Les chroniques économiques de Bernard Girard

27.11.12

La compétitivité c'est aussi le dialogue social




Patronat et syndicats de salariés négocient actuellement un renouvellement du contrat salarial. Que sortira-t-il de leurs discussions ? bien malin qui peut le dire. On sait que le gouvernement, qui vient d’accorder aux entreprises des avantages significatifs sous forme de crédit d’impôts, exerce une pression forte pour que les organisations patronales trouvent un terrain d’entente avec les syndicats ouvriers. Les négociations promettent d’être difficiles et on ne peut exclure une intervention de l’Etat qui, faute d’accord des partenaires sociaux, légifère, au grand dam, d’ailleurs, des patrons eux-mêmes qui seront les premiers à se plaindre de ce que les députés et sénateurs auront multiplié les amendements qui leur déplaisent.

Cette situation n’est pas nouvelle. On pourrait même dire qu’ele est endémique et qu’elle explique, d’une certaine manière, la prolifération de notre droit social et de toutes ces réglementations dont les employeurs se plaignent si fréquemment. Pour dire les choses simplement, l’hypertrophie de notre droit social est, pour beaucoup, le fruit de la faiblesse du dialogue social dans notre pays. Plutôt que de s’en plaindre, les organisations patronales devraient s’interroger sur les causes de ce déficit, mais cela leur est naturellement difficile alors même que beaucoup de leurs membres ont développé une véritable phobie des syndicats.

Le cas du salaire minimum
Le cas du salaire minimum est exemplaire de la manière dont le déficit de dialogue social favorise l’effervescence réglementaire. Dans un article publié il y a quelques mois, Philippe Aghion, un économiste qui enseigne à Harvard et a conseillé Ségolène Royal et François Hollande, a montré que les pays dans lesquels les relations sociales sont vivantes, ceux dans lesquels les organisations syndicales sont puissantes et en mesure de négocier, sont aussi ceux dans lesquels les législations sur le salaire minimum sont le plus rares (Can policy interact with culture ? Minimum wage and the quality of labor relations). Il y a, pour dire les choses de manière plus savante, une forte corrélation négative entre les effectifs des organisations syndicales et les lois sur le salaire minimum. Les pays nordiques qui ont des syndicats puissants font sans. A l’inverse, la France ou la Grèce, deux pays dans lesquels les syndicats sont très faibles ont une législation rigoureuse sur le sujet.

On comprend bien pourquoi : là où les syndicats ne peuvent rien obtenir par la négociation parce que trop faibles, l’Etat se substitue à eux. Mais, et c’est ce qui se produit en France depuis des décennies, plus l’Etat intervient, plus les syndicats s’en trouvent affaiblis : pourquoi se syndiquer si l’Etat intervient, si l’on peut obtenir le même résultat en votant une fois tous les quatre ou cinq ans ? l’intervention de l’Etat pour compenser la faiblesse syndicale ne fait que l’aggraver.

Cette situation se complique de ce que plus les syndicats sont faibles plus leurs membres, leurs militants se spécialisent dans la gestion des organismes paritaires au dépens de l’action sur le terrain auprès des salariés. Ce qui conduit, dans le cas français, à une sorte de blocage de nos institutions dont on vient d’avoir une belle illustration.

On le sait, le gouvernement a choisi de réduire de manière significative le coût du travail. S’il l’a fait en choisissant un crédit d’impôt plutôt que le transfert des cotisations patronales vers la CSG ou la TVA, c’est que cela aurait conduit à un casus belli avec les organisations syndicales qui risquaient de perdre une multitude de postes dans les organismes gestionnaires, comme, par exemple, les caisses d’allocations familiales. Rien n’aurait justifié, une fois qu’elles auraient été financées par l’impôt que siègent à leur conseil d’administration des représentants des organisations syndicales ouvrières et patronales. Ce sont 1632 administrateurs, 16 par caisses et il y en a 102 caisses, qui auraient pu à terme perdre leur poste. On comprend que le gouvernement se soit méfié.

On a là, donc, une machine infernale. La faiblesse syndicale se nourrit d’elle-même pour le plus grand tort des salariés mais aussi de l’économie, de sa compétitivité. Oui, de la compétitivité, car l’on a découvert que les syndicats n’étaient pas, comme le croient trop volontiers les libéraux et les organisations patronales, un frein à la productivité. Bien au contraire, de bonnes relations sociales l’améliorent. C’est ce qui ressort en tout cas des travaux récents de Gilbert Cette, sur des données françaises, et de quelques autres sur des données américaines et allemandes (Labour relations quality and productivity: an empirical analysis on french firms.)

Des syndicats puissants améliorent la qualité de l’information des entreprises
Il ne s’agit évidemment pas d’être naïf et de penser qu’il suffirait de syndicats puissants pour améliorer la compétitivité d’une industrie. On a, bien évidemment, de nombreux exemples du contraire. Mais voyons ce qui se passe lorsqu’un syndicat s’étiole dans une entreprise. D’un coté, et ce peut être le bon coté pour les employeurs, les conflits sociaux s’espacent, les jours d’arrêt pour faits de grève diminuent, les réunions du comité d’entreprise se passent mieux, les tensions apparentes disparaissent. Mais de l’autre, l’entreprise perd une source d’information importante sur les problèmes qui peuvent surgir en son sein. Les syndicats, lorsqu’ils sont puissants, lorsqu’ils ont des contacts réguliers avec les directions font circuler des informations qui sont autrement bloquées par la structure hiérarchique.

