Les chroniques économiques de Bernard Girard

27.12.11

Une grève moderne à propos de la grève des agents de sûreté aéroportuaire


Bernard Girard
Une grève moderne
Le 26/12/2011



La grève dans les aéroports

Depuis une dizaine de jours, aucun journal radio ou télé ne s’ouvre qui ne nous donne des informations sur la grève des personnels de sûreté des aéroports. On a vu le gouvernement prendre fait et cause pour les usagers obligés de faire de longues queues jusqu’à envoyer des policiers et des gendarmes les remplacer, geste extrême qui amènerait, dans une entreprise privée, le patron qui oserait cela devant les tribunaux.
On comprend les intentions du gouvernement : jouer de l’agacement que suscite ce genre de grève à la veille de Noël, faire preuve de fermeté à la veille d’une échéance électorale et mettre en difficulté son adversaire socialiste partagé entre le soutien aux grévistes et le souci des usagers. Commet-il une erreur ? ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas certain. La recette a été suffisamment souvent éprouvée pour qu’on ne puisse exclure qu’elle marche une nouvelle fois, tant il est vrai qu’il est pénible de faire la queue dans un aéroport dans l’attente d’une inspection de bagages qui s’éternise…

Cette grève qui s’achève avec des accords qui ne donnent pas vraiment satisfaction aux grévistes aura, cependant, été l’occasion de jeter un œil sur une profession que l’on connaît sans la connaître, une profession assez caractéristique des évolutions de ce qu’on appelait hier la classe ouvrière.

Des effectifs largement issus de la diversité

Une première remarque frappe quiconque a jeté un regard sur les personnels qui assurent la sécurité dans les aéroports : beaucoup, sinon la majorité des personnels employés dans ces activités de contrôle sont issus de ce qu’on appelle aujourd’hui la diversité. Ils sont une bonne illustration de ces nouvelles couches populaires qui occupent les emplois de service, mais aussi les emplois ouvriers. Issus de familles immigrées ou eux-mêmes immigrés, souvent de sexe féminin, plus de 45% de ces agents sont des femmes, ce qui est exceptionnel dans les métiers de la sécurité, ils ont fait des études qui leur ont permis d’acquérir quelques compétences. Mais l’absence de diplômes ou lorsqu’ils en possèdent, ce qui est le cas d’un certain nombre, la possibilité de le faire valoir, et le chômage les ont condamnés à travailler dans ces nouveaux métiers des services qui demandent des compétences, comme on verra, mais qui sont mal considérés, mal payés et soumis à des contrats précaires.

Toutes caractéristiques qui pourraient donner mille occasions de faire grève et que l’on retrouve d’ailleurs dans les revendications des grévistes qui réclament une augmentation de 200€ par mois.

Cette grève a donc plusieurs dimensions, même si c’est d’abord une grève pour les salaires. Il est vrai qu’ils sont faibles. De l’ordre de 1500€ brut par mois, ce qui représente à peu près 1300€ net pour qui a un emploi à plein temps. Des salaires plus faibles encore, donc, pour ceux qui travaillent à temps partiel, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent. Des salaires d’autant plus faible qu’il ne s’agit pas d’emplois de bureau, mais d’emplois postés avec des horaires décalés, du travail de nuit, le samedi et le dimanche. Le contrôle des bagages et des passagers se fait sept jours sur sept, de très tôt le matin à très tard le soir.
On dira que ces salaires correspondent à ceux d’emplois sans qualification. Mais est-ce vraiment le cas ?

Des métiers qui demandent des compétences

Ce sont des métiers qui paraissent demander peu de qualifications, mais comme souvent dans les services, c’est bien plus compliqué que cela.

