenons à ce nouvel outil financier. Que peut-on en attendre ? n’est-ce pas trop beau pour être vrai ?

Un transfert du risque de l’Etat au secteur privé 
Pour se financer, les promoteurs de ces obligations s’adressent en priorité aux organisations charitables qui s’intéressent à des projets sociaux de ce type, mais si leurs prévisions économiques se révèlent exactes, ils trouveront vite des fonds ailleurs, auprès de banques ou de gros investisseurs. Ils ont déjà obtenu pour le projet Peterborough, 5 millions de £, ce qui n’est pas négligeable, et ils en espèrent récolter en définitive 8 millions, de quoi, disent-ils, atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, qu’ils se sont engagés à atteindre.

Ils comptent réussir leur pari en jouant sur trois facteurs :

- l’efficacité réputée meilleure de la gouvernance privée,

- les innovations que ce dispositif favorise puisque l’on ne peut espérer récolter de l’argent pour financer ce genre d’opérations que si l’on montre créatif,

- et, enfin, le sous-investissement chronique de ce type de services. Si les taux de récidive sont aussi élevés, c’est que les pouvoirs publics délaissent ces activités et ne leur accordent que très peu de crédits.

L’expérience pilote de Peterborough porte sur 3 cohortes de 1000 jeunes sortis de prison après une condamnation à une peine de prison de moins d’un an. L’objectif est de réduire le taux de récidive dans l’année suivant leur sortie de prison d’au moins 10% pour chaque cohorte ou de 7,5% sur les six ans que doit durer l’opération. Les investisseurs ne seront remboursés de leur investissements que si ces objectifs sont atteints. Le seront-ils ? Est-ce seulement plausible? Il est bien trop tôt pour le dire puisque l’opération vient tout juste d’être lancée, mais on peut déjà souligner quelques points positifs.

On remarquera, d’abord, qu’une opération de cette nature est susceptible de donner à des investisseurs, des financiers, des entreprises qui souhaitent se comporter en bon citoyen une occasion de le faire tout en poursuivant des objectifs financiers traditionnels puisque, si tout se passe bien, ils recevront une rémunération. Ce peut être une manière de résoudre le vieux conflit entre les soucis de responsabilité sociale des entreprises et l’intérêt bien compris de leurs actionnaires.

 On remarquera ensuite qu’elle revient à investir 26666£ par détenu sorti de prison en accompagnement post-détention. C’est beaucoup plus que ne dépensent aujourd’hui les pouvoirs publics. Et cela vient au dessus, en plus de ce que les pouvoirs publics ou d’autres comme Sodexo, la société de services que nous connaissons ici dans ses activités de restauration d’entreprise mais qui assure un certain nombre de prestations dans les prisons anglaises, font déjà puisqu’il n’a jamais été question de supprimer ce qui existe, aussi maigre cela puisse-t-il être.

On remarquera encore qu’il s’agit d’un argent neuf et qu’il y a transfert du risque que cela ne marche pas de l’Etat au secteur privé. Et l’on peut imaginer que les investisseurs auront à cœur de faire en sorte que cela marche, non pas par philanthropie mais pour rentrer dans leurs investissements.

Restent les jeunes gens… Récidivent-ils moins ?

Pour quels résultats ? 
Les tous premiers résultats semblent encourageants. La toute première cohorte connaîtrait un taux de récidive plus faible. On cite le chiffre de 40%, mais c’est, encore une fois, bien trop tôt pour tirer la moindre conclusion.

On observe cependant que si ses premiers résultats semble encourageant, cette opération n’a pas produit les effets d’innovation que l’on en attendait : les moyens mis en œuvre sont classiques, accompagnement des familles et des détenus à leur sortie de prison, contacts réguliers avec des tuteurs, mais utilisés de manière plus systématique et plus dense.

 Il semble également que les investisseurs restent passifs et ne suivent pas de très près cette activité. Ils se comportent plus comme des philanthropes ou des mécènes que comme des investisseurs actifs qui attendent un retour. Cela tient sans doute à ce qu’il n’existe pas de marché secondaire de ces actions. Dit autrement, les investisseurs ne peuvent pas les revendre, ce qui les incite évidemment à les laisser dormir. Mais tout cela pourrait dans l’avenir changer.

Il semble surtout que la principale difficulté viendra de la mesure. Quelle base retenir pour évaluer les performances ? quel échantillon témoin ? comment le constituer ? comment éviter que les prestataires de service et leurs commanditaires ne se battent pour obtenir les bases de comparaison qui leur sont le plus favorables ? C’est là sans doute l’une des difficultés majeures, celle qui fera couler le plus d’encre, si cette opération pilote a des suites, mais ce n’est pas la seule.