Tout cela peut paraître théorique, mais ne l’est pas. Je prendrai un exemple banal mais que j’ai vécu dans un établissement du groupe Alcatel il y a quelques années. C’était une usine dans la région parisienne construite à l’ancienne avec une toiture en shed, en dents de scie avec de grandes surfaces vitrées. L’une de celles-ci était cassée. En hiver, les ouvriers qui travaillaient en dessous avaient froid, recevaient de la pluie lorsqu’il en tombait, refusaient donc d’occuper les postes exposés, d’où des conflits quotidiens avec les chefs d’équipe. Le contremaître de l’atelier le savait et protestait régulièrement, mais il était incapable de se faire entendre de la direction de l’usine, le responsable de l’entretien qui avait un budget étriqué avait toujours affaire plus importante à traiter. Lorsque les ouvriers se sont plaints au syndicat, celui-ci a immédiatement fait remonter cette affaire au sommet en indiquant que si rien n’était fait l’atelier se mettrait en grève. Dans les jours qui ont suivi la décision a été prise de réparer le toit défaillant. Les tensions dans l’atelier ont disparu et sa production s’est améliorée.

Ce n’est qu’un exemple mais on pourrait en trouver mille dans le quotidien des entreprises.

Autre dimension souvent négligée de l’action syndicale : la gestion des tensions et des conflits. Est-ce parce qu’on en entend surtout parler à l’occasion de conflits graves qui conduisent à la grève, on a en général le sentiment que les syndicats mettent systématiquement de l’huile sur le feu. Leur rôle est en réalité bien plus subtil. Ils arbitrent entre tous les motifs de mécontentement qui remontent jusqu’à eux. Ils font le tri dans les conflits et ceci, en fonction des rapports de force avec la direction. Ils font avancer les dossiers qui leur paraissent suscceptibles d’aboutir ou de recueillir un fort assentiment des salariés. Ils calment le jeu pour tout le reste.

Puissants, ils mettent en avant les conflits qui concernent un grand nombre de personne, qui leur permettent de mobiliser beaucoup de salariés pour atteindre un objectif grâce à l’action au sein de l’entreprise, tracts, prises de parole, manifestation, arrêts de travail… Lorsqu’ils sont faibles et qu’ils n’arrivent pas à mobiliser sur des problèmes collectifs, comme cette vitre brisée dont je parlasi à l’instant, ils mettent l’accent sur les conflits individuels qui se traitent à l’extérieur de l’entreprise, devant le juge. La montée en puissance des affaires liées au harcèlement moral est directement corrélée à la faiblesse de l’action syndicale. C’en est un subtitut. Moins les syndicats peuvent agir au sein même de l’entreprise avec les moyens traditionnels de la lutte ouvrière, plus ils s’adressent à la justice.
Or, ce n’est une bonne chose pour personne. Ce n’en est pas une pour la victime qui se retrouve isolée dans son combat et souvent rejetée par ses collègues. Le plus douloureux dans les cas de harcèlement, c’est souvent l’indifférence ou l’hostilité des collègues, or ceux-ci sont très prompts à trouver que la victime exagère, qu’elle en fait trop. Ce n’en est pas une non plus pour celui que l’on accuse, à tort ou à raison, de harcèlement : bien loin de l’image d’Epinal de l’employeur occupé à défendre becs et ongles les cadres accusés, la réalité est qu’ils sont, le plus souvent, à leur tour ostracisés, condamnés par leurs pairs et mal vus de leur direction qui se serait passée de ce genre d’affaire. Il faut avoir vu un cadre accusé de harcèlement pour comprendre combien cela peut être douloureux, même s’il est effectivement coupable.

J’ajouterai enfin que si les faits qui ont conduit à cette accusation de harcèlement sont liés à la structure, à l’organisation de l’entreprise, à sa culture, à la charge de travail… ce ne peut pas être traité au tribunal qui ne juge que des cas singuliers.

La qualité des relations sociales améliore les performances
Des organisations syndicales puissantes, qui réunissent de nombreux salariés, sont donc utiles dans plusieurs cas de figure :


  • elles évitent d’abord, l’intervention de l’Etat, ce qui peut être une bonne chose si cela permet de trouver des solutions mieux adaptées. Là où le salaire minimum est non pas imposé par la loi mais négocié avec les organisations syndicales il varie selon les secteurs et selon les régions. Ce qui n’est pas illogique. Le pouvoir d’achat d’un salaire n’est pas le même dans une grande ville et dans une zone rurale, les contraintes de la distribution ne sont pas celles du bâtiment ou de la métallurgie, 
  • elles permettent ensuite d’anticiper les problèmes. Lorsqu’une entreprise va mal, des organisations syndicales bien informées le savent et peuvent inciter les directions à prendre des mesures qui évitent que les difficultés se traduisent par des lienciements. On parle beaucoup de l’efficacité du temps partiel pour résister aux difficultés en Allemagne. Mais il n’a été efficace que parce qu’il a été très tôt négocié avec les partenaires sociaux  
  • elles améliorent, enfin, la qualité des décisions puisqu’elles permettent d’intégrer dans la réflexion des données qui autrement échappent aux directions.

