Les chroniques économiques de Bernard Girard

24.1.12

Ce n'est pas le coût du travail




TVA sociale, coût du travail, Allemagne
Depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy tente de relancer sa machine électorale en promettant des emplois industriels grâce à une baisse du coût du travail. C’est le sens même de son projet d’instaurer une TVA sociale, c’est le fond des propos de tous ses ministres qui insistent, chaque fois que possible, sur l’écart supposé entre nos coûts et ceux de l’Allemagne. Tout cela sur fond d’applaudissements du MEDEF et de la presse économique qui insiste et insiste sur ce thème…

Mais qu’en est-il vraiment ? Le coût du travail est-il effectivement plus élevé en France qu’ailleurs ? ce coût menace-t-il vraiment notre compétitivité ? et n’y a-t-il d’autre solution que de réduire les cotisations sociales ?

Ce sont les trois questions auxquelles je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse ce matin.

Le coût du travail, la France l’Allemagne et les autres
Le coût du travail est, dit-on, plus élevé en France qu’en Allemagne. Ce n’est pas tout à fait exact. D’après les derniers chiffres de l’INSEE, le coût horaire du travail est légèrement plus élevé en Allemagne qu’en France. Il était de 33, 37€ en 2008 en Allemagne et de 33,16€ en France. Mais il est vrai que le coût a plus rapidement augmenté en France ces dernières années qu’en Allemagne et qu’il reste largement supérieur à ce qu’il est dans d’autres pays, tant en Europe que dans les pays émergents. Ceci dit, reste à savoir ce que veulent dire ces chiffres, comment ils sont fabriqués et à quoi ils correspondent.

Le coût horaire est calculé en rapportant au volume horaire de travail, la somme de la masse salariale, des cotisations sociales patronales et ouvrières après prise en compte des exonérations de charges. Cette notion ne va cependant pas de soit et son utilisation dans les comparaisons internationales pose problème.

On peut d’abord s’interroger sur la notion de masse horaire. On sait que les cadres travaillent officiellement 35 heures mais en font souvent en réalité beaucoup plus. Ces heures supplémentaires ne sont pas comptabilisées, comment pourraient-elles d’ailleurs l’être ? Mais, si elles l’étaient, elles feraient descendre le coût horaire, ce qui serait moins le cas en Allemagne où la durée légale du travail est plus longue. De la même manière, on ne tient pas compte des jours de RTT qui ne sont pas pris et sont, par exemple, stockés dans des compte épargne temps.

Ce qui est vrai des cadres l’est également de tous ces salariés dont les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, ce qui est fréquent dans les PME dans lesquelles existent des systèmes implicites de troc : « je ne te paie pas tes heures supplémentaires mais je te donnerai ton après-midi le jour du mariage de ta fille », ou bien : « je ne paie pas tes heures supplémentaires mais je te donnerai une prime à la fin du chantier ».
On peut également s’inquiéter de l’utilisation d’une moyenne. 33€ de l’heure, ce peut être beaucoup dans certains secteurs et très peu dans d’autres. C’est beaucoup là où le coût de la main d’œuvre pèse lourd dans le coût final du produit, c’est peu là où ce n’est pas le cas. Or, la structure économique, industrielle de tous les pays n’est pas la même.

On peut, enfin et surtout, s’interroger sur le sens économique de cette notion.

Coût horaire ou coût global
Le coût horaire qui regroupe salaire net et cotisations sociales que l’entreprise verse aux Caisses de retraite, à l’URSAAF… n’est qu’une partie des coûts salariaux. Et si l’on veut examiner ceux-ci d’un point de vue économique, il faut les regarder de manière plus globale.

Le salarié a un bureau, un poste de travail dont le coût varie selon la localisation. Le prix du m2 n’est pas le même à Neuilly et dans la lointaine banlieue. Les entreprises qui déménagent le savent très bien. Et tous les salariés n’utilisent pas le même nombre m2. C’est ce que l’on appelle le coût immobilier. Or, il peut varier de manière significative selon l’emplacement mais aussi selon l’organisation des postes de travail.
La BNP Paribas et l’Essec ont créé un indicateur du coût immobilier qui intègre le prix de location, les impôts locaux, les services attachés à l’immeuble. Il met en évidence ces écarts. Pour ne citer qu’un chiffre,  le salarié d’une entreprise dans le secteur du conseil coûtait en moyenne 6.600 euros par an en 2008 alors qu’un salarié dans le même type d’immeuble, mais travaillant dans la banque, les assurances ou la gestion financière coûtait en moyenne 14.000 euros en 2008, soit plus du double, ce qui s’explique tout simplement : il utilise deux fois plus de surface, de 9 à 10 m2 en moyenne pour les consultants qui travaillent souvent en clientèle et peuvent donc partager les espaces, de 18 à 21m2 dans les banques ou assurances. Cela doit naturellement entrer en compte dans le calcul du coût salarial.