Ces métiers demandent en réalité des qualifications. Elles sont décrites dans la littérature professionnelle, dans les conventions collectives. Il faut, pour ne prendre que cet exemple, un niveau minimal d'anglais permettant de procéder à une réconciliation bagage/passager. Il faut maîtriser l’agacement des passagers, savoir calmer le jeu, maîtriser les outils mis à leur disposition, savoir pratiquer une fouille… De fait, on ne peut exercer ces métiers sans une formation et sans un certificat de qualification professionnelle (CQP) délivré par un centre de formation conventionné par la direction générale de l'aviation civile (DGAC) mais aussi, ce qui est plus rare, un double agrément du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice.
Ces métiers demandent donc des qualifications réelles et diversifiées puisqu’il y a plusieurs métiers, opérateurs, profileur, chef d’équipe… ce qui explique qu’on ne puisse remplacer au pied levé les grévistes. Les policiers et gendarmes que le ministère de l’intérieur a mobilisés en masse n’ont en rien diminué la longueur des queues : ils ne savent tout simplement pas faire, ils n’ont pas été formés pour.
Mais, comme souvent dans le monde des services, il s’agit de qualifications banales, beaucoup de gens savent un peu d’anglais, et les formations techniques, plus rares, sont courtes au plus quelques semaines. Ce qui explique que le turn-over y soit élevé et les rémunérations faibles : des compétences banales ne favorisent pas les salaires élevés.

Une structure qui favorise la concurrence et donc les salaires faibles

Ce n’est pas la seule raison qui explique des salaires faibles. Il est d’autres salariés aux compétences tout aussi banales qui réussissent à obtenir des salaires plus élevés. Si les salaires sont ici si faibles, c’est que la structure et l’organisation du secteur s’y prêtent. Cette activité qui était autrefois prise en charge par des policiers a été privatisée en 1996 et confiée à des sociétés privées qui se font concurrence, une concurrence d’autant plus vive qu’elles sont nombreuses, une douzaine se partagent le marché des aéroports parisiens, et que leur contrat est remis en cause tous les trois ans.

Cette concurrence permanente favorise naturellement le maintien de salaires faibles dans des activités qui sont essentiellement de main d’œuvre. A chaque renouvellement de contrat, un concurrent peur venir avec une solution plus économique. Dans d’autres métiers, cela passerait probablement par des gains de productivité qui réduisent les effectifs mais maintiennent les salaires quand ils ne les augmentent pas. Dans des métiers de main d’œuvre comme ceux de la sécurité, les entreprises qui veulent réduire leurs coûts doivent agir sur la masse salariale.  

Elle sont d’autant plus incitées à le faire que ce n’est plus une activité en croissance. Le chiffre d’affaires des sociétés spécialisées a diminué de manière significative ces dernières années.

Cette diminution est pour une part liée à la baisse du trafic passager. Elle s’est accompagnée d’une diminution des effectifs. Or, l’on sait que ce n’est pas lorsqu’elles licencient que les entreprises sont le plus incitées à accorder des augmentations de salaires. Entre 2003 et 2009, les entreprises spécialisées ont perdu un millier d’emplois. Mais comme cela ne suffisait pas, certaines entreprises ont réduit les rémunérations de leurs personnels. Plusieurs salariés interrogés dans la presse à l’occasion de cette grève ont indiqué que les leurs avaient diminué lorsque la Brinks, l’un des principaux opérateurs, avait repris le contrat d’un précédent prestataire. Voyons comment. Et pour cela il nous faut raconter la manière dont cette grève a commencé à Lyon Satolas.

Un métier sous contrôle permanent

La grève a donc commencé le 16 décembre à Lyon, elle s’est rapidement étendue à d’autres aéroports de province et de la région parisienne, à Orly, puis à Roissy.

Cette contagion rapide, pas si fréquente dans une profession éclatée entre près de 150 sites (il y a en France 145 aéroports qui reçoivent des passagers) est l’indice du profond mécontentement des personnels qui exercent ce travail.

Un mécontentement que l’on peut mesurer à un taux de turn-over très élevé. Cette profession employait en 2009 9800 personnes. La même année, 4350 personnes ont quitté ce métier et 3700 ont été recrutées. Taux de départ : 44%, taux de recrutement : 38%. Peu de professions ont un taux de turn-over aussi élevé. Mais si jusqu’à présent les salariés mécontents se contentaient de donner leur démission, en un mot de voter avec leur pied, ils ont cette fois-ci décidé de se mettre en grève. Pour comprendre pourquoi, il faut revenir au mois de novembre, quelques semaines avant que n’éclate la grève, à l’aéroport de Satolas, dans la banlieue de Lyon.

