Les chroniques économiques de Bernard Girard

28.2.12

Finance sociale : une idée pour Nicolas Sarkozy?


La « social finance » 
On sait que Nicolas Sarkozy a choisi de faire campagne en lançant une nouvelle idée chaque jour. La tactique qui lui avait réussi en 2007 consiste à balader son adversaire d’un sujet à l’autre, de l’obliger à réagir, de le faire dans l’improvisation et donc de passer pour ne pas avoir de projet alors que lui-même en a, ou en aurait une besace pleine. La reprise de cette technique se heurte toutefois à deux inconvénients :

- la plupart de ces idées ne sont que cela : des idées qu’il ne pourra pas mettre en œuvre, soit parce qu’elles sont irréalisables, comme ces référendums sur l’immigration et le chômage qui ont occupé la première page des journaux pendant quelques jours avant de disparaître, soit parce qu’elles se heurtent à tant d’opposition qu’il y a peu de chance qu’elles voient le jour.

 - le second inconvénient est qu’il faut des idées, il en faut beaucoup et Nicolas Sarkozy paraît cette fois-ci en manquer un peu. La preuve : il pioche dans celles qu’il avait avancées en 2007.

Sur le premier de ces deux inconvénients, il m’est bien difficile de faire quoi que ce soit, mais je peux l’aider sur le second. Je peux le faire en lui proposant de regarder ce qui se fait à Peterborough, une petite ville britannique qui teste depuis deux ans un nouveau produit financier : les social impact bonds, ce que l’on pourrait traduire par obligations à impact social.

C’est une innovation financière qui devrait plaire à ses amis du Fouquet’s, aux assureurs, banquiers et autres financiers qu’il a aidés tout au long de son premier mandat, qui pourrait séduire les journalistes économiques du Figaro ou des Echos, susciter l’enthousiasme de ses militants et réconcilier les divers droites humanistes, sociales, populaires qui le soutiennent. Mais peut-être aussi, on le verra, donner quelques idées à d’autres candidats à la recherche de solutions pour financer des biens publics, des services publics, des services sociaux en période de grande pénurie. Mais de quoi s’agit-il ?

Le capitalisme au service du social 
Le principe est simple : des actionnaires financent des services sociaux confiés à des opérateurs privés, entreprises privées ou associations caritatives, un peu comme ils financent des entreprises qui vendent des produits à d’autres entreprises ou à des particuliers.

 Lorsqu’un investisseur finance une entreprise, il est rémunéré par les bénéfices que celle-ci réalise. C’est le même mécanisme qui est ici proposé à la seule différence que l’Etat est ici le client potentiel. Je dis potentiel parce que si c’est bien avec lui que les émetteurs de ces obligations signent un contrat, celui-ci stipule que l’Etat ne paiera que si les actions entreprises donnent des résultats satisfaisants.

 Ces produits financiers d’un nouveau genre relèvent de ce que l’on appelle outre-manche, le PBR, Payment by results, le paiement sur résultats, une démarche engagée au début des années 2000 et poursuivie de manière systématique par l’actuel gouvernement conservateur en matière sociale et que l’on retrouve sous une forme ou sous une autre dans toute une série de programmes concernant la petite enfance, la lutte contre la toxicomanie, les SDF…

Mais revenons à nos obligations, à nos Social Impact Bonds, ou SIBs comme disent déjà les observateurs britanniques.

La première expérimentation de ce type a été entamée en 2010 à Peterborough, une petite ville d’une quinzaine de milliers d’habitants à une quinzaine de kilomètres au Nord-Est de Londres. Le projet consiste à réhabiliter des prisonniers, tâche aujourd’hui plutôt mal prise en charge par des services publics. « Si, disent les promoteurs de cette opération, nous réussissons à réduire de 10% la récidive, nous devrions pouvoir offrir à nos investisseurs un taux de retour de 7,5% par an sur huit ans. » Ce qui en ferait, effectivement, un investissement rentable, rentable pour les actionnaires, plus même, excitant, mais aussi, du moins en théorie pour l’Etat puisqu’il serait financé par les économies qu’il ferait : qui dit baisse du taux de récidive dit en effet baisse des budgets consacrés à la police, à la justice et au système pénitentiaire. Plutôt que de construire de nouvelles places de prison, il rembourserait avec intérêt les investissements réalisés par les particuliers et institutions qui ont acheté ces obligations.