Mais il ne suffit pas que les organisations syndicales soient puissantes, il faut encore qu’elles soient écoutées et convaincues de la pertinence des décisions prises par le management. Ce qui suppose des institutions adéquates. On parle souvent de la présence de représentants syndicaux dans les conseils d’administration des entreprises allemandes. C’est effectivement une bonne solution en ce qu’elle permet de nourrir en permanence la négociation sociale, de faire circuler l’information de bas en haut et de haut en bas. En ce qu’elle permet également aux directions de faire valoir leur point de vue, de l’argumenter et non plus seulement de l’imposer comme si elles avaient la science infuse et toujours raison. Un des facteurs qui expliquent le désenchantement de beaucoup de salariés, désenchantement que les enquêtes menées au sein des entreprises révèlent régulièrement vient de ce que les décisions qui tombent du ciel leur paraissent souvent contradictoires, incompréhensibles. « On ne sait où l’on va » est l’une des expressions les plus souvent entendues dans les entreprises. Et pour cause : les directions se contentent d’imposer leurs vues sans chercher à justifier les changements de cap, de stratégie, d’orientation. C’est comme cela et pas autrement. Inutile de dire que cette liberté qui leur est laissée d’agir comme ils l’entendent n’est pas toujours du meilleur effet. Là où ils existent, les contrôles, ceux du conseil d’administration d’un coté, ceux des organisations syndicales de l’autre contribuent à l’amélioration de la qualité des décisions.

Pourquoi si peu de syndicalistes en France ?
On peut imaginer que dans les mois qui viennent le gouvernement ou le Parlement vont proposer des mesures allant dans ce sens. Reste à savoir si elles permettront d’enrayer la chute des effectifs syndicaux et d’améliorer le dialogue social.

Modifier les institutions qui organisent le dialogue social peut aider à atteindre ces objectifs, mais est-ce que ce serait suffisant ? pour que le dialogue social reprenne tournure, il faudrait agir sur les causes profondes de l’affaissement des organisations syndicales. Elles sont multiples.

Il y a, ces dispositifs institutionnels qui entretiennent depuis des décennies la division syndicale, freinent voire interdisent l’émergence de nouveaux acteurs et favorisent la concentration des forces syndicales dans le secteur public, mais cela tient aussi à des phénomènes plus lourds sur lesquels il est plus difficile d’agir. J’ai déjà dit un mot du rôle de l’Etat qui en jouant de la loi faute d’accords négociés entre partenaires sociaux, gêne le développement des organsiations syndicales. Mais il n’y a pas que cela. 
Il y a l’évolution de l’économie française. Les secteurs fortement syndicalisés dans l’industrie ont disparu. Les syndicats n’ont pas su s’imposer dans les secteurs nouveaux, la grande disribution, la restauration rapide, l’intérim… cela tient évidemment aux contrats de travail privilégiés dans ces établissements mais aussi, peut-être, au manque d’imagination des organisations syndicales qui, plutôt que de chercher des solutions nouvelles ont préféré concentrer leurs efforts sur le secteur public.

Il y a, aussi, la structure de l’économie française, son coté dual, avec d’un coté quelques très grandes entreprises internationales et de l’autre beaucoup de petites entreprises. La présence d’organisations syndicales dans les grandes entreprises ne pose guère de problème. Elles ont les moyens d’employer des spécialistes en ressources humaines, rompus aux techniques du dialogue social, qui savent négocier. Même si leurs directions n’apprécient guère les syndicats, il leur est difficile de leur interdire d’agir et de travailler. Il en va tout autrement dans les entreprises plus petites. La négociation sociale est une charge supplémentaire pour les chefs d’entreprise qui peuvent difficilement la déléguer à des collaborateurs qui ne sont pas mieux formés qu’eux à cet exercice. Et ce qui vaut pour les chefs d’entreprise vaut également pour les salariés : même avec la meilleure volonté du monde on ne s’improvise pas leader syndical ou négociateur. Cela demande des compétences, notamment en matière de droit du travail, qui manquent à la plupart.

La proximité avec les salariés rend, par ailleurs, beaucoup plus problématique tout conflit un peu tendu. Même protégé, le salarié peut craindre des rétorsions et l’employeur s’offusquer de ce que ses décisions sont mises en cause. Si le syndicalisme est si faible en France, c’est que beaucoup de patrons, surtout dans les PME qui représentent l’essentiel de l’emploi, s’y opposent avec la plus grande vigueur. Ils sont patrons chez eux et veulent le rester et n’acceptent pas de partager si peu que ce soit leur pouvoir.

