Les chroniques économiques de Bernard Girard

21.2.12

Emploi : le « miracle » allemand



Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFM le 16/02/2012

 Le chômage n’a pas explosé, malgré la récession 


S’il est un miracle allemand, il est à chercher du coté de l’emploi. On sait que le chômage est aujourd’hui très faible de l’autre coté du Rhin. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il n’a pas explosé en 2008-2009 alors que l’Allemagne était frappée de plein fouet par la crise économique. Avec une économie très tournée vers l’exportation, 400 000 entreprises allemandes exportes contre seulement 117 000 entreprises françaises, elle a pris en pleine face la récession mondiale de 2009. Son PIB a, cette année là, reculé de 4,5%. Et la production industrielle, celle de ces entreprises qui font aujourd’hui la force de l’Allemagne, a reculé de 18%.

Dans à peu près n’importe quel pays, cela se serait traduit par une explosion du chômage. Or, cela n’a pas été le cas en Allemagne. Le chômage y a bien progressé cette année là, mais modérément. Il est passé de 7,1% à 7,8%, loin des 11,7% atteint en 2005, dans une période plutôt favorable. Et, dés que l’activité économique a repris, il a chuté pour atteindre aujourd’hui un taux très bas de l’ordre de 6%.

Les Allemands que l’on nous donne actuellement si volontiers en exemple ont réussi là quelque chose que les autres, les Français, mais aussi les Américains, les Britanniques, les Espagnols, n’ont pas su faire. Mais quoi ? qu’ont-ils su faire mieux que tous les autres ?

Les mini jobs dans les services

Il ont su introduire de la flexibilité dans leur économie, mais de manières différentes selon les secteurs, selon qu’il s’agit de l’industrie ou des services.

Pour les services, on connaît la réponse, elle n’est pas très séduisante : les Allemands ont développé les midi ou mini jobs, ces emplois à temps partiel payés 400€ qui permettent aux entreprises de ne plus payer de charges sociales, d’avoir donc une main d’œuvre à un coût très faible, à un coût si faible qu’il leur est possible d’ajuster leurs effectifs au plus près de la demande, un problème que rencontrent en général les entreprises spécialisées dans les services, la restauration, l’hôtellerie, la santé, qui utilisent un personnel souvent peu qualifié. Ces entreprises ont donc souvent remplacé des salariés à temps plein mais avec des horaires classiques, par deux ou trois mini jobs que l’on peut faire venir quant on a besoin d’eux, aux heures de plus grande affluence. Ce mécanisme crée des travailleurs pauvres, mais réduit les chiffres du chômage.

Ces mini-jobs ont également permis de réduire le travail au noir, cette économie illégale qui n’est pas moins importante en Allemagne qu’ailleurs. Des travailleurs qui étaient complètement sortis du système, qui vivaient de petits jobs et d’aide sociale, ont pu rentrer de nouveau dans les statistiques.

 Mais ces effets semblent avoir été maigres. Ils n’expliquent en tout cas pas que le chiffres du chômage n’aient pas explosé.

Ce n’est pas du coté des services qu’il faut chercher ce que les économistes appellent volontiers le miracle allemand, mais bien du coté de cette industrie manufacturière qui exporte. Le secteur des services dont l’activité dépend, pour l’essentiel, du marché intérieur n’a, en effet, que peu souffert de la récession.

Une flexibilité par la réduction du temps de travail 

Si l’industrie manufacturière allemande, celle qui exporte, a su éviter les licenciements massifs, c’est grâce à… une diminution massive du temps de travail passé entre 2008 et 2009 de 1350 heures annuelles à 1309, soit une diminution d’un peu plus de 3%. Et ceci non pas avec une loi applicable à tous, comme celle des 35 heures, mais par la mise en œuvre de toute un série de mécanismes :

- le chômage partiel, d’abord, qui a touché un peu plus d’un million de salariés en 2009, alors qu’il n’en concernait l’année précédente à peine plus de 100 000 et a réduit cet horaire annuel d’un peu plus de 13 heures,

- ensuite, la réduction temporaire de la durée du travail par convention collective, qui n’a pas touché tous les secteurs mais qui a réduit, en moyenne, d’un peu plus de 10 heures le temps annuel travaillé,

- troisième élément : la suppression des heures supplémentaires, ce qui a fait à peu près 8 heures de moins, mesure qui fait sourire quand on sait qu’en France au même moment, on faisait tout pour en augmenter le nombre au nom du pouvoir d’achat et de la lutte contre le chômage,

- enfin, dernier élément : la liquidation des passifs que les salariés avaient accumulé sur leur compte-épargne temps, ce dispositif qui permet de stocker des heures travaillées en plus pour partir plus tôt à la retraite ou allonger ses période de formation ou de vacances. Cette liquidation a permis de réduire cette durée de travail annuelle moyenne de 7 heures.