 Si ces entreprises et associations chargées de ces missions font mieux que 10%, la rémunération du capital sera plus élevée, s’ils font moins bien, elle sera plus faible. Et s’il apparaît que les services ainsi financés ne sont pas plus efficaces que ceux aujourd’hui rendus par les services publics, l’Etat ne les achètera pas et les investisseurs perdront leur mise.

 Je disais que cela pourrait intéresser Nicolas Sarkozy. Cela a en tout cas séduit le gouvernement conservateur britannique qui s’est prêté au jeu, qui suit de très près cette expérimentation et qui a d’ores et déjà expliqué que c’était une piste très prometteuse. Pour que Nicolas Sarkozy puisse reprendre cette idée, il faudrait évidemment que ses communicants trouvent une bonne manière de la présenter au grand public, qu’ils lui donnent un nom, obligation fait un peu trop sérieux, un peu trop financier quand son principal adversaire a choisi de déclarer la guerre à la finance, mais ils sauront faire : ils ont du talent pour cela. 

Mais laissons là Nicolas Sarkozy et ses communicants et revenons à ce nouvel outil financier. Que peut-on en attendre ? n’est-ce pas trop beau pour être vrai ?

Un transfert du risque de l’Etat au secteur privé 
Pour se financer, les promoteurs de ces obligations s’adressent en priorité aux organisations charitables qui s’intéressent à des projets sociaux de ce type, mais si leurs prévisions économiques se révèlent exactes, ils trouveront vite des fonds ailleurs, auprès de banques ou de gros investisseurs. Ils ont déjà obtenu pour le projet Peterborough, 5 millions de £, ce qui n’est pas négligeable, et ils en espèrent récolter en définitive 8 millions, de quoi, disent-ils, atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, qu’ils se sont engagés à atteindre.

Ils comptent réussir leur pari en jouant sur trois facteurs :

- l’efficacité réputée meilleure de la gouvernance privée,

- les innovations que ce dispositif favorise puisque l’on ne peut espérer récolter de l’argent pour financer ce genre d’opérations que si l’on montre créatif,

- et, enfin, le sous-investissement chronique de ce type de services. Si les taux de récidive sont aussi élevés, c’est que les pouvoirs publics délaissent ces activités et ne leur accordent que très peu de crédits.

L’expérience pilote de Peterborough porte sur 3 cohortes de 1000 jeunes sortis de prison après une condamnation à une peine de prison de moins d’un an. L’objectif est de réduire le taux de récidive dans l’année suivant leur sortie de prison d’au moins 10% pour chaque cohorte ou de 7,5% sur les six ans que doit durer l’opération. Les investisseurs ne seront remboursés de leur investissements que si ces objectifs sont atteints. Le seront-ils ? Est-ce seulement plausible? Il est bien trop tôt pour le dire puisque l’opération vient tout juste d’être lancée, mais on peut déjà souligner quelques points positifs.

On remarquera, d’abord, qu’une opération de cette nature est susceptible de donner à des investisseurs, des financiers, des entreprises qui souhaitent se comporter en bon citoyen une occasion de le faire tout en poursuivant des objectifs financiers traditionnels puisque, si tout se passe bien, ils recevront une rémunération. Ce peut être une manière de résoudre le vieux conflit entre les soucis de responsabilité sociale des entreprises et l’intérêt bien compris de leurs actionnaires.

 On remarquera ensuite qu’elle revient à investir 26666£ par détenu sorti de prison en accompagnement post-détention. C’est beaucoup plus que ne dépensent aujourd’hui les pouvoirs publics. Et cela vient au dessus, en plus de ce que les pouvoirs publics ou d’autres comme Sodexo, la société de services que nous connaissons ici dans ses activités de restauration d’entreprise mais qui assure un certain nombre de prestations dans les prisons anglaises, font déjà puisqu’il n’a jamais été question de supprimer ce qui existe, aussi maigre cela puisse-t-il être.

On remarquera encore qu’il s’agit d’un argent neuf et qu’il y a transfert du risque que cela ne marche pas de l’Etat au secteur privé. Et l’on peut imaginer que les investisseurs auront à cœur de faire en sorte que cela marche, non pas par philanthropie mais pour rentrer dans leurs investissements.

Restent les jeunes gens… Récidivent-ils moins ?

Pour quels résultats ? 
Les tous premiers résultats semblent encourageants. La toute première cohorte connaîtrait un taux de récidive plus faible. On cite le chiffre de 40%, mais c’est, encore une fois, bien trop tôt pour tirer la moindre conclusion.

On observe cependant que si ses premiers résultats semble encourageant, cette opération n’a pas produit les effets d’innovation que l’on en attendait : les moyens mis en œuvre sont classiques, accompagnement des familles et des détenus à leur sortie de prison, contacts réguliers avec des tuteurs, mais utilisés de manière plus systématique et plus dense.