De la même manière, on doit tenir compte dans ce calcul des coûts d’organisation. Les entreprises doivent gérer leurs salariés, préparer leur paie, par exemple. On a calculé qu’un bulletin de paie revenait entre 17 et 21€, soit de 200 à 250€ par an et par salarié (La profession comptable), mais les écarts peuvent être significatifs. Pour ne prendre qu’un exemple, les prix pratiqués par les experts-comptables pour effectuer ce travail pour le compte des PME peuvent varier de 12 à plus de 20€.

Ce qui vaut pour le bulletin de salaire vaut naturellement pour tout ce que l’on pourrait appeler les fonctions support. On me dira que c’est la même chose partout, que les Allemands doivent gérer la formation de leurs salariés, fabriquer des bulletins de paie, payer du personnel de gardiennage comme nous. C’est vrai, mais les quelques chiffres que j’ai donnés l’indiquent bien : on peut faire évoluer le coût du travail autrement qu’en jouant sur les seules cotisations sociales.

L’utilisation de la main d’œuvre
Le coût global des salariés ne se limite pas aux salaires, cotisations sociales et dépenses attachées aux salariés, il comprend également des coûts liés à leur gestion qui sont de la seule responsabilité des entreprises et de leurs gestionnaires.

Je pense à l’absentéisme. C’est un phénomène complexe mais massif : en 2005, 246 millions de journées ont été indemnisées pour des arrêts de travail, un peu plus de 20 % de la population active a alors bénéficié d'un arrêt de travail, somme à laquelle il convient d’ajouter les absences courtes qui ne sont pas indemnisées par le régime général.

Ces absences augmentent le coût salarial de l’entreprise : il faut remplacer les salariés absents avec des heures supplémentaires, de l’intérim, on peut prendre des retards… on estime en général qu’à 1% d’absentéisme correspond une augmentation du coût salarial du même montant. Une entreprise qui a un taux d’absentéisme de 6% quand la moyenne est plutôt autour de 4% a un coût salarial supérieur de 2% à celui de ses concurrents mieux gérés. C’est donc un poste important et, pourtant, les entreprises s’en préoccupent peu. En 2003, d’après une enquête de l’ANDCP, les ¾ des entreprises interrogées n’avaient rien mis en place pour le réduire. Or, l’absentéisme est, pour beaucoup lié, à des problèmes d’organisation des postes de travail, comme les troubles musculo-squelettiques dont souffrent les caissières des grandes surfaces en sont une bonne illustration, et de management : pour les DRH qu’a interrogés une société de conseil, les premiers facteurs de l’absentéisme sont la démotivation des salariés, les problèmes relationnels avec la hiérarchie et les collègues et le manque d’attention de l’encadrement aux problématiques RH, toutes choses qui relèvent directement de la responsabilité de l’entreprise et de son management. 

Autre facteur qui contribue à l’augmentation des coûts salariaux : les dépenses de formation. Elles sont importantes et significatives, 37% des salariés avaient reçu en 2011, une formation dans les douze mois qui avaient précédé, 67% dans les cinq dernières années. Elles représentent de l’ordre de 2% de la masse salariale avec des écarts significatifs entre les petites entreprises qui se contentent du minimum légal et celles qui dépensent l’équivalent de  6 à 7% de leur masse salariale en formation. Ces dépenses sont pourtant le plus souvent engagées sans souci d’efficacité ou de performance. Dans la plupart des cas, nul ne vérifie la qualité de celle-ci et, surtout, ses résultats : les stagiaires on-ils retenu quelque chose de leur stage ? a-t-il amélioré leurs compétences ? On n’en sait rien.  

L’indifférence du management
L’absentéisme et la formation coûtent cher aux entreprises et contribuent de manière significative à l’augmentation de leurs coûts salariaux, de 4 à 8% en moyenne dans les entreprises d’une certaine taille, et, cependant, ces mêmes dirigeants qui pestent contre les cotisations sociales ne s’en préoccupent guère. C’est un peu paradoxal et on peut avancer plusieurs raisons comme la complexité du contrôle de l’absentéisme ou de la qualité de la formation, mais cela invite aussi à relativiser tous les discours sur le coût du travail. S’il était vraiment aussi insupportable, les entreprises agiraient sur ces deux leviers de manière beaucoup plus énergique.

Il est un autre facteur qui invite à rester prudent quant à l’impact du coût du travail sur notre compétitivité internationale : c’est la distribution des salaires. Si le coût du travail était le principal obstacle à l’exportation, le principal frein à notre capacité à résister à la concurrence, on pourrait s’attendre à ce que l’on retrouve beaucoup de salariés payés au SMIC dans des entreprises industrielles confrontées à la concurrence de la Chine, de la Tunisie ou de la Roumanie. Or, ce n’est pas le cas. On sait qu’il y a à peu près en France 1,6 millions de salariés qui, hors secteur agricole, perçoivent le salaire minimum ou sont affectés par ses évolutions. La grande majorité, près de 80%, est employée dans des secteurs qui échappent à cette concurrence : 37% des salariés de la restauration et l’hébergement, activité qui ne souffre guère de la concurrence des Chinois, sont dans ce cas, 20% de ceux qui travaillent dans les services, un peu plus de 13% de ceux de la santé et l’action sociale, autant dans le commerce, plus de 11% dans ce qu’on appelle les activité immobilières, gardiens d’immeubles… et près de 10% dans les arts et les spectacles. A contrario, seuls 5,5% des salariés du secteur manufacturier sont payés au Smic. (voir pour ces chiffres ce document de l’INSEE et celui-ci de la Dares).