Plutôt que de licencier leurs salariés, les entreprises industrielles allemandes ont donc cherché à réduire le coût du travail sans insulter l’avenir. Dès que l’activité internationale a repris, ils ont pu redémarrer sans avoir à recruter et à forer un personnel nouveau.

 Si le chômage n’a pas explosé en Allemagne en 2009, c’est que les employeurs avaient, malgré les difficultés de l’heure, assez confiance en la solidité de leur technologie, en la qualité de leurs produits, pour conserver des ressources suffisantes pour répondre à la demande dés que celle-ci réapparaîtrait.

C’est aussi qu’ils sortaient d’une période dans laquelle ils avaient souffert du manque d’effectifs. Les industriels allemands se plaignent bien plus que leurs collègues français de problèmes pour recruter. Sachant cela, il était assez naturel, qu’ils évitent de se compliquer la tâche en cas de redémarrage de l’activité.

On peut également penser que les syndicats de salariés appelés à négocier ces réductions de temps de travail accompagnées éventuellement de réduction de rémunération, ont accepté d’autant plus facilement de le faire qu’ils étaient eux aussi convaincus de la compétitivité sur le moyen terme de l’industrie allemande. A l’inverse de ce qui a pu se produire en France, il ne s’agissait pas, dans la plupart des cas, d’une manière de retarder la fermeture d’une usine dont la production est appelée à être délocalisée.

Mais le plus remarquable dans cette affaire est la manière dont ces différents dispositifs s’articulent.

Une réduction du temps de travail flexible 

C’est une loi applicable à toutes les entreprises, ou presque, qui a réduit le temps de travail en France. Ce sont en Allemagne différents dispositifs négociés à des niveaux différents qui ont donné aux entreprises et aux secteurs la possibilité de réagir à la crise.

Certains des dispositifs dont je parlais à l’instant sont nationaux et s’appliquent à tous, c’est le cas du chômage partiel qui va avec une réduction du coût du travail puisque le salaire perdu par les travailleurs mis au chômage est pour partie compensé par l’Etat.

 D’autres sont négociés au niveau de la branche, comme la réduction temporaire de la durée du travail. Ce n’est pas l’Etat qui décide, ce ne sont pas non plus les entreprises, c’est la branche, le secteur, au terme de négociations avec les partenaires sociaux. L’avantage est que cela équilibre la concurrence et évite que certains fassent preuve d’opportunisme.

D’autres encore, comme la liquidation d’actifs des compte-épargne temps sont décidés dans l’entreprise.

C’est toute une architecture de négociations sociales qui a présidé à la mise en place de ces dispositifs. Lorsque des solutions ne pouvaient être trouvées au niveau local, employeurs et salariés pouvaient en chercher une au niveau de la branche…

Tout cela a donné à l’ensemble une grande flexibilité. Chacun a pu trouver une solution adaptée à ses besoins propres au coût le plus faible, je veux dire sans réorganisation. En ce sens, cette réduction du temps de travail s’est faite tout autrement qu’en France où elle a du s’accompagner, dans beaucoup d’entreprises, de véritables efforts de réorganisation.

Ces négociations n’ont été envisageables que parce que les organisations syndicales disposent, du fait de la cogestion, d’informations précises sur la situation réelle de l’entreprise et sur ses projets. On vante beaucoup en France la cogestion à l’allemande, son principal avantage est là : il réduit la méfiance des salariés à l’égard des patrons qui peuvent plus difficilement leur cacher leurs projets. Cette confiance est particulièrement précieuse lorsqu’il s’agit de demander aux salariés de faire des efforts qui leur coûtent.

 Des dispositifs qui existent ailleurs 

Les spécialistes des questions sociales l’auront remarqué : la plupart des dispositifs mis en œuvre en Allemagne existent ailleurs, notamment en France. Nous avons aussi du chômage partiel, des compte-épargne temps et cependant, ces dispositifs ne nous permettent pas de réduire le chômage.