 Il semble également que les investisseurs restent passifs et ne suivent pas de très près cette activité. Ils se comportent plus comme des philanthropes ou des mécènes que comme des investisseurs actifs qui attendent un retour. Cela tient sans doute à ce qu’il n’existe pas de marché secondaire de ces actions. Dit autrement, les investisseurs ne peuvent pas les revendre, ce qui les incite évidemment à les laisser dormir. Mais tout cela pourrait dans l’avenir changer.

Il semble surtout que la principale difficulté viendra de la mesure. Quelle base retenir pour évaluer les performances ? quel échantillon témoin ? comment le constituer ? comment éviter que les prestataires de service et leurs commanditaires ne se battent pour obtenir les bases de comparaison qui leur sont le plus favorables ? C’est là sans doute l’une des difficultés majeures, celle qui fera couler le plus d’encre, si cette opération pilote a des suites, mais ce n’est pas la seule.

Une autre difficulté pourrait venir d’un effet de sélection, de segmentation de la population. Poussés par leurs actionnaires, les prestataires pourraient être tentés d’emprunter au marketing ses techniques et concentrer tous leurs efforts sur les jeunes gens qui présentent les meilleures chances de succès. S’il apparaît, par exemple, qu’il est plus facile d’éviter les récidives des jeunes gens qui ont une famille proche, la tentation sera grande de développer l’accompagnement de cette cible, de ces jeunes gens et de leur famille et de négliger ceux qui sont seuls, isolés… On observe ce phénomène en France dans les centres d’hébergement des sans domicile fixes qui tendent à exclure les alcooliques et les drogués qui rendent la gestion de ces établissements beaucoup plus délicate et incertaine.

Dans un registre tout différent, une difficulté pourrait apparaître au moment du financement des investisseurs en cas de succès. Ce financement doit être basé sur les économies réalisées par l’Etat, économies potentielles sous forme de constructions de places de prison abandonnées, de frais de police ou de justice non engagés. Mais comment calculer ces économies ? et, surtout, comment les affecter ? qui doit payer, pour dire les choses simplement ? l’administration pénitentiaire dont les prisons sont moins surchargées ? le ministère de la justice ? celui de l’intérieur ? on peut imaginer que cela n’ira sans bagarres.

Une idée seulement pour Nicolas Sarkozy ? 
Je disais tout à l’heure en me moquant que ce pourrait être une idée pour Nicolas Sarkozy. Ce type de projet conviendrait évidemment très bien à un candidat Président qui ne manque jamais une occasion de souligner les vertus de la performance, des rémunérations selon les résultats et d’une politique qui veut réduire le poids de la dépense publique. Mais il pourrait inspirer d’autres candidats, de gauche comme de droite.

 Il s’agit, d’abord, d’une expérience pilote. Et l’un des défauts de la gouvernance à la Sarkozy est, justement, de ne pas avoir testé ses idées sur une petite échelle avant de les généraliser. Les pilotes permettent d’ajuster un projet, d’éliminer ceux qui ne donnent pas satisfaction, d’accumuler des informations utiles.

C’est un mécanisme qui donne au secteur associatif, qui en général se charge de ce type de prestations, des sources de revenus plus importantes que la seule philanthropie et sans doute moins coûteuse à collecter surtout si cette collecte est prise en charge par des institutions financières dont c’est le métier, comme les banques, comme ce pourrait être le cas si ce type de projet se développait.

C’est, enfin, un débouché pour les entreprises qui prétendent se soucier de responsabilité sociale. Elles ont là un moyen simple de montrer leur souci de participer au bien être de la cité sans sortir de leur champ de compétence et sans entrer en conflit avec leurs actionnaires. Et ce pourrait très bien être une solution pour développer des activités dont nous avons besoin, que l’Etat ne prend pas aujourd’hui en charge mais qu’il gagnerait à financer. L’accompagnement d’élèves en échec scolaire se prêterait très bien à ce genre d’opération.

Cela ne veut pas dire que cela peut marcher à tout coup. Les incertitudes sont encore fortes et les questions nombreuses, mais c’est une expérience à suivre de près. Qu’elle soit lancée par un gouvernement conservateur ne doit pas être un handicap ou une contre-indication. Le gouvernement Cameron a choisi de serrer si fort la ceinture des britanniques, de couper si massivement dans les budgets sociaux qu’il se trouve aujourd’hui dans l’obligation de trouver des alternatives parce que les problèmes sociaux, la récidive des jeunes délinquants, l’échec scolaire… restent, quoiqu’en veuillent les gouvernements et quelque soit le niveau d’endettement de l’Etat, des problèmes que la société doit résoudre.