On trouve d’ailleurs confirmation de cette impression dans une autre série statistique, dans celles sur les CDD. Ce type de contrat est une manière d’assurer la flexibilité et de réduire les coûts du travail en n’employant des salariés que lorsque l’on en a besoin. Or, c’est dans les mêmes secteurs protégés de la concurrence internationale que l’on trouve le plus de CDD courts, de moins d’un mois. C’est également dans ces mêmes secteurs que le salaire de base a, sauf exception, le moins progressé ces dernières années.

Si les entreprises les plus affectées par les hausses du Smic sont si souvent dans des secteurs qui échappent à la concurrence internationale, c’est que les entreprises manufacturières les plus menacées par les salaires faibles ont déjà délocalisé leurs activités quand elles n’ont pas tout simplement disparu. C’est ce qui s’est produit dans les secteurs du textile, de l’habillement et du cuir, comme l’illustre aujourd’hui même le cas Lejaby. On le voit bien d’ailleurs dans les statistiques. Si le nombre de salariés affectés par les évolutions du Smic a diminué de manière significative ces dernières années et, notamment, en 2009, on le doit à la destruction de dizaines de milliers d’emplois industriels peu qualifiés. Emplois qui ne reviendront pas chez nous tant les écarts entre les salaires pratiqués en France et, par exemple, en Tunisie, sont importants. Un salarié payé au Smic gagne 130€/mois pour 48 heures en Tunisie, il gagne en France 1365€ pour 35 heures. Même en supprimant toutes les cotisations sociales, on n’y arrivera pas.

Ce n’est pas en réduisant le coût du travail que l’on rendra l’industrie française plus compétitive, c’est en la spécialisant dans des activités où elle rencontre peu de concurrence. 

Prendre exemple sur l’Allemagne ? oui, mais autrement…
Mais s’il est vrai, comme je le disais à l’instant, que les secteurs les plus affectés par les hausses du Smic échappent à la concurrence internationale, la comparaison avec l’Allemagne prend une toute autre tournure. Si l’industrie allemande a mieux résisté, ce n’est pas qu’elle a su réduire le coût de son travail, c’est qu’elle s’est spécialisée depuis longtemps dans des secteurs qui échappent à la concurrence. Et elle l’a fait en multipliant les barrières à la concurrence. Non pas les barrières douanières, qui ne servent qu’à reculer pour mieux sauter, mais ces barrières immatérielles que sont la protection industrielle, les marques, le savoir-faire des salariés…

Les discours sur le coût du travail sont aujourd’hui très à la mode, mais ils ne servent trop souvent qu’à masquer les erreurs de politique industrielle et de management. Le cas de la lingerie est caractéristique. Si Lejaby a du fermer sa dernière usine française, d’autres spécialistes résistent et continuent de produire en France : ce n’est pas qu’ils paient moins leurs salariés, mais ils ont su trouver des niches, des créneaux où le coût du travail, il représente à peu près 70% du coût d’un soutien-gorge, est compensé par des politiques commerciale et de marque adaptées. C’est le cas de Simone Pérèle qui vend à l’étranger ses soutien-gorge sophistiqués 60€. Quand on les interroge sur le cas de Lejaby, comme a fait hier un journaliste de la Tribune, ils insistent surtout, je les cite, sur « l’inaction de ses actionnaires et de leur manque d’anticipation. » 

Mettre l’accent sur la baisse du coût du travail ne permettra pas de récupérer des emplois industriels perdus. Cela ne fera que favoriser le développement d’un secteur des services qui échappe à la concurrence internationale, qui verse déjà des salaires très faibles et s’est organisé pour profiter de tout ce qui lui permet de réduire un peu plus encore le coût du travail.

La comparaison avec l’Allemagne n’est pas absurde. Encore faut-il la faire de manière pertinente.

 Le 24/01/2012







1 Comments:

  • Enfin une analyse plus exhaustive que d'habitude sur les coûts réels du travail: merci! J'ai découvert il y a peu votre blog et je trouve qu'il tranche agréablement avec la masse des blogs spécialisés sur l'entreprise qui sont souvent soit porteurs d'une idéologie conservatrice (mais ne se revendiquent jamais comme tels, le concept "TINA"), soit superficiels. Je vous lirai plus régulièrement à l'avenir: continuez!

    By Anonymous Anonyme, at 08/02/2012 09:40  

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