La compétitivité est aussi affaire de dialogue social
On l’a compris, la compétitivité ne saurait se limiter à une action sur le coût du travail. C’est aussi l’affaire de l’innovation et, plus inattendu, peut-être, de la qualité du dialogue social. Là-dessus les entreprises françaises ont de gros progrès à réaliser et les pouvoirs publics de gros efforts à faire en matière d’imagination pour trouver le moyen de contourner ces obstacles que sont l’environnement institutionnel et la structure de l’économie française. Cela ne se fera sans doute pas d’un seul coup de baguette magique. La Présidence Sarkozy avait pris quelques mesures allant dans la bonne direction avec notamment la loi Larcher de 2007 qui impose une concertation préalable, voire une négociation, avant tout projet de loi social, avant de revenir en arrière. La Présidence Hollande devrait poursuivre dans cette direction.

17.11.12

Chômage : et si l'on relisait Alfred Sauvy


 Alfred Sauvy fut un économiste et démographe important dans la France des années trente aux années soixante-dix. Fondateur de l’INED, l’institut national de démographie, il participa à des cabinets ministériels dans les années trente et a inspiré nombre de politiques. On pouvait penser que son influence s’était évanouie, mais j’ai trouvé tout récemment, dans une revue américaine, la Harvard Business Review, un article d’un spécialiste réputé des théories du management qui reprenait sans le citer, sans peut-être même l’avoir lu une idée de Sauvy  (Creating Shared Value) :  Michaël Porter.   

Cet expert que connaissent tous ceux qui ont suivi des cours de gestion ou de stratégie, c’est l’inventeur de l’une des théories les plus enseignées aujourd’hui dans les écoles de commerce, invite les entreprises à s’interroger sur les besoins de leur environnement immédiat. Elles les ont, dit-il, trop négligés et il y a là des marchés sous-exploités qui permettraient de renouer un lien entre l’entreprise et son environnement social qui s’est distendu.

Or cette thèse ressemble beaucoup à celle que développait en 1968 dans un article de la revue population au chômage : Un essai d’économie intégrale : la couverture de ses besoins par une population.
Alfed Sauvy

La notion de besoin 
Dans cet article consacré au chômage, une question nouvelle dans les années soixante, Alfred Sauvy cite Marx, Engels, quelques autres auteurs classiques et donne d’abord une définition du besoin :
 Nous pourrions dire que le besoin d'un individu, d'une famille, correspond a une consommation qu'il ne peut atteindre, le plus souvent faute du revenu suffisant, mais qu'il sent à sa portée et dont la légitimité ne rencontre pas d'objection sérieuse. C'est le cas, en particulier, pour des consommations effectives des catégories sociales légèrement supérieures et, de façon générale, pour des objets de large production. 
Cette définition paraît toujours opérationnelle. Elle nous parle intuitivement. Nos besoins sont toujours légèrement supérieurs à ce que nos revenus nous permettent de consommer. Légèrement, guère plus, ce qui nous permet de la juger accessible et donc mériter qu’on s’attache à l’obtenir, soit directement par plus de travail, soit indirectement, par l’action collective, la protestation, la grève…

Deuxième idée que développe Alfred Sauvy : nos besoins évoluent. « Il est, nous dit-il, difficile d’assigner une limite en soi à la progression de nos besoins. » troisième idée : nos besoins ne peuvent, pour l’essentiel, être satisfaits que par du travail humain. On a donc là dans cet écart entre les besoins exprimées et les consommations réelles un espace de croissance. Raisonnement qui l’amène à proposer la création d’une grande enquête sur les besoins.
 L'enquête proposée comporte deux parties (2) 
a. Evaluation de tous les besoins, publics et privés, d'une population donnée, par exemple une population nationale; ces besoins sont estimés a l'état pur, en dehors de toute considération financière ou de rentabilité. 
b. Traduction de ces besoins en heures de travail ou en années de travail de diverses qualifications directes ou indirectes, traduction qui aboutit, pour une durée annuelle du travail déterminée, a la composition de la population active nécessaire pour satisfaire ces besoins. 
Ce faisant, il ne fait que reprendre une idée ancienne puisqu’en 1950, l’INED a réalisé, à la demande du Comité National de la Productivité, une enquête de ce type, enquête qui n’a pas été répétée mais dont quelques unes des questions ont été intégrées dans d’autres enquêtes démographiques. Dans celles réalisées dans les années soixante que cite Sauvy dans son article, les personnes interrogées indiquaient qu’elles auraient en moyenne besoin d’une augmentation de leurs ressources d’un peu plus de 30% pour satisfaire leurs besoins. 

Les enquêteurs demandaient alors aux personnes qu’ils rencontraient :
 Pour satisfaire vos besoins et ceux de votre famille, quelle augmentation de ressources serait nécessaire? Exprimez-la en pourcentage. 
Il serait intéressant de savoir ce que l’on répondrait aujourd’hui à une telle enquête.

Une critique des stratégies des grandes firmes 
Il est assez facile de critiquer cette démarche. Elle a un parfum de planisme qui est passé de mode et que l’on imagine difficilement revenir d’actualité.