21.2.12

Chômeurs, leur vécu,


 Une étrange proposition 

Parmi toutes les propositions qu’a faites Nicolas Sarkozy à l’occasion de son entrée en campagne, il en est une qui retient l’attention : celle qui consisterait à modifier, par voie de référendum, la formation des chômeurs. Drôle de manière d’aborder ce sujet mais qui me donne l’occasion de revenir sur le chômage, non pas sur son explosion, plus d’un million de chômeurs en un quinquennat, ni même sur ses causes, mais sur ses effets.

Quel est l’impact du chômage sur la vie des uns et des autres ? en quoi est-ce qu’il modifie la société, notre environnement économique ? qu’est-ce que la vie des chômeurs ? toutes questions qu’on laisse en général de coté lorsque l’on aborde la question sous l’angle économique et qui sont cependant déterminantes. Peut-on suggérer que les chômeurs sont des assistés qui se complaisent dans leur situation, comme fait Nicolas Sarkozy, sans examiner de près ce que sont les conséquences du chômage sur la vie de chacun?

Une idée bien ancrée chez les économistes 

L’idée que les chômeurs sont des assistés qui profitent de leurs allocations chômage pour ne rien faire, est une vieille idée réactionnaire qui a trouvé ses meilleurs défenseurs chez les économistes.

 Dès 1925, Jacques Rueff, l’économiste préféré du général de Gaulle défendait cette idée en s’appuyant sur des données britanniques. Il répéta cette analyse à de nombreuses reprises, notamment en 1931 dans un livre au titre explicite : L’assurance chômage, cause du chômage permanent, et il développa cette thèse jusqu’à la fin de ses jours. Il l’a notamment reprise dans des articles publiés dans le Monde en 1976, articles dans lesquels il expliquait : « Depuis 1911(…) il existait en Angleterre un système d'assurance-chômage, qui donnait aux ouvriers sans travail une indemnité connue sous le nom de "dole". La conséquence d'un pareil régime était d'établir un certain niveau minimal de salaire, à partir duquel l'ouvrier était incité à demander la "dole" plutôt qu'à travailler pour un salaire qui ne lui vaudrait qu'un excédent assez faible sur la somme qu'il recevait comme chômeur. »

 On l’a compris, l’ouvrier assuré de toucher cette « dole », préférerait ce revenu minimum préférerait à un travail salarié guère mieux payé.

 Jacques Rueff ajoutait que ce mécanisme interdisait les baisses de salaires en période de récession : les travailleurs qui chômaient protégeaient donc, à l’entendre, les revenus de leurs collègues qui travaillaient. D’où sa conclusion : ce sont des salaires qui ne baissent pas en période de récession qui créent le chômage. Le chômage disparaitrait si les salariés acceptaient des réductions de leurs revenus comme font les commerçants qui baissent leurs prix quand ils n’ont pas vendu à la fin du marché toutes leurs carottes ou toutes leurs tomates.

 C’est l’analyse économique classique, que l’on retrouve, sous des formes voisines, dans un très grand nombre de textes contemporains. Analyse séduisante sur le plan théorique mais dont il est difficile de trouver confirmation dans les travaux empiriques, surtout dans ceux des sociologues qui approchent les chômeurs autrement que dans des statistiques.

Le chômage et la mort sociale 

Les sociologues qui vont sur le terrain à la rencontre des chômeurs, qui les interrogent sur leurs motivations, qui examinent leurs comportements ont une approche totalement différente du sujet.

 J’en voudrais pour première preuve cette remarque que Pierre Bourdieu fait dans la préface qu’il a donnée à la traduction française du premier livre de sociologie qui se soit intéressé de très près aux chômeurs : les chômeurs de Marienthal, de PaulLazarsfeld, un livre publié en 1931 et consacré à une enquête sur les travailleurs restés longtemps sans emploi dans cette petite ville de la banlieue viennoise. « À travers les biographies ou les témoignages, écrit Pierre Bourdieu, – je pense par exemple à ce chômeur qui, après avoir écrit cent trente lettres de demande d’emploi, toutes restées sans réponse, s’arrête, abandonnant sa recherche, comme vidé de toute énergie, de tout élan vers l’avenir –, à travers toutes les conduites que les enquêteurs décrivent comme « irrationnelles », qu’il s’agisse d’achats propres déséquilibrer durablement leur budget ou, dans un autre ordre, de l’abandon des journaux politiques et de la politique au profit des gazettes de faits divers (pourtant plus coûteuses) et du cinéma, ce qui se livre ou se trahit, c’est le sentiment de délaissement, de désespoir, voir d’absurdité, qui s’impose à l’ensemble de ces hommes soudain privés non seulement d’une activité et d’un salaire, mais d’une raison d’être sociale et ainsi renvoyés à la vérité nue de leur condition. Le retrait, la retraite, la résignation, l’indifférentisme politique (les Romains l’appelaient quies) ou la fuite dans l’imaginaire millénariste sont autant de manifestations, toutes aussi surprenantes pour l’attente du sursaut révolutionnaire, de ce terrible repos qui est celui de la mort sociale. »

