L’exemple allemand…
L’Allemagne
comme modèle
La
nouveauté de cette dernière semaine est certainement l’installation de
l’Allemagne comme modèle économique pour la France. Certains s’en réjouissent,
trouvant que c’est une excellente chose que l’Europe entre ainsi dans les
faits, d’autres s’en offusquent, trouvant assez surprenant et, pour tout dire,
un peu déplaisant de se voir ainsi comparé au bon élève si l’Allemagne est bien
un bon élève, ce qui n’est pas le cas dans tous les domaines comme on nous l’a
régulièrement rappelé. Mais cet exemple allemand a été surtout convoqué par le
Président de la République pour vendre sa TVA sociale dont l’objectif avoué est
de réduire le coût du travail.
On a
dit, à juste titre, qu’une hausse de 1,6% de la TVA n’effacerait pas l’écart
entre les salaires français et ceux pratiqués dans les pays émergents. C’est
l’évidence, mais ce n’est sans doute pas l’objectif. Cette mesure vise beaucoup
plus les écarts de compétitivité entre l’industrie française et celle de nos
voisins immédiats avec lesquels nous faisons l’essentiel de notre commerce.
Est-ce que ce sera suffisant ? ce peut l’être marginalement pour des
entreprises qui exportent en Europe des produits également fabriqués en Italie,
en Espagne ou en Allemagne. Tous pays qui pourraient, éventuellement, réagir,
en prenant à leur tout des mesures qui renchérissent nos produits.
Mais
revenons à l’Allemagne : son succès viendrait, si on a bien compris
Nicolas Sarkozy, de ce qu’elle a su baisser les salaires, de ce qu’elle a, au
fond, appliqué les recettes du Medef. C’est, bien sûr, inexact. Si l’industrie
allemande est aujourd’hui si puissante c’est pour bien d’autres motifs.
Entreprises exportatrices : des salaires plus élevés que
la moyenne
Les performances de l’industrie allemande à l’exportation
sont, nous dit-on, la meilleure preuve de sa compétitivité. C’est exact. Mais
il faut tordre le coût à une première idée : ce ne sont pas des salaires
plus faibles qui en sont la cause. Non seulement, les salaires allemands, sont,
malgré les mesures de Schröder, parmi les plus élevés au monde, mais ils sont
plus élevés que la moyenne dans le secteur manufacturier et ils le sont plus
encore dans les entreprises qui exportent (Schank, Schnabel, Wagner, Do
exporters really pay higher wages? et Klein, Moser, Urban, The
contribution of trade to wage inequality). Ce n’est pas propre à
l’Allemagne. On retrouve le même phénomène un peu partout dans le monde, dans
les pays industrialisés comme dans les pays émergents. Aux Etats-Unis, l’écart
sont de l’ordre de 7 à 11%. Et ceci est particulièrement vrai pour les salariés
les plus qualifiés.
En Allemagne, cet écart entre les salaires pratiqués dans
les entreprises qui exportent et celles qui ne travaillent que pour le marché
domestique n’a fait que croître ces dernières années avec la libéralisation des
marchés et l’augmentation du nombre d’entreprises allemandes qui exportent.
On devine pourquoi : les entreprises qui exportent emploient
des personnels plus qualifiés, la concurrence plus vive à laquelle elles sont
confrontées les amènent à investir dans tout ce qui peut améliorer leur
compétitivité. Et, enfin, comme elles sont en général plus importantes que la
moyenne, elles bénéficient d’économies d’échelles. Ce ne sont pas les
exportations qui augmentent les salaires, mais ce sont les plus performantes,
celles qui emploient les personnels les plus qualifiés, celles donc qui paient
les meilleurs salaires, qui exportent. S’il y a eu modération salariale en
Allemagne, elle a surtout concerné les entreprises qui travaillent pour le
marché domestique. Ce n’est donc pas de
ce coté là qu’il faut chercher la raison des meilleures performances de
l’industrie allemande.