Une autre difficulté pourrait venir d’un effet de sélection, de segmentation de la population. Poussés par leurs actionnaires, les prestataires pourraient être tentés d’emprunter au marketing ses techniques et concentrer tous leurs efforts sur les jeunes gens qui présentent les meilleures chances de succès. S’il apparaît, par exemple, qu’il est plus facile d’éviter les récidives des jeunes gens qui ont une famille proche, la tentation sera grande de développer l’accompagnement de cette cible, de ces jeunes gens et de leur famille et de négliger ceux qui sont seuls, isolés… On observe ce phénomène en France dans les centres d’hébergement des sans domicile fixes qui tendent à exclure les alcooliques et les drogués qui rendent la gestion de ces établissements beaucoup plus délicate et incertaine.

Dans un registre tout différent, une difficulté pourrait apparaître au moment du financement des investisseurs en cas de succès. Ce financement doit être basé sur les économies réalisées par l’Etat, économies potentielles sous forme de constructions de places de prison abandonnées, de frais de police ou de justice non engagés. Mais comment calculer ces économies ? et, surtout, comment les affecter ? qui doit payer, pour dire les choses simplement ? l’administration pénitentiaire dont les prisons sont moins surchargées ? le ministère de la justice ? celui de l’intérieur ? on peut imaginer que cela n’ira sans bagarres.

Une idée seulement pour Nicolas Sarkozy ? 
Je disais tout à l’heure en me moquant que ce pourrait être une idée pour Nicolas Sarkozy. Ce type de projet conviendrait évidemment très bien à un candidat Président qui ne manque jamais une occasion de souligner les vertus de la performance, des rémunérations selon les résultats et d’une politique qui veut réduire le poids de la dépense publique. Mais il pourrait inspirer d’autres candidats, de gauche comme de droite.

 Il s’agit, d’abord, d’une expérience pilote. Et l’un des défauts de la gouvernance à la Sarkozy est, justement, de ne pas avoir testé ses idées sur une petite échelle avant de les généraliser. Les pilotes permettent d’ajuster un projet, d’éliminer ceux qui ne donnent pas satisfaction, d’accumuler des informations utiles.

C’est un mécanisme qui donne au secteur associatif, qui en général se charge de ce type de prestations, des sources de revenus plus importantes que la seule philanthropie et sans doute moins coûteuse à collecter surtout si cette collecte est prise en charge par des institutions financières dont c’est le métier, comme les banques, comme ce pourrait être le cas si ce type de projet se développait.

C’est, enfin, un débouché pour les entreprises qui prétendent se soucier de responsabilité sociale. Elles ont là un moyen simple de montrer leur souci de participer au bien être de la cité sans sortir de leur champ de compétence et sans entrer en conflit avec leurs actionnaires. Et ce pourrait très bien être une solution pour développer des activités dont nous avons besoin, que l’Etat ne prend pas aujourd’hui en charge mais qu’il gagnerait à financer. L’accompagnement d’élèves en échec scolaire se prêterait très bien à ce genre d’opération.

Cela ne veut pas dire que cela peut marcher à tout coup. Les incertitudes sont encore fortes et les questions nombreuses, mais c’est une expérience à suivre de près. Qu’elle soit lancée par un gouvernement conservateur ne doit pas être un handicap ou une contre-indication. Le gouvernement Cameron a choisi de serrer si fort la ceinture des britanniques, de couper si massivement dans les budgets sociaux qu’il se trouve aujourd’hui dans l’obligation de trouver des alternatives parce que les problèmes sociaux, la récidive des jeunes délinquants, l’échec scolaire… restent, quoiqu’en veuillent les gouvernements et quelque soit le niveau d’endettement de l’Etat, des problèmes que la société doit résoudre.

2 Comments:

  • Quelle bonne idée pour tout le monde!
    Voilà un peu d'imagination concrète et expérimentale qui est une belle façon de faire campagne. Aube

    By Anonymous Anonyme, at 28/02/2012 12:28  

  • L'idée est excellente mais il est vrai que les communicants auraient du pain sur la planche pour bien faire comprendre ce principe à tout le monde. Malgré tout ça ne paraît pas irréalisable et si les résultats peuvent se faire sentir assez rapidement, je pense que cette idée est tout à fait envisageable, et même qu'on devrait sérieusement y penser!

    By Anonymous Annufinances, at 05/07/2013 10:02  

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