C’est cette mort sociale, « On ne lit plus les journaux, on n’écoute plus la radio ; s’installent l’indifférence, la résignation et le désespoir… », écrit Lazarsfeld, qui explique que les chômeurs de longue durée ne cherchent plus d’emplois.

 S’ils n’en cherchent plus, ce n’est pas, comme le disent les économistes parce qu’ils préfèrent le chômage au travail, mais parce qu’ils ont perdu l’espérance de trouver un emploi. Pourquoi continuer de chercher si chercher ne mène à rien ?

Tous les chômeurs ne sont évidemment pas condamnés à cette mort sociale, tant s’en faut, mais elle est en arrière-fond, elle est ce que vivent ceux qui sont sans emploi depuis longtemps. Ce qui explique, d’ailleurs, que toutes les mesures prises pour réduire la durée des allocations, diminuer leur montant à mesure que le temps passe, comme celles que proposent le Medef et à sa suite le gouvernement, sont si inefficaces. Les chômeurs restés trop longtemps sans emploi n’attendent plus rien du marché de l’emploi.

Chômage et économie parallèle 

Cela ne veut pas dire qu’ils restent forcément les bras croisés, inactifs. A défaut de trouver un emploi sur le marché du travail, beaucoup s’en créent un en dehors de celui-ci. D’où le développement parallèle, souvent signalé, du chômage et de l’économie souterraine. Le chômage favorise le développement du travail au noir.

 Les chômeurs qui ne sont pas sans capacités ni compétences acceptent, lorsqu’ils en ont l’opportunité, de travailler ainsi en dehors de toute légalité, sans cotisations ouvrières ou patronale, ce qui peut leur permettre de compenser leurs pertes de revenus et de conserver une certaine estime de soi : se trouver un job au noir, quand on est sans emploi, c’est se prouver à soi-même et aux autres qu’on est capable de rebondir, de se défendre, de s’adapter. Et c’est sans doute un des motifs pour lesquels le travail au noir est si bien accepté. C’est également, pour peu que l’on sache en trouver assez, s’assurer des compléments de revenus qui échappent aux cotisations sociales mais aussi à l’impôt. On ne gagne pas plus qu’avant mais on coûte moins cher à ses clients, les seuls victimes sont l’Etat et les comptes sociaux.

A cause de la crise économique, l'économie souterraine aura augmenté en 2010 dans les pays développés, après une hausse en 2009», explique Friedrich Schneider, un économiste autrichien spécialiste de l'économie informelle. D’après ses calculs, la part de cette économie non officielle dans le produit intérieur brut (PIB) des pays de l'OCDE a grimpé de 13,3% en 2008 à 14% en 2010. En France, ce ratio a augmenté de 11,1% à 11,7%, mais c’est en Allemagne que cette hausse a été particulièrement significative, ce que l’on peut expliquer par la multiplication des midi jobs à 400€ et du temps partiel qui libèrent du temps pour ces activités.

 En France même, le phénomène a progressé massivement. Le Figaro citait, dans un article publié en 2010, des chiffres significatifs : Les délais accordés en 2009 aux entreprises en difficulté lors des redressements sur les années précédentes, d'habitude stable, a bondi de 58%. La même année, le nombre de procès verbaux dressés pour travail illégal a bondi de 27%. En 2010, le nombre de procès-verbaux de travail dissimulé établis a presque doublé, connaissant une augmentation de 94 %. Cette progression est pour partie liée à une modification des procédures mais elle montre bien l’impact du chômage sur l’économie souterraine. Cette montée du travail au noir a une quadruple conséquence :

- elle rend les chiffres officiels de plus en plus fragiles,

- elle allége l’impact de la récession puisque cette économie souterraine améliore les revenus de ceux qui la pratiquent,

- elle nourrit le sentiment d’injustice chez les voisins, les proches qui ont du mal à s’en tirer et s’imaginent que ceux qui travaillent au noir s’enrichissent plus facilement,

- elle favorise l’incivisme : c’est dans les pays dans lesquels l’économie souterraine est le plus développée que l’Etat a le plus de mal à collecter des impôts. Est-ce ce un hasard si l'économie souterraine représente, selon les estimations de Friedrich Schneider, 25% du PIB en Grèce et autour de 40% en Lettonie et en Estonie.