Pendant des années, le contrat de surveillance des passagers était, dans cet aéroport, assuré par Securitas. Puis, en novembre dernier, la Brinks a repris ce contrat. Dans ces cas là, l’entreprise qui emporte le contrat reprend les salariés déjà en place en application de l’article L122-12 du code du travail qui indique que « s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. »

Cet article est appliqué dans de nombreux métiers de service, l’informatique, le transport, la gestion des eaux, des ordures… il l’est chaque fois qu’il y a des activités de sous-traitance. Il protège les salariés mais aussi les donneurs d’ordre qui peuvent plus facilement se défaire d’un prestataire qui ne leur convient plus si celui-ci peut se dégager du contrat sans devoir licencier tout son personnel.

La Brinks a donc repris les salariés de Securitas, mais elle ne s’est pas contentée de reprendre l’activité, elle l’a réorganisée de manière à en réduire le coût : elle a diminué le nombre d’heures de nuit et demandé aux opérateurs chargés du contrôle d’effectuer également l’accueil, deux mesures qui lui permettaient de réduire la masse salariale et donc de faire une proposition plus avantageuse que celle de Securitas, c’était l’objectif et c’est ce qui lui a permis de gagner la compétition, mais elle l’a fait aux dépens des salariés qui ont du, dés novembre, travailler plus pour gagner moins du fait de la réduction des heures de nuit qui sont, comme on sait, majorées.

Lorsque l’on parle de privatisation, on pense en général au transfert de la valeur ajoutée vers les actionnaires, mais il faut, dans ces activités de sous-traitance, aussi, et peut-être surtout, compter avec cette mise en concurrence qui incite les entreprises à réduire leurs coûts, et donc leurs coûts salariaux, pour obtenir les contrats.

Au delà des salaires, un contrôle éprouvant…

Ces réductions de salaire et augmentation de la charge de travail étaient en soi un motif de mécontentement. Elles se sont compliquées, dans ce métier très particulier qu’est la sûreté dans les aéroports, d’une pression très forte de la hiérarchie, d’une hiérarchie qui a changé avec le renouvellement du contrat : il ne s’agit pas que les salariés relâchent leur attention au risque de laisser passer un terroriste ou quelqu’un qui y ressemble. Les personnels sont en permanence contrôlés, surveillés, comme peu le sont. C’est une autre caractéristique de plusieurs de ces métiers de service que l’on rencontre plus rarement dans l’industrie où les contrôles portent en général plus sur les produits, sur la qualité, que sur les individus.

Ce contrôle permanent est éprouvant. Il l’est plus encore lorsque l’on est mécontent et que l’on est tenté de protester contre son employeur en réduisant ses cadences, en pratiquant des formes plus ou moins sauvages de grève perlée.

Des salariés mécontents, dont les rémunérations réelles diminuent, dans l’impossibilité de quitter leur emploi vue la montée du chômage, dans l’impossibilité de manifester leur mécontentement en limitant leurs cadences, en permanence soumis au contrôle de leur hiérarchie… il n’en faut pas beaucoup plus pour que la grève, qui n’est pas dans leur tradition de métiers peu syndiqués, paraisse comme la seule solution

Et comme chaque fois qu’il y a grève, les frustrations, les humiliations remontent. Et elles sont nombreuses pour ces salariés qui, travaillant pour des prestataires extérieurs, n’ont pas droit aux services que les aéroports et notamment ADP, Aéroports de Paris, offrent à leur personnel, en matière de restauration, de comité d’entreprise. Autant de détails qui ajoutent au sentiment d’être maltraité et considéré comme des travailleurs de seconde zone.

Au delà des salaires, c’est tout un système que ces personnels de sûreté contestent donc. Et si ce mouvement a pris tant d’ampleur, s’il s’est étendu à tant d’aéroports c’est que cette situation est vécue par tous de la même manière.