Et l’on pourrait ajouter que si l’Etat ne fait plus ce genre d’enquête globale, il continue d’en faire de comparables sur des domaines particuliers, besoins en matière de santé, d’enseignement… les entreprises pratiquent elles régulièrement ce genre d’études. Et que cela suffit bien. Et c’est là que le texte de Michaël Porter est intéressant. Il nous dit en substance que ce n’est pas le cas ou, plutôt que les entreprises, les grandes entreprises internationales délaissent leur marché national au profit des marchés internationaux. Pour un constructeur automobile, il peut être plus intéressant de viser les marchés immenses des pays émergents, de la Chine, du Brésil, que de chercher à satisfaire les besoins non satisfaits en France ou en Europe.
Quoique leurs besoins soient, écrit Michaël Porter, de plus en plus pressants les communautés défavorisées n’ont pas été reconnues comme des marchés intéressants. L’attention est aujourd’hui portée sur l’Inde, la Chine, le Brésil qui offrent aux entreprises la possibilité de toucher des millions de consommateurs au bas de la pyramide (…) On a les mêmes opportunités dans les communautés défavorisées des pays développés. Nous avons appris, par exemple, que les quartiers pauvres sont aux Etats-Unis très mal servis alors même que leur pouvoir d’achat est substantiel. Mais il est négligé. Plutôt que de chercher à inventer et développer des produits satisfaisant les besoins de ces catégories, les grandes entreprises vont commercialiser leurs produits dans les pays émergents. 
Plutôt, pour ne prendre que cet exemple, de travailler à la lutte contre l’obésité en Occident, problème qui affecte leurs clients, les McDonalds et autres spécialistes de la restauration rapide s’installent en Chine ou en Russie.

Porter parle surtout des classes défavorisées mais on pourrait étendre cela à l’ensemble de la population. Est-on bien sûr que les entreprises qui investissent massivement dans les pays émergents ne négligent pas des marchés locaux laissés aujourd’hui en déshérence, notamment dans les services à la personne ?

Parce qu’il est un spécialiste des questions de management et un avocat déterminé du capitalisme, Michaël Porter ajoute qu’en se comportant de cette manière les entreprises commettent une erreur : elles ont besoin d’un environnement favorable dans leur pays de base. Et à trop le négliger, elles insultent, nous dit-il, l’avenir.

La population active, un résultat et non pas une donnée 
Ce retour vers le texte d’Alfred Sauvy met en évidence ce qui distinguait les années soixante de la période actuelle : l’optimisme. A aucun moment, Sauvy ne doute de la capacité de l’économie à satisfaire, à plus ou moins brève échéance, ces besoins. Il voit même dans l’évolution de ces besoins un moteur de la croissance. L’enquête qu’il propose ouvre des perspectives, éclaire l’avenir de manière positive. Soit tout le contraire de ce que l’on fait aujourd’hui où l’on n’a de cesse de nous expliquer que nous avons mangé notre pain blanc, qu’il va nous falloir nous serrer la ceinture toujours un peu plus. Ce qui ne porte évidemment pas à la confiance.

Ce texte de Sauvy est intéressant d’une autre manière, dans sa méthode. Je disais que sa démarche rappelait celle des plans quinquennaux de la période gaulliste. A ceci près que la population active, celle appelée à travailler, à satisfaire ces besoins n’est pas, comme elle pouvait l’être dans les travaux du Commissariat au Plan, une donnée mais un résultat. Partant des besoins exprimés, il propose de calculer le nombre d’heures, de journées de travail nécessaire pour les satisfaire. Et comme ces journées de travail sont infiniment plus nombreuses que celles effectivement travaillées, par construction puisqu’il s’agit de satisfaire des besoins qui ne le sont pas aujourd’hui, le chômage cesse d’être un fatalité pour devenir le symptôme d’une inadéquation de l’économie aux besoins de la population. En d’autres mots il ne s’agit plus de rechercher un traitement social du chômage, des aides aux chômeurs pour les protéger, les former… mais un traitement économique : comment amener les industriels, les entreprises à satisfaire les besoins aujourd’hui négligés. C’est une toute autre approche, là encore plus positive. Ce ne sont pas les chômeurs, l’éducation nationale, les aides sociales, tous les coupables classiques, qui sont à ses yeux responsables du chômage mais la myopie des entrepreneurs, des entreprises qui négligent des marchés juste sous leurs yeux.

Vers des entreprises hybrides? Les Benefit Corporations… 
Peut-on corriger cela ? et comment ?

 Revenir à une planification à l’ancienne paraît difficile. Compter sur la bonne volonté des entreprises paraît sans espoir. Y a-t-il d’autres voies ? c’est ce que cherche Michaël Porter qui propose toute une série de solutions en matière de réglementation, d’organisation de l’industrie, de formation des managers… qu’il serait trop longtemps de détailler ici, qui ne seraient peut-être pas pertinentes dans le cas français et qui ne seraient pas forcément efficaces mais il fait, dans un encadré, une remarque qui retient l’attention : il indique que ce qu’il appelle la « shared value », cette création de valeur partagée qu’il appelle de ses vœux pour satisfaire des besoins aujourd’hui négligés, brouille les frontières entre les entreprises à but lucratif et celles à but non lucratif. Il cite le cas de quelques entreprises, notamment d’une société du Bangladesh qu’il qualifie d’hybride, Waste Concern, qui transforme des déchets urbains en fertilisants. Ce qui lui permet tout à la fois de satisfaire des besoins sociaux (fertilisants bon marché), globaux (la réduction du CO2) et de gagner de l’argent.