Le retour au travail et les pertes de salaires

Mais revenons au vécu des chômeurs. S’il arrive que les manuels d’économie expliquent que les chômeurs ont choisi de ne pas travailler parce qu’il était plus avantageux de percevoir des allocations, toutes les études de bien-être montrent que le chômage se traduit par une augmentation du niveau d’anxiété et une dégradation de la satisfaction, du bonheur et du sentiment de valoir quelque chose.

 Tout cela devrait inciter à rechercher rapidement un travail. Et c’est ce que font en général les chômeurs. Mais il est vrai qu’ils déchantent vite. Non seulement il est difficile de retrouver un travail, mais lorsqu’ils en retrouvent un celui-ci est, en général, moins bien rémunéré que celui qu’ils ont perdu. La décote est en général de l’ordre de 10% à 15%, avec des variations selon les secteurs et les métiers, certains comme les métiers de service ou d’encadrement étant plus touchés que d’autres.

Cette décote peut prendre de nombreuses formes : passage du temps plein au temps partiel, du CDI à d’autres contrats de travail, CDD, intérim, perte de l’ancienneté, retour à l’emploi dans des secteurs dans lesquels les compétences acquises sont moins valorisées, changement complet de métier, d’employée de bureau à caissière dans une grande surface… reste que dans tous les cas, c’est une perte de pouvoir d’achat d’autant plus mal ressentie qu’elle est jugée injuste.

 Et, parce que cette dégradation des revenus est jugée injuste, beaucoup de chômeurs refusent les premières propositions qui leur sont faites, une attitude que condamne Nicolas Sarkozy mais qu’il ferait mieux d’essayer de comprendre : ces chômeurs qui refusent des propositions trop médiocres, trop éloignées de leurs compétences, et on sait qu’elles sont nombreuses, se disant qu’ils valent mieux, qu’ils trouveront mieux. Ils ont d’autant plus tendance à attendre, qu’ils savent bien qu’il est très difficile de monter dans l’échelle des salaires quand on est parti bas. Ils se trouvent donc pris en tenaille entre deux exigences contradictoires :

- celle de retrouver rapidement un emploi pour sortir du chômage, situation toujours inconfortable,

- celle de retrouver un emploi correspondant à leurs qualifications, au salaire qu’ils avaient avant, pour poursuivre dans la voie engagée.

Ils sont au fond amenés à choisir entre prendre le premier emploi qui se présente au risque de se déprécier et attendre un emploi correspondant à leur niveau sachant qu’il s’agit d’une véritable course poursuite puisque plus on attend plus on a de chance de rester sur le carreau avec des compétences qui se dégradent et perdent de leur valeur à mesure que le temps passe. Le cas des commerciaux qui vivent de leur carnet d’adresses est caractéristique : plus ils attendent, moins celui-ci a d’intérêt pour un quelconque employeur.

J’ajouterai que ce dilemme se complique de ce que la démarche de recherche d’emploi conduit à surévaluer ses compétences, le poste qu’on occupait. Les conseillers que l’on rencontre vous invitent à mettre en valeur ce que l’on a fait, ses compétences, c’est tout l’art du CV, mais plus on met de soin à mettre en valeur son CV plus l’écart entre ses aspirations et ce qui vous est proposé se creuse.

Les seniors et les jeunes 

Je citais tout à l’heure Bourdieu et Lazarsfeld qui s’interrogeaient sur l’impact du chômage sur le vécu, les comportement de ceux qui en souffrent. Cet impact n’est évidemment pas le même pour tous.

