Une grève moderne à propos de la grève des agents de sûreté aéroportuaire
Bernard Girard
Une grève moderne
Le 26/12/2011
La grève
dans les aéroports
Depuis
une dizaine de jours, aucun journal radio ou télé ne s’ouvre qui ne nous donne
des informations sur la grève des personnels de sûreté des aéroports. On a vu
le gouvernement prendre fait et cause pour les usagers obligés de faire de
longues queues jusqu’à envoyer des policiers et des gendarmes les remplacer,
geste extrême qui amènerait, dans une entreprise privée, le patron qui oserait
cela devant les tribunaux.
On
comprend les intentions du gouvernement : jouer de l’agacement que suscite
ce genre de grève à la veille de Noël, faire preuve de fermeté à la veille
d’une échéance électorale et mettre en difficulté son adversaire socialiste
partagé entre le soutien aux grévistes et le souci des usagers. Commet-il une
erreur ? ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas certain. La recette a été
suffisamment souvent éprouvée pour qu’on ne puisse exclure qu’elle marche une
nouvelle fois, tant il est vrai qu’il est pénible de faire la queue dans un
aéroport dans l’attente d’une inspection de bagages qui s’éternise…
Cette
grève qui s’achève avec des accords qui ne donnent pas vraiment satisfaction
aux grévistes aura, cependant, été l’occasion de jeter un œil sur une
profession que l’on connaît sans la connaître, une profession assez
caractéristique des évolutions de ce qu’on appelait hier la classe ouvrière.
Des effectifs largement issus de la diversité
Une première remarque frappe quiconque a jeté un regard sur
les personnels qui assurent la sécurité dans les aéroports : beaucoup,
sinon la majorité des personnels employés dans ces activités de contrôle sont
issus de ce qu’on appelle aujourd’hui la diversité. Ils sont une bonne
illustration de ces nouvelles couches populaires qui occupent les emplois de
service, mais aussi les emplois ouvriers. Issus de familles immigrées ou
eux-mêmes immigrés, souvent de sexe féminin, plus de 45% de ces agents sont des
femmes, ce qui est exceptionnel dans les métiers de la sécurité, ils ont fait
des études qui leur ont permis d’acquérir quelques compétences. Mais l’absence
de diplômes ou lorsqu’ils en possèdent, ce qui est le cas d’un certain nombre,
la possibilité de le faire valoir, et le chômage les ont condamnés à travailler
dans ces nouveaux métiers des services qui demandent des compétences, comme on
verra, mais qui sont mal considérés, mal payés et soumis à des contrats
précaires.
Toutes caractéristiques qui pourraient donner mille
occasions de faire grève et que l’on retrouve d’ailleurs dans les
revendications des grévistes qui réclament une augmentation de 200€ par mois.
Cette grève a donc plusieurs dimensions, même si c’est
d’abord une grève pour les salaires. Il est vrai qu’ils sont faibles. De
l’ordre de 1500€ brut par mois, ce qui représente à peu près 1300€ net pour qui
a un emploi à plein temps. Des salaires plus faibles encore, donc, pour ceux
qui travaillent à temps partiel, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent. Des
salaires d’autant plus faible qu’il ne s’agit pas d’emplois de bureau, mais
d’emplois postés avec des horaires décalés, du travail de nuit, le samedi et le
dimanche. Le contrôle des bagages et des passagers se fait sept jours sur sept,
de très tôt le matin à très tard le soir.
On dira que ces salaires correspondent à ceux d’emplois sans
qualification. Mais est-ce vraiment le cas ?
Des métiers qui demandent des compétences
Ce sont des métiers qui paraissent demander peu de
qualifications, mais comme souvent dans les services, c’est bien plus compliqué
que cela.
Ces métiers demandent en réalité des qualifications. Elles sont
décrites dans la littérature professionnelle, dans les conventions collectives.
Il faut, pour ne prendre que cet exemple, un niveau minimal d'anglais
permettant de procéder à une réconciliation bagage/passager. Il faut maîtriser
l’agacement des passagers, savoir calmer le jeu, maîtriser les outils mis à
leur disposition, savoir pratiquer une fouille… De fait, on ne peut exercer ces
métiers sans une formation et sans un certificat de qualification
professionnelle (CQP) délivré par un centre de formation conventionné par la
direction générale de l'aviation civile (DGAC) mais aussi, ce qui est plus
rare, un double agrément du ministère de l’intérieur et du ministère de la
justice.