 L’intéressant dans cet exemple est l’utilisation du mot hybride pour décrire cette entreprise qui poursuit tout à la fois des objectifs sociaux et économiques. Et ceci explicitement. D’ordinaire, les organisations à but non lucratif poursuivent des objectifs sociaux et les entreprises commerciales des objectifs économiques. Et là on a les deux. Est-ce une illusion ? peut-on effectivement concilier les deux ? dans l’état actuel du droit des entreprises cela paraît difficile : quelle que puisse être, par ailleurs, la bonne volonté de leurs dirigeants, les grandes entreprises sont soumises à la règle du profit. Et toutes celles qui disent autrement mentent ou se trompent : la poursuite du profit est comme inscrite dans leurs gênes ou, plutôt, dans leur statut juridique. D’où l’idée de certains, notamment aux Etats-Unis, de créer des entreprises hybrides. On les appelle « benefit corporations », on les trouve dans quelques Etats et quelques villes, en Californie, à Philadelphie, dans le Massachusetts… et elles sont apparues tout récemment. C’est en avril 2010 que le Maryland a imaginé ce statut que l’on retrouve aujourd’hui dans d’autres Etats.

Ce sont des entreprises qui doivent, de par la loi, satisfaire aussi bien des objectifs sociaux que des objectifs financiers et qui sont soumises à des processus de certification par une tierce partie : ce ne sont plus seulement les actionnaires qui jugent de ses résultats, de l’efficacité de sa direction, de la qualité de sa stratégie, mais aussi des organismes de certification chargés d’évaluer les performances sociales et sociétales de l’entreprise.

C’est, comme je le disais, tout nouveau et l’on ne sait pas bien ce que cela donnera. Est-ce que cela peut inciter des entreprises à s’occuper de ces marchés aujourd’hui négligés ? Difficile à dire. Cela peut aussi bien mettre un peu de plomb moral dans les affaires du capitalisme que favoriser l’entrée des capitalistes dans des domaines jusque là réservés aux organisations à but non-lucratif : santé, services aux personnes…

Reste que l’on a là une piste pour répondre à cette question que posait Alfred Sauvy et qu’a reprise Michaël Porter : comment satisfaire ces besoins aujourd’hui négligés qui permettraient si l’on voulait s’y attaquer, de créer de très nombreux emplois ? comment satisfaire ces besoins qui ne correspondent pas forcément aux projets marketing des grandes entreprises.

11.11.12

Gallois : un rapport décevant




Le rapport Gallois est sorti. Le gouvernement a surpris en reprenant la plupart de ses préconisations. Ce qu’il a fait au risque d’aller un peu vite parce que ce rapport n’est pas aussi important qu’on l’a dit. Pour l’avoir lu, je dirai qu’il est plutôt décevant et que les analyses qu’il fait de la situation sont marquées par un extrême conformisme, on a l’impression de les avoir lues mille fois, et, ce qui est peut-être plus gênant, par ce que je qualifierai d’absence de curiosité. Tout cela peut s’expliquer par la rapidité avec laquelle ses auteurs ont du travailler, mais tout de même.

Dans une libre-opinion publiée il y a quelques jours dans Libération, Philippe Askenazy disait qu’on croyait « lire un discours de Raymond Barre à la fin des années 70. » Il y a effectivement un peu de cela dans ce texte convenu. Mais il y a surtout un défaut d’analyse de la situation qui amène à s’interroger sur la pertinence des solutions proposées.

Le rapport commence de manière classique par le décrochage dans la compétition internationale de notre économie :
Tous les indicateurs le confirment : la compétitivité de l’industrie française régresse depuis10 ans et le mouvement semble s’accélérer. La diminution du poids de l’industrie dans le PIB français est plus rapide que dans presque tous les autres pays européens ; le déficit croissant du commerce extérieur marque nos difficultés à la fois vis-à-vis des meilleures industries européennes et face à la montée des émergents.
Soit, mais pourquoi ?

Dix ans de droite ?
Il y a dans ces premières lignes du rapport trois mots qui auraient du inciter à Gallois et ses collègues à approfondir ce diagnostic : « depuis 10 ans », depuis, en somme, que la droite est au pouvoir. Est-ce que ce sont les mesures prises par les gouvernements de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy qui sont en cause ? Et si oui, lesquelles ? Est-ce, a contrario, l’absence de mesures ? Mais alors pourquoi n’ont-elles pas été prises ? qu’est-ce qui s’y opposait ? quels étaient les blocages que leurs successeurs pourraient aussi rencontrer ? Et si les décisions prises par ces gouvernements ne sont pas en cause, faut-il remonter plus loin, plus haut ? On pense naturellement aux 35 heures tant rebattues. Et si celles-ci n’y sont pour rien comme il est probable, faut-il chercher ailleurs ?

Les hypothèses ne manquent pas. Je voudrais en signaler deux qu’on évoque rarement : la dualité de l’économie française et sa répartition géographique.