Un tissu de PME exportatrices qui ont la confiance de leur banquier
La raison est plutôt à chercher du coté de la structure de
l’industrie allemande. On sait qu’il y a plus de grosses PME en Allemagne qu’en
France. Et que celles-ci, qu’on appelle les Mittelstand, jouent un rôle
déterminant dans les succès de l’industrie allemande à l’étranger. Mais
pourquoi ?
On peut avancer plusieurs explications. La première est à chercher
du coté du financement de ces entreprises le plus souvent familiales qui entretiennent
des liens étroits avec leur banquier. Elles n’en ont souvent qu’un, l’Hausbank,
qui les connaît parfaitement bien et est un spécialiste du crédit aux
entreprises industrielles. Parce qu’il entretient avec eux des relations
solides, il leur prête volontiers sur le long terme, ce qui favorise les
investissements de productivité. Parce que c’est un spécialiste du crédit aux
entreprises, il peut leur fournir des services multiples et variés :
analyse économique du secteur, études de marché à l’étranger…
A l’inverse, les entreprises françaises même petites ont en
général plusieurs banquiers qui les connaissent moins bien, sont donc plus
sensibles au risque pris et préfèrent, pour ce motif, leur prêter sur le court
terme : les banques françaises consentent plus volontiers des avances de
trésorerie à leurs clients que de quoi financer des équipements et des
machines.
Ce mode de financement favorise bien sûr le développement
d’activités industrielles qui demandent plus de capitaux que les activités de
service.
Cette qualité des relations entre les entreprises et leur
banque est particulièrement utile dans les périodes de crise. Lorsqu’en 2009,
l’industrie allemande a connu de très graves difficultés, les banques sont venues
au secours de ces entreprises familiales, les prêts aux entreprises ont
augmenté alors que chez nous, on le voit aujourd’hui, nos grandes banques ont
plutôt tendance à restreindre le crédit dans les périodes difficiles.
Et lorsqu’elles prêtent, elles le font dans des conditions
proches de celles consenties aux grandes entreprises, ce qui est bien moins le
cas en France.
Cette différence tient, pour beaucoup, à la structure du
secteur bancaire en Allemagne, bien moins concentré qu’en France, avec beaucoup
de banques locales, municipales, de coopératives, de caisses d’épargne, les
Sparkassen, spécialisées dans le financement de l’industrie, souvent contrôlées
par le autorités municipales particulièrement attentives aux performances des
entreprises et au marché de l’emploi. Beaucoup ont, d’ailleurs, dans leur
raison sociale l’obligation d’être profitable mais aussi de soutenir les
activités locales. Si l’on cherchait quelque chose de similaire en France, on
pourrait le trouver du coté des caisses régionales du Crédit Agricole dont le rôle dans le soutien l’agriculture
française a longtemps été déterminant. De ce point de vue, le projet de
François Hollande de créer une banque d’investissement avec des établissements
délocalisés dans les régions, proches donc des entreprises, est une bonne idée
qui pourrait corriger cette faiblesse notre économie.
Une spécialisation qui protège
Autre différence : la spécialisation. Les PME
allemandes qui exportent sont plus autonomes que les françaises. Elles ont cherché
et trouvé des niches, des créneaux techniques sur lesquelles elles se sont
développées à l’abri de la concurrence avec des produits qui ne souffrent pas
trop d’un coût élevé, soit parce que le travail n’entre que pour peu dans leur
coût final, soit parce qu’ils sont protégés par des brevets qui interdisent la
copie, soit encore parce que leur fabrication demande de telles compétences que
les écarts de salaires entre pays ne jouent plus de manière aussi significative.
Les grosses PME françaises, qui sont souvent des filiales
des grands groupes industriels, pratiquent plus volontiers la sous-traitance :
si elles exportent, c’est à l’abri, sous le parapluie des grands groupes. Or,
cela les fragilise : leur donneur d’ordre peut à tout moment leur préférer
un concurrent mieux disant installé ailleurs dans le monde. Tout ce que l’on
dit sur l’incitation des grands groupes à tirer les PME à l’exportation va donc
plutôt dans le mauvais sens.