 On sait que le chômage touche en France surtout les seniors et les plus jeunes. Les seniors sont sans doute moins affectés que d’autres par le chômage. Ils savent qu’ils ont peu de chance de retrouver un emploi, ils calculent comment atteindre l’âge de la retraite sans trop d’encombre et s’accommodent au fond assez bien de ce qui peut passer pour une retraite anticipée. Les reproches sociaux sont faibles, tout le monde sait bien qu’ils ont peu de chance de retrouver un emploi et l’on se dit qu’après tout, faire partir un senior, c’est donner sa chance à un jeune travailleur. Sauf que c’est faux. Le senior que l’on met au chômage et auquel on continue d’attribuer des allocations parce qu’on sait bien qu’il a peu de chance de retrouver un emploi coûte cher : il faut financer ses allocations, sa retraite précoce, ce qui augmente le coût du travail, lequel coût incite les entreprises à freiner, limiter leurs recrutements. Le chômage des seniors est pour partie responsable du chômage des jeunes. A l’inverse de ce que pourrait suggérer une analyse des vases communicants, plus il y a chez chômage chez les seniors, plus il y en a chez les jeunes.

Pour ce qui est des jeunes, les choses sont toutes autres. Leur expérience du chômage qui est, pour beaucoup, d’ailleurs, une expérience de la précarité, des stages à répétition, va impacter leur vision du monde pour une très longue période.

 Une étude britannique qui s’interrogeait sur le chômage des jeunes en Grande-Bretagne, chômage tout aussi important qu’en France, parlait de cicatrices qui ne s’effacent pas, des chercheurs français parlaient eux de stigmates. Plus on tarde à trouver une place stable sur le marché du travail, plus les salaires que l’on perçoit tout au long de sa carrière s’en ressentent, plus les chances de se retrouver au chômage dans le cours de celle-ci augmente. Un recul d’un an dans le démarrage de cette carrière se traduit une augmentation moyenne des périodes de chômage de dix mois. Qui commence sa carrière professionnelle par une longue période de galère risque d’en payer longtemps les conséquences tant en terme de risque de chômage que de salaire. Une autre étude britannique indique qu’un homme qui a connu plus de 6 mois de chômage à 23 ans, gagnera en moyenne et toutes choses égales par ailleurs 7% de moins à 42 ans.

Ce qui est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, pour les jeunes qui en sont victimes mais aussi pour tous les autres puisque qui dit salaires plus faibles dit également cotisations et impôts plus faibles. On nous dit souvent qu’en nous endettant nous appauvrissons nos enfants qui devront rembourser nos dettes, mais en ne donnant pas de travail aux plus jeunes d’entre nous, on rendra beaucoup plus difficile le remboursement de nos dettes et le financement des prestations sociales, sanitaires, éducatives…

 Les industriels eux-mêmes devraient en être victimes puisque ce chômage des jeunes semble également annoncer un ralentissement de la productivité. Des salariés moins bien formés aux métiers réels de l’industrie sont moins efficaces.

Mais, au delà de ces remarques on peut penser que, de manière plus générale, ces générations qui auront découvert le monde du travail avec le chômage, par le chômage auront une attitude différente à l’égard du travail. Qu’ils s’en détacheront plus facilement, qu’ils développeront un habitus de la précarité, qu’ils seront plus mobiles, ne serait-ce que parce qu’ils auront appris à se débrouiller dans un monde difficile.

On peut assez facilement imaginer qu’ils adapteront leurs comportements personnels, notamment financiers à cette précarité, qu’ils se méfieront des investissements de longue durée et qu’ils privilégieront en la matière le court terme.

 Retour à la politique

J’ai commencé cette chronique en faisant état de la proposition de Nicolas Sarkozy de mettre en place un référendum sur l’emploi sans que l’on sache bien d’ailleurs ce qu’il mettait derrière, mais on devine que la question centrale est derrière tout cela celle du chômage qui agit comme un poison sur la société française, un poison aux effets lents qui menace non seulement notre présent mais aussi notre futur proche.

On a longtemps cru qu’il suffisait du retour de la croissance pour assurer le plein emploi. Un économiste, Arthur Okun, avait même, dans les années soixante, calculé la corrélation entre taux de croissance et création d’emplois. Pour la France on ne pouvait espérer créer d’emploi à moins de 3% de croissance. Nous en sommes loin. Et il n’est même plus sûr que cela suffise tant les délocalisations d’un coté et les gains de productivité de l’autre permettent une croissance sans création d’emplois.

On a longtemps pensé qu’en mettant à la retraite les plus âgés, on dégagerait des emplois pour les plus jeunes. On sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai.

Nous avons essayé la réduction du temps de travail. Elle a créé des emplois, mais pas en nombre suffisant.

Sans doute nous faudrait-il inventer une organisation de l’économie française qui développe des activités qui consomment plus de main d’œuvre et échappent tout à la fois aux risques de délocalisation et aux gains de productivité trop rapide. L’éducation, la santé, la culture correspondent bien à cette définition. Mais ils ne sont certainement pas les seuls.