On souligne souvent que la France manque de ces sociétés de taille intermédiaire, de ces grosses PME qui font le succès de l’Allemagne, mais c’est  que nous avons, d’un coté, beaucoup de très grosses entreprises de taille internationale, et de l’autre, une multitude de petites entreprises qui ne réussissent pas à se développer. Et lorsque l’on parle de compétitivité, il faudrait se demander si elle a reculé partout également. Danone, Michelin, Areva, EADS, pour ne citer que ces quelques noms de grandes entreprises, ont-ils perdu en compétitive ? Cela ne se lit pas ni leurs résultats ni dans leurs positions dans les grands classements internationaux. Ce qui amène à se poser une question : si ces entreprises n’ont rien perdu de leur compétitivité, la dégradation massive de notre commerce extérieur ces deux dernières années ne vient-elle pas de ce qu’elles exportent moins depuis la France et plus depuis leurs usines installées ailleurs dans le monde ? Ce qui pourrait relever de la marche normale des affaires.
Prenons, pour être plus précis, le cas d’une entreprise qui exportait il y a dix ans en Asie. Ses ventes dans cette partie du monde ont fortement augmenté, ont tant augmenté qu’elle décide d’y construire une usine. Ses exportations vers cette région disparaîtront puisqu’elles se feront depuis la Chine, la Thaïlande ou la Malaisie. Les chiffres de notre commerce extérieur s’en ressentiront naturellement, mais on ne peut pas dire qu’elle ait perdu en compétitivité.

Mesurer des effets de ce type aurait sans doute évité cette confusion entre perte de compétitivité et dégradation du commerce extérieur. Ce sont deux phénomènes différents, même s’il est vrai que beaucoup d’entreprises vendent moins à l’étranger parce qu’elles sont moins compétitives que leurs concurrentes étrangères.

Deuxième phénomène qu’il aurait été intéressant d’étudier : la répartition géographique de l’industrie en France et son rôle dans nos difficultés.

Il n’est pas rare lorsque l’actualité met en évidence une entreprise en grande difficulté de découvrir qu’elle est installée dans des villes dont on entend à peu près jamais parler. Ce n’est pas un hasard. L’industrie française s’est, depuis les années soixante, éparpillée sur tout le territoire. Les villes, un peu partout, ont voulu leur industrie, on offert aux industriels qui venaient s’installer chez elles des conditions avantageuses. Cela a créé des emplois et contribué à la modernisation de la France dans ses profondeurs, mais cela a aussi isolé les entreprises, rendu plus difficile leur croissance. Difficile de trouver dans ces petites villes les services dont les entreprises ont besoin, difficile également de trouver les compétences qui leur permettraient de se développer. Thouars, pour ne prendre que l’exemple de cette petite ville des Deux-Sèvres, a deux entreprises de plus de 250 personnes, Loeul et Piriot, un spécialiste de la viande de lapin, et la CEE, un spécialiste des sacs papier. Deux belles PME qui ont ou pourraient avoir des perspectives de croissance. Mais pour cela il leur faudrait des compétences qu’elles ne peuvent pas trouver sur place. Recruter un ingénieur pour améliorer le process industriel ? ce sera difficile. Des techniciens, des spécialistes marketing, des professionnels de la vente ? pareil. Lorsque l’on dit que les entreprises ont du mal à recruter malgré le chômage, lorsque l’on ajoute qu’elles ne se développent pas autant qu’elles pourraient, on oublie cette dimension. Quel ingénieur de qualité ira s’enterrer dans cette petite ville qui n’est pas sans charme mais qui n’offre à son épouse que peu de chance de trouver un emploi, qui n’a pas de maternité et dont les établissements scolaires ne préparent pas aux études supérieures qu’il peut souhaiter pour ses enfants. La disparition des services publics, leur dégradation contribue à la diminution de la compétitivité de beaucoup d’entreprises installées loin des grands centres urbains.

Il ne suffit pas, comme fait le rapport, de regretter que les jeunes ingénieurs ne choisissent plus l’industrie, il faut aussi se demander pourquoi tant d’entreprises n’arrivent pas à recruter des professionnels.

La compétitivité hors coût
Cette réflexion sur la géographie aurait amené les rédacteurs de ce rapport à approfondir ce qui est son autre grande faiblesse : l’analyse de ce manque de compétitivité. Ils distinguent bien la compétitive par les prix et celle par la qualité. Mais ils ne vont pas au delà. Prenons la compétitivité par les prix. On a beaucoup parlé du coût du travail, mais il n’en qu’une des composantes. L’autre est la technologie, la qualité des processus de production. Si l’économie américaine est sortie de sa longue léthargie, c’est grâce à l’injection massive de technologie, d’informatique, d’électronique… dans ses processus de production.

Le manque de compétitivité des PME françaises vient de ce qu’elles n’ont pas su profiter autant que leurs concurrents en Allemagne ou ailleurs, de ces technologies qui permettent de réduire les coûts. Les auteurs le signalent, ils donnent même des chiffres : 34 500 robots industriels, avec une moyenne d’âge élevée, sont en service en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Mais ils ne vont pas au delà. Pourquoi les entreprises françaises sont-elles si peu équipées ?

Est-ce parce qu’elles sont trop petites ? parce qu’elles n’en ont pas les moyens ? parce qu’elles manquent des compétences nécessaires pour investir dans des technologies qui demandent des savoir-faire pointus, rares, qu’on ne trouve évidemment dans aucune de ces petites villes dans lesquelles sont installées tant d’entreprises. 