Cette autonomie à l’exportation des PME allemandes n’est
possible que parce que l’Allemagne a développé un formidable outil de
mutualisation, de partage des efforts commerciaux. C’est le pays des grandes
foires. Il faut être allé une fois à la Foire de Hanovre, qui regroupait
l’année dernière 6500 entreprises venues de plus de 65 pays pour en mesurer la
puissance. Les industriels du monde entier viennent faire leur marché en
Allemagne. On ne peut pas dire qu’ils le fassent en France. Et ces foires
allemandes sont accessibles à toutes les entreprises, même aux plus
petites : le m2 de stand est vendu à la foire de Hanovre moins
de 200€.
Centrales nucléaires, TGV ou aéronautique, pour ne prendre
que ces quelques exemples de spécialités industrielles françaises, font appel à
de très hautes technologies et demandent des compétences et tout un
environnement qui ne se copient pas du jour au lendemain. Il faudra des années
avant que la Chine ou l’Inde fabriquent des avions capables de faire
concurrence à Airbus ou à Boeing. Des années, sauf si… nous les aidons. Et on
aperçoit là une autre différence majeure entre la France et l’Allemagne.
Nos exportations sont très souvent tirées par de gros
contrats négociés au plan politique. Nicolas Sarkozy est allé en Inde faire la
promotion du Rafale, après l’avoir tenté sans succès au Brésil et en Lybie, et
il espère bien en tirer un avantage politique. D’autres avant lui ont fait de
même et c’est même une des traditions les mieux ancrées dans les couloirs du
pouvoir que l’organisation de ces voyages politico-industriels où le Président
emmène quelques dizaines de grands patrons pour signer des contrats. La presse
d’opposition s’en moque en général, soulignant chaque fois que possible l’écart
entre les déclarations d’intention et la réalité des contrats effectivement
signés. Mais il arrive qu’ils aboutissent. Et c’est alors que la différence
entre l’Allemagne et la France apparaît.
Que peuvent en effet demander les autorités politiques des
pays clients au Président de la République ? des remises de prix ? Ce
n’est pas de leur compétence. Ils recherchent des avantages politiques, des investissements
chez eux et des transferts de technologie. En achetant des Rafales, si elle les
achète bien, l’Inde se procurera également des compétences, du savoir-faire
qu’elle pourra demain nous opposer. Il en va évidemment tout autrement lorsqu’un
industriel indien achète des roulements à bille, des moteurs ou des pièces
mécaniques très sophistiquées à un producteur allemand : seuls comptent
alors les caractéristiques, les performances et le rapport qualité-prix. Dit
autrement, la spécialisation de l’Allemagne la protège mieux de la concurrence
des pays émergents.
Un hinterland industriel
Toutes ces caractéristiques que je viens de décrire sont
anciennes, datent, pour certaines, du début de l’industrialisation en
Allemagne, pour d’autres de l’immédiat après-guerre lorsqu’il a fallu créer des
institutions financières pour distribuer les fonds du plan Marshall. Les
mesures Schröder n’ont donc pas grand chose à voir avec cela. Les mini-jobs
dont on parle tant, ces emplois qui permettent de gagner 400€ en travaillant à
temps partiel exonéré de cotisations sociales et d’impôts qui ont tant fait
pour améliorer les statistiques du chômage outre-Rhin et augmenter le nombre de
travailleurs pauvres, sont surtout utilisés dans les activités de
service : restauration rapide, services aux personnes, commerce de détail…
On en trouve beaucoup moins dans les entreprises industrielles qui ont besoin
d’un personnel qualifié.
Ce qui est nouveau, et probablement décisif pour l’avenir de
l’industrie allemande, est la création, ces dix dernières années d’un véritable
hinterland, d’un arrière pays industriel dans les ex pays socialistes, la
Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et, surtout, la Tchéquie. Les industriels
allemands ont investi massivement dans ces pays, surtout l’industrie automobile
qui voyait ses marges diminuer et qui souffrait d’un manque de flexibilité lié
au développement d’une automatisation conçue pour réduire le coût du travail.