Ces métiers demandent donc des qualifications réelles et diversifiées
puisqu’il y a plusieurs métiers, opérateurs, profileur, chef d’équipe… ce qui
explique qu’on ne puisse remplacer au pied levé les grévistes. Les policiers et
gendarmes que le ministère de l’intérieur a mobilisés en masse n’ont en rien
diminué la longueur des queues : ils ne savent tout simplement pas faire, ils
n’ont pas été formés pour.
Mais, comme souvent dans le monde des services, il s’agit de
qualifications banales, beaucoup de gens savent un peu d’anglais, et les
formations techniques, plus rares, sont courtes au plus quelques semaines. Ce
qui explique que le turn-over y soit élevé et les rémunérations faibles :
des compétences banales ne favorisent pas les salaires élevés.
Une structure qui favorise la concurrence et donc les
salaires faibles
Ce n’est pas la seule raison qui explique des salaires
faibles. Il est d’autres salariés aux compétences tout aussi banales qui
réussissent à obtenir des salaires plus élevés. Si les salaires sont ici si
faibles, c’est que la structure et l’organisation du secteur s’y prêtent. Cette
activité qui était autrefois prise en charge par des policiers a été privatisée
en 1996 et confiée à des sociétés privées qui se font concurrence, une
concurrence d’autant plus vive qu’elles sont nombreuses, une douzaine se
partagent le marché des aéroports parisiens, et que leur contrat est remis en
cause tous les trois ans.
Cette concurrence permanente favorise naturellement le
maintien de salaires faibles dans des activités qui sont essentiellement de main
d’œuvre. A chaque renouvellement de contrat, un concurrent peur venir avec une
solution plus économique. Dans d’autres métiers, cela passerait probablement
par des gains de productivité qui réduisent les effectifs mais maintiennent les
salaires quand ils ne les augmentent pas. Dans des métiers de main d’œuvre
comme ceux de la sécurité, les entreprises qui veulent réduire leurs coûts
doivent agir sur la masse salariale.
Elle sont d’autant plus incitées à le faire que ce n’est plus
une activité en croissance. Le chiffre d’affaires des sociétés spécialisées a
diminué de manière significative ces dernières années.
Cette diminution est pour une part liée à la baisse du
trafic passager. Elle s’est accompagnée d’une diminution des effectifs. Or,
l’on sait que ce n’est pas lorsqu’elles licencient que les entreprises sont le
plus incitées à accorder des augmentations de salaires. Entre 2003 et 2009, les
entreprises spécialisées ont perdu un millier d’emplois. Mais comme cela ne
suffisait pas, certaines entreprises ont réduit les rémunérations de leurs
personnels. Plusieurs salariés interrogés dans la presse à l’occasion de cette
grève ont indiqué que les leurs avaient diminué lorsque la Brinks, l’un des
principaux opérateurs, avait repris le contrat d’un précédent prestataire.
Voyons comment. Et pour cela il nous faut raconter la manière dont cette grève
a commencé à Lyon Satolas.
Un métier sous contrôle permanent
La grève a donc commencé le 16 décembre à Lyon, elle s’est rapidement
étendue à d’autres aéroports de province et de la région parisienne, à Orly,
puis à Roissy.
Cette contagion rapide, pas si fréquente dans une profession
éclatée entre près de 150 sites (il y a en France 145 aéroports qui reçoivent
des passagers) est l’indice du profond mécontentement des personnels qui
exercent ce travail.
Un mécontentement que l’on peut mesurer à un taux de
turn-over très élevé. Cette profession employait en 2009 9800 personnes. La
même année, 4350 personnes ont quitté ce métier et 3700 ont été recrutées. Taux
de départ : 44%, taux de recrutement : 38%. Peu de professions ont un
taux de turn-over aussi élevé. Mais si jusqu’à présent les salariés mécontents
se contentaient de donner leur démission, en un mot de voter avec leur pied, ils
ont cette fois-ci décidé de se mettre en grève. Pour comprendre pourquoi, il
faut revenir au mois de novembre, quelques semaines avant que n’éclate la
grève, à l’aéroport de Satolas, dans la banlieue de Lyon.