On aurait aimé qu’ils mettent l’accent sur ce phénomène, qu’ils s’interrogent et se demandent comment amener ces PME à s’équiper de matériels plus modernes. Mais non rien. Alors même que se poser ces questions, c’est presque y répondre.

S’équiper de ces technologies, de ces robots demande des moyens financiers. Ces PME les trouveront peut-être demain auprès de la banque publique d’investissement. Cela suppose aussi des compétences, et à défaut de pouvoir les recruter directement, pour les raisons qu’on a vues, des services qui les apportent aux entreprises.

Ils auraient pu insister sur la modernisation des centres techniques, des instituts Carnot, de ces institutions qui ont pour vocation d’aider les entreprises à accéder à ces technologies nouvelles mais qui ne le font manifestement pas de manière suffisante. Ils auraient pu proposer la réorganisation de ces réseaux, des financements, le développement de mécanismes qui favorisent le partage des inventions et permettent surtout à ces organismes de mettre à disposition des entreprises petites et moyennes des ressources, compétences, bases de données, contacts… qui les aident à moderniser leurs produits ou leurs processus de production. Qui mettent, pour ne prendre que cet exemple, les dirigeants d’une petite entreprise un peu perdue dans une petite ville en contact avec des gens au fait des dernières technologies.

Des réflexions de ce type les auraient sans doute amenés à s’interroger sur la possibilité de créer ce que l’économiste Marshall appelait au début du 20ème siècle des districts industriels, ce que les économistes appellent aujourd’hui plutôt des clusters qui sont à l’origine des succès industriels de l’Asie. Il s’agit de regroupement dans une même ville, une même vallée, une même région d’entreprises qui font le même métier ou des métiers voisins et qui peuvent donc partager des services en commun, logistique, marketing, recherche, exportation… On en a en France plusieurs exemples, le décolletage en Haute-Savoie, qui a permis à la France d’être leader mondial dans ce domaine, le vêtement avec la concentration des ateliers textiles dans le Sentier…

Ils auraient pu enfin parler autrement de formation. Ils en disent un mot, ils lui consacrent même un chapitre et soulignent les gaspillages de la formation professionnelle mais ils n’apportent de solution à un problème lié, pour l’essentiel, au détournement des budgets de cette formation par les organisations syndicales, ouvrières et patronales, comme l’avait montré le rapport Perruchot.

Lorsque l’on aborde les questions de formation, on évoque en général le rapprochement de l’université et des entreprises. Les auteurs de ce rapport ne manquent pas à cette tradition. Peut-être aurait-il mieux valu qu’ils s’interrogent sur les échecs répétés des multiples tentatives faites ces trente dernières années et qu’ils proposent ce qui serait tout à la fois le plus simple et le plus efficace, tant pour les entreprises que pour l’université et pour l’emploi des jeunes diplômés : la mise en place de dispositifs qui donnent aux entreprises la possibilité de contribuer au financement de thèses d’étudiants en troisième cycle. Cela inciterait les étudiants à se tourner vers le monde de l’entreprise et cela donnerait à celles-ci la possibilité de nouer des liens avec de jeunes chercheurs susceptibles d’être recrutés. On se plaint beaucoup de ce que les entreprises pratiquent peu la recherche ou, plutôt, qu’il y a peu de recherche privée. Ce serait un moyen de la développer.

Pourquoi ce rapport est-il si décevant ?
On l’a compris, j’ai trouvé ce rapport très décevant, trop court dans ses analyses, trop conventionnel dans ses approches. Cela peut, pour une part, s’expliquer par le peu de temps laissé à ses auteurs. Mais cela tient aussi à la méthode retenue. Ses auteurs ont compilé les rapports existants, repris leurs analyses, leurs données. Pas étonnant que dans ces conditions ils tombent sur les mêmes propositions et les mêmes résultats.

Cela tient encore, et peut-être surtout, à une erreur de casting. Louis Gallois est un grand industriel, il connait bien le monde des grandes entreprises internationales, il sait ce que peuvent être leurs problèmes de compétitivité et comment les résoudre. Il connaît beaucoup moins bien le tissu industriel français, les problèmes de ces PME dispersées sur tout le territoire qui n’arrivent pas à croître malgré leur potentiel. Il aurait pu pallier tout cela s’il avait eu le temps de mener de véritables analyses, s’il avait pu s’entourer de spécialistes de ces secteurs, s’il avait pu aller rencontrer ces dirigeants, réfléchir avec eux à leurs problèmes. Il n'en a, évidemment, pas eu le temps.

Est-ce que tout cela condamne les propositions de ce rapport et les décisions que le gouvernement a prises à sa suite ? pas forcément. La réduction du coût du travail soulagera sans doute nombre d’entreprises dans la période de grande difficulté que nous traversons, cela leur permettra de mieux résister au choc de la concurrence extérieure et peut-être même pour certaines de reconquérir des parts de marché, cela atténuera les critiques du patronat à l’égard du gouvernement et aidera à la négociation d’accords avec les organisations syndicales sur le marché du travail, le gouvernement pouvant dire aux patrons, au Medef,  j’ai fait ma part, à vous, maintenant de faire des efforts, mais cela suggère que les ces mesures risquent de ne pas donner des résultats à la mesure des attentes. Et c’est dommage.