Des usagers pris en otage

Le grand argument pour casser cette grève et envoyer des policiers remplacer des grévistes est qu’elle prend en otage les usagers, les passagers qui partent en vacances. C’est bien le cas et c’est l’une des caractéristiques des grèves dans les transports d’affecter directement les usagers qui peuvent, à juste titre, se sentir les otages d’un conflit qui ne les concerne en rien, au moins au premier abord. En réalité, ils sont tout à fait concernés puisqu’ils bénéficient de ce système, la pression sur les prestataires se retrouvant dans les prix des billets. Les taxes que les compagnies aériennes paient aux aéroports pour les dépenses de sécurité et de sûreté varient de 8 à 13€, ce qui n’est pas négligeable sur des billets dont les prix ont, on le sait, beaucoup diminué. Elles seraient sans doute plus élevées de quelques dizaines de centimes si les salaires des personnels chargés de la sûreté étaient plus élevés.

Mais revenons aux usagers. Lorsqu’un constructeur automobile fait grève, ses clients peuvent se tourner vers la concurrence. Dans le cas des aéroports, des compagnies de transport public c’est beaucoup plus difficile. Tout simplement parce qu’elles disposent d’une espèce de monopole sur leur activité. Ce qui donne à des salariés qui n’en ont guère d’autre un moyen de pression sur leur employeur mais aussi sur le donneur d’ordre, en l’espèce les aéroports.

On a parfois parlé d’égoïsme, on a reproché à ces salariés de ne pas se préoccuper du confort des voyageurs qui partaient en vacances. A-t-on oublié combien ces mêmes passagers peuvent être, à l’occasion, déplaisants avec ces personnels chargés de la sûreté ? mais ce n’est qu’un détail. Revenons aux aéroports.

On aura remarqué combien ils sont jusqu’à présent restés discrets. Alors même que ce sont eux qui tiennent la solution. Il leur suffirait de renégocier le contrat de manière à autoriser ces entreprises à augmenter leurs salariés pour qu’elles cèdent. C’est ce qu’ils feraient si l’Etat et les compagnies aériennes les y incitaient. Mais c’est manifestement tout le contraire. Bien loin de pousser les entreprises et les aéroports à négocier, le gouvernement menace les syndicats, casse la grève, envoie des policiers et des gendarmes remplacer les grévistes. Sous couvert de prendre le parti des usagers, il prend en fait celui des aéroports et de ces sociétés de service.

Cette attitude pourrait surprendre de la part d’un gouvernement qui n’a de cesse de parler de la classe ouvrière, de chercher à la séduire par tous les moyens. Mais il est vrai qu’il aime une classe ouvrière docile qui travaille plus pour gagner plus sans protester, qui ne se met pas en grève, qui achète français et vote comme il faut, c’est-à-dire à droite… Ce n’est pas vraiment une surprise, c’est juste le rappel d’une évidence : la droite n’a jamais aimé les combats ouvriers et s’est toujours trouvée, dans les luttes sociales, du coté du patronat. Est-ce que ce rappel aura un effet sur la campagne ? est-ce que cela empêchera Nicolas Sarkozy de vanter les valeurs ouvrières le temps d’un discours ? ce n’est même pas certain tant la gauche s’est montrée discrète. Sans doute François Hollande a-t-il critiqué la gestion « à coups de menton » de la grève et l’envoi de policiers dans les aéroports, mais on aurait aimé qu’il profite de cette crise pour nous dire s’il envisage de revoir une organisation des services dans les aéroports qui est, disons pour rester mesuré, perfectible.

Il ne l’a pas fait. C’est dommage. Ce l’est d’autant plus que l’on peut deviner au travers de ce conflit ce qui frappe et fruste beaucoup de salarié : l’augmentation des contrôles sur leur travail, la pression sur les effectifs et les salaires, l’instabilité de la hiérarchie, des procédures, des stratégies.
Si la gauche voulait vraiment susciter un désir chez les électeurs il faudrait qu’elle leur donne le sentiment qu’avec elle les choses peuvent vraiment changer de manière concrète. Les employés des société de sûreté ne demandent pas autre chose : quelques dizaines d’euros de plus par mois, de la considération et des motifs de conserver des emplois qu’ils fuient lorsqu’ils ne font pas grève.