Pendant des années, le contrat de surveillance des passagers
était, dans cet aéroport, assuré par Securitas. Puis, en novembre dernier, la
Brinks a repris ce contrat. Dans ces cas là, l’entreprise qui emporte le
contrat reprend les salariés déjà en place en application de l’article L122-12
du code du travail qui indique que « s'il survient une modification dans
la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion,
transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours
au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel
de l'entreprise. »
Cet article est appliqué dans de nombreux métiers de
service, l’informatique, le transport, la gestion des eaux, des ordures… il
l’est chaque fois qu’il y a des activités de sous-traitance. Il protège les
salariés mais aussi les donneurs d’ordre qui peuvent plus facilement se défaire
d’un prestataire qui ne leur convient plus si celui-ci peut se dégager du
contrat sans devoir licencier tout son personnel.
La Brinks a donc repris les salariés de Securitas, mais elle
ne s’est pas contentée de reprendre l’activité, elle l’a réorganisée de manière
à en réduire le coût : elle a diminué le nombre d’heures de nuit et
demandé aux opérateurs chargés du contrôle d’effectuer également l’accueil,
deux mesures qui lui permettaient de réduire la masse salariale et donc de
faire une proposition plus avantageuse que celle de Securitas, c’était
l’objectif et c’est ce qui lui a permis de gagner la compétition, mais elle l’a
fait aux dépens des salariés qui ont du, dés novembre, travailler plus pour gagner
moins du fait de la réduction des heures de nuit qui sont, comme on sait,
majorées.
Lorsque l’on parle de privatisation, on pense en général au
transfert de la valeur ajoutée vers les actionnaires, mais il faut, dans ces
activités de sous-traitance, aussi, et peut-être surtout, compter avec cette
mise en concurrence qui incite les entreprises à réduire leurs coûts, et donc leurs
coûts salariaux, pour obtenir les contrats.
Au delà des salaires, un contrôle éprouvant…
Ces réductions de salaire et augmentation de la charge de
travail étaient en soi un motif de mécontentement. Elles se sont compliquées,
dans ce métier très particulier qu’est la sûreté dans les aéroports, d’une
pression très forte de la hiérarchie, d’une hiérarchie qui a changé avec le
renouvellement du contrat : il ne s’agit pas que les salariés relâchent
leur attention au risque de laisser passer un terroriste ou quelqu’un qui y
ressemble. Les personnels sont en permanence contrôlés, surveillés, comme peu
le sont. C’est une autre caractéristique de plusieurs de ces métiers de service
que l’on rencontre plus rarement dans l’industrie où les contrôles portent en
général plus sur les produits, sur la qualité, que sur les individus.
Ce contrôle permanent est éprouvant. Il l’est plus encore lorsque
l’on est mécontent et que l’on est tenté de protester contre son employeur en
réduisant ses cadences, en pratiquant des formes plus ou moins sauvages de
grève perlée.
Des salariés mécontents, dont les rémunérations réelles
diminuent, dans l’impossibilité de quitter leur emploi vue la montée du
chômage, dans l’impossibilité de manifester leur mécontentement en limitant
leurs cadences, en permanence soumis au contrôle de leur hiérarchie… il n’en
faut pas beaucoup plus pour que la grève, qui n’est pas dans leur tradition de
métiers peu syndiqués, paraisse comme la seule solution
Et comme chaque fois qu’il y a grève, les frustrations, les
humiliations remontent. Et elles sont nombreuses pour ces salariés qui,
travaillant pour des prestataires extérieurs, n’ont pas droit aux services que
les aéroports et notamment ADP, Aéroports de Paris, offrent à leur personnel,
en matière de restauration, de comité d’entreprise. Autant de détails qui
ajoutent au sentiment d’être maltraité et considéré comme des travailleurs de
seconde zone.
Au delà des salaires, c’est tout un système que ces personnels
de sûreté contestent donc. Et si ce mouvement a pris tant d’ampleur, s’il s’est
étendu à tant d’aéroports c’est que cette situation est vécue par tous de la
même manière.