On en parlait la semaine dernière, à propos de la Chine,
l’automatisation a de nombreuses vertus, elle améliore la productivité mais
elle rend plus difficile les changements rapides de gammes de production.
En créant des usines dans les ex-pays de l’Est, les
Allemands ont trouvé des pays avec des traditions et un environnement favorable,
une population éduquée, une tradition industrielle, un enseignement
professionnel de qualité que le communisme n’avait pas détruit. Et, bien sûr,
une main d’œuvre bien meilleur marché et ceci à quelques heures de route de ses
grands centres de production. Il ne faut pas plus de 5 heures de transport par
la route pour aller de Prague au cœur de l’Allemagne. Ce n’est pas plus loin
que Paris de Lyon.
Les industriels qui se sont installés en nombre dans ces
pays de l’Est, sont allés chercher des salaires plus faibles mais aussi une
plus grande flexibilité. Flexibilité dans la production comme je le disais à
l’instant avec des usines moins automatisées, mais aussi flexibilité salariale.
Il est bien plus facile de faire varier, à la hausse ou à la baisse, le coût du
travail dans ces pays qu’en Allemagne ou en France. Parce qu’il est plus facile
de licencier le personnel quand la charge de travail diminue, mais aussi parce
que la structure des salaires s’y prête qui associe un fixe et des primes ou
des bonus dont le montant varie en fonction de l’activité. Si celle-ci diminue,
la masse salariale suit…
Ces investissements dans les ex pays socialistes sont en
train de modifier profondément la géographie économique de l’Europe. Il ne
s’agit pas en effet de délocalisations éphémères comme celles que pratiquent
les industriels à la recherche de coûts salariaux toujours plus faibles, comme
Nike qui quitte un pays lorsqu’il trouve mieux ailleurs, il ne s’agit pas non
plus de délocalisations pour conquérir un marché, comme lorsque Carrefour
s’installe en Chine pour vendre aux consommateurs chinois, il s’agit vraiment
de la constitution d’une immense zone industrielle à l’est de l’Europe. Les
Allemands sont là pour rester. En témoignent leurs investissements en R&D
dans ces pays qui vont leur apporter dans la durée ce qui risque de rapidement
leur manquer en Allemagne : une main d’œuvre abondante et motivée (Kampik,
Dachs, The
Innovative Performance of German Multinationals Abroad).
Un modèle allemand ?
On connaît les problèmes démographiques de l’Allemagne. Ce
n’est pas la seule difficulté qui menace à moyen terme l’économie allemande. Il
en est une autre directement liée à ces mesures prises par Gerhard Schröder
dont on nous vante aujourd’hui les mérites de ce coté ci du Rhin : le
désengagement des salariés allemands. Un récent sondage de Gallup, l’institut
américain, révélait que 13% seulement des Allemands étaient engagés dans leur
travail. 20% de la population est activement désengagée et le reste n’est ni
l’un ni l’autre. Cela se traduit par un absentéisme élevé que Gallup a évalué à
247€ par salarié, et probablement par une diminution de la productivité et une
dégradation de la qualité. D’autres études soulignent les effets pervers des
mii-jobs introduits par Schröder qui éloignent du marché du travail des gens
qui se contentent de ce salaire d’appoint plutôt que de chercher un emploi.
S’il convient de regarder ce qui se passe en Allemagne, s’il
est pertinent de s’en inspirer ce n’est pas forcément en allant chercher du
coté de mesures dont la principale vertu aux yeux de ceux qui nous les
proposent est d’apporter de l’eau au moulin du Medef. Le montant des salaires
et des cotisations sociales sont une réalité incontournables. Et si l’Allemagne
nous donne un exemple, c’est bien lorsqu’elle nous montre que l’on peut rester
compétitif avec un coût du travail élevé pour peu que l’on construise une
économie et une offre industrielle adaptées. C’est ce à quoi devraient
s’attacher nos prochains gouvernements.
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