Sans doute faut-il faire la part de la conception de chacun. Le diable est, en ces matières dans les détails. Et on peut penser que les dispositifs allemands sont mieux conçus que le nôtres, qu’ils sont mieux adaptés à des crises qui peuvent durer plusieurs mois. Peut-être parce qu’ils sont plus anciens et que les entreprises les maîtrisent collectivement mieux. C’est dés le début des années 80 que les Allemands ont mis en place ces mécanismes de flexibilité interne par la variation du temps de travail. C’est arrivé chez nous beaucoup plus tard puisque les toutes premières mesures de ce type sont apparues dans les années 90 avec les mesures prises par Philippe Seguin dans le gouvernement Balladur.

Un autre facteur a peut-être joué : la manière dont l’industrie allemande a perçu la crise. Quand on regarde les courbes de l’indice Ifo  qui mesure le climat des affaires en Allemagne, on s’aperçoit que les industriels allemands ont commencé de s’inquiéter des perspectives de croissance dés 2007, avant donc l’éclatement de la crise et qu’ils ont repris confiance très vite, dés la fin de 2008. Tout se passe donc comme s’ils avaient un coup d’avance, qu’ils avaient commencé de s’inquiéter très tôt, avant même que leurs carnets de commande ne souffrent et qu’ils avaient repris confiance alors même qu’on ne parlait encore que de la crise dans la presse économique.

Cela tient sans doute à leur activité, à leurs contacts avec les marchés émergents qu’ils ont sans doute vu avant d’autres sortir du marasme. Mais cette double anticipation a sans doute aidé : quand on est inquiet mais que l’on continue d’avoir du travail, on ne se lance pas dans des plans de licenciement massifs, on recherche plutôt des solutions douces pour passer le cap difficile, on amorce des négociations avec les organisations syndicales, on les informe des difficultés que l’on sent venir. Et lorsque quelques mois plus tard, on voit les premiers signes d’une éclaircie, on évite de prendre des positions qui interdiraient de saisir le rebond.

 Au fond, le « miracle » allemand de l’emploi tient à trois facteurs :

 - à des mécanismes qui permettent d’ajuster rapidement, et sans trop faire souffrir, les effectifs et les horaires à l’activité,

- à la confiance entre partenaires sociaux que la cogestion a permis d’établir,

- et, enfin, à une économie qui, parce qu’elle est massivement tournée vers l’exportation sent mieux et plutôt que d’autres, les grandes tendances.

Trois facteurs qui se sont révélés efficaces cette fois-ci. Mais peut-on les copier ? ou, du moins, s’en inspirer ?

Peut-on s’en inspirer ?

Doit-on copier à la lettre ces mesures ? cela paraît difficile. Nos économies sont trop différentes. L’économie allemande est beaucoup plus sensibles aux variations de l’économie mondiale que l’économie française. Elle a beaucoup plus souffert en 2008-2009 que nous et elle profite aujourd’hui beaucoup plus de la reprise de la demande mondiale. Les activités industrielles, manufacturières qui sont au cœur de son économie se prêtent beaucoup mieux que les activités de service à des fluctuations des horaires.

 Le chômage dont nous souffrons et celui dont a été menacé l’industrie allemande en 2008-2009 ne sont pas non plus de même nature. Ce n’est pas la même chose de perdre son emploi parce qu’une usine est délocalisée dans un pays lointain et le perdre parce que le carnet de commande de l’entreprise est vide. Dans le premier cas, il paraît difficile de revenir en arrière, dans le second, tout peut redémarrer rapidement.

Il y a donc des limites à ce que l’on peut tirer de cet exemple, mais il est plusieurs points sur lesquels on pourrait s’en inspirer.

Il serait, d’abord, utile, de regarder dans le détail les différents dispositifs mis en œuvre s’ils ressemblent à d’autres que nous avons, ils ne sont pas exactement similaires et peut-être peut-on trouver là des pistes d’amélioration.

Il conviendrait, également, de revoir l’architecture de la négociation sociale trop tournée vers le dialogue au niveau national. Le gouvernement veut permettre une négociation de la réduction du temps de travail dans les entreprises. Il néglige le niveau de la branche qui est le plus pertinent lorsqu’il s’agit de mesures transitoires prises pour résister à une crise économique passagère.

 L’Allemagne peut être en la matière un exemple pour peu qu’on le regarde dans son ensemble, et que l’on ne se contente pas d’un copier-coller de quelques mesures prises au hasard auxquelles on attribue un effet qu’elles n’ont pas forcément.