Des usagers pris en otage
Le grand argument pour casser cette grève et envoyer des
policiers remplacer des grévistes est qu’elle prend en otage les usagers, les
passagers qui partent en vacances. C’est bien le cas et c’est l’une des
caractéristiques des grèves dans les transports d’affecter directement les
usagers qui peuvent, à juste titre, se sentir les otages d’un conflit qui ne
les concerne en rien, au moins au premier abord. En réalité, ils sont tout à
fait concernés puisqu’ils bénéficient de ce système, la pression sur les
prestataires se retrouvant dans les prix des billets. Les taxes que les
compagnies aériennes paient aux aéroports pour les dépenses de sécurité et de
sûreté varient de 8 à 13€, ce qui n’est pas négligeable sur des billets dont
les prix ont, on le sait, beaucoup diminué. Elles seraient sans doute plus
élevées de quelques dizaines de centimes si les salaires des personnels chargés
de la sûreté étaient plus élevés.
Mais revenons aux usagers. Lorsqu’un constructeur automobile
fait grève, ses clients peuvent se tourner vers la concurrence. Dans le cas des
aéroports, des compagnies de transport public c’est beaucoup plus difficile.
Tout simplement parce qu’elles disposent d’une espèce de monopole sur leur
activité. Ce qui donne à des salariés qui n’en ont guère d’autre un moyen de
pression sur leur employeur mais aussi sur le donneur d’ordre, en l’espèce les
aéroports.
On a parfois parlé d’égoïsme, on a reproché à ces salariés
de ne pas se préoccuper du confort des voyageurs qui partaient en vacances.
A-t-on oublié combien ces mêmes passagers peuvent être, à l’occasion,
déplaisants avec ces personnels chargés de la sûreté ? mais ce n’est qu’un
détail. Revenons aux aéroports.
On aura remarqué combien ils sont jusqu’à présent restés
discrets. Alors même que ce sont eux qui tiennent la solution. Il leur
suffirait de renégocier le contrat de manière à autoriser ces entreprises à
augmenter leurs salariés pour qu’elles cèdent. C’est ce qu’ils feraient si
l’Etat et les compagnies aériennes les y incitaient. Mais c’est manifestement
tout le contraire. Bien loin de pousser les entreprises et les aéroports à
négocier, le gouvernement menace les syndicats, casse la grève, envoie des
policiers et des gendarmes remplacer les grévistes. Sous couvert de prendre le
parti des usagers, il prend en fait celui des aéroports et de ces sociétés de
service.
Cette attitude pourrait surprendre de la part d’un
gouvernement qui n’a de cesse de parler de la classe ouvrière, de chercher à la
séduire par tous les moyens. Mais il est vrai qu’il aime une classe ouvrière
docile qui travaille plus pour gagner plus sans protester, qui ne se met pas en
grève, qui achète français et vote comme il faut, c’est-à-dire à droite… Ce
n’est pas vraiment une surprise, c’est juste le rappel d’une évidence : la
droite n’a jamais aimé les combats ouvriers et s’est toujours trouvée, dans les
luttes sociales, du coté du patronat. Est-ce que ce rappel aura un effet sur la
campagne ? est-ce que cela empêchera Nicolas Sarkozy de vanter les valeurs
ouvrières le temps d’un discours ? ce n’est même pas certain tant la
gauche s’est montrée discrète. Sans doute François Hollande a-t-il critiqué la
gestion « à coups de menton » de la grève et l’envoi de policiers
dans les aéroports, mais on aurait aimé qu’il profite de cette crise pour nous
dire s’il envisage de revoir une organisation des services dans les aéroports
qui est, disons pour rester mesuré, perfectible.
Il ne l’a pas fait. C’est dommage. Ce l’est d’autant plus
que l’on peut deviner au travers de ce conflit ce qui frappe et fruste beaucoup
de salarié : l’augmentation des contrôles sur leur travail, la pression
sur les effectifs et les salaires, l’instabilité de la hiérarchie, des
procédures, des stratégies.
Si la gauche voulait vraiment susciter un désir chez les
électeurs il faudrait qu’elle leur donne le sentiment qu’avec elle les choses
peuvent vraiment changer de manière concrète. Les employés des société de
sûreté ne demandent pas autre chose : quelques dizaines d’euros de plus
par mois, de la considération et des motifs de conserver des emplois qu’ils
fuient lorsqu’ils ne font pas grève.
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