Emploi : le « miracle » allemand



Pour écouter cette chronique donnée sur AligreFM le 16/02/2012

 Le chômage n’a pas explosé, malgré la récession 


S’il est un miracle allemand, il est à chercher du coté de l’emploi. On sait que le chômage est aujourd’hui très faible de l’autre coté du Rhin. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il n’a pas explosé en 2008-2009 alors que l’Allemagne était frappée de plein fouet par la crise économique. Avec une économie très tournée vers l’exportation, 400 000 entreprises allemandes exportes contre seulement 117 000 entreprises françaises, elle a pris en pleine face la récession mondiale de 2009. Son PIB a, cette année là, reculé de 4,5%. Et la production industrielle, celle de ces entreprises qui font aujourd’hui la force de l’Allemagne, a reculé de 18%.

Dans à peu près n’importe quel pays, cela se serait traduit par une explosion du chômage. Or, cela n’a pas été le cas en Allemagne. Le chômage y a bien progressé cette année là, mais modérément. Il est passé de 7,1% à 7,8%, loin des 11,7% atteint en 2005, dans une période plutôt favorable. Et, dés que l’activité économique a repris, il a chuté pour atteindre aujourd’hui un taux très bas de l’ordre de 6%.

Les Allemands que l’on nous donne actuellement si volontiers en exemple ont réussi là quelque chose que les autres, les Français, mais aussi les Américains, les Britanniques, les Espagnols, n’ont pas su faire. Mais quoi ? qu’ont-ils su faire mieux que tous les autres ?

Les mini jobs dans les services

Il ont su introduire de la flexibilité dans leur économie, mais de manières différentes selon les secteurs, selon qu’il s’agit de l’industrie ou des services.

Pour les services, on connaît la réponse, elle n’est pas très séduisante : les Allemands ont développé les midi ou mini jobs, ces emplois à temps partiel payés 400€ qui permettent aux entreprises de ne plus payer de charges sociales, d’avoir donc une main d’œuvre à un coût très faible, à un coût si faible qu’il leur est possible d’ajuster leurs effectifs au plus près de la demande, un problème que rencontrent en général les entreprises spécialisées dans les services, la restauration, l’hôtellerie, la santé, qui utilisent un personnel souvent peu qualifié. Ces entreprises ont donc souvent remplacé des salariés à temps plein mais avec des horaires classiques, par deux ou trois mini jobs que l’on peut faire venir quant on a besoin d’eux, aux heures de plus grande affluence. Ce mécanisme crée des travailleurs pauvres, mais réduit les chiffres du chômage.

Ces mini-jobs ont également permis de réduire le travail au noir, cette économie illégale qui n’est pas moins importante en Allemagne qu’ailleurs. Des travailleurs qui étaient complètement sortis du système, qui vivaient de petits jobs et d’aide sociale, ont pu rentrer de nouveau dans les statistiques.

 Mais ces effets semblent avoir été maigres. Ils n’expliquent en tout cas pas que le chiffres du chômage n’aient pas explosé.

Ce n’est pas du coté des services qu’il faut chercher ce que les économistes appellent volontiers le miracle allemand, mais bien du coté de cette industrie manufacturière qui exporte. Le secteur des services dont l’activité dépend, pour l’essentiel, du marché intérieur n’a, en effet, que peu souffert de la récession.

Une flexibilité par la réduction du temps de travail 

Si l’industrie manufacturière allemande, celle qui exporte, a su éviter les licenciements massifs, c’est grâce à… une diminution massive du temps de travail passé entre 2008 et 2009 de 1350 heures annuelles à 1309, soit une diminution d’un peu plus de 3%. Et ceci non pas avec une loi applicable à tous, comme celle des 35 heures, mais par la mise en œuvre de toute un série de mécanismes :

- le chômage partiel, d’abord, qui a touché un peu plus d’un million de salariés en 2009, alors qu’il n’en concernait l’année précédente à peine plus de 100 000 et a réduit cet horaire annuel d’un peu plus de 13 heures,

- ensuite, la réduction temporaire de la durée du travail par convention collective, qui n’a pas touché tous les secteurs mais qui a réduit, en moyenne, d’un peu plus de 10 heures le temps annuel travaillé,

- troisième élément : la suppression des heures supplémentaires, ce qui a fait à peu près 8 heures de moins, mesure qui fait sourire quand on sait qu’en France au même moment, on faisait tout pour en augmenter le nombre au nom du pouvoir d’achat et de la lutte contre le chômage,

- enfin, dernier élément : la liquidation des passifs que les salariés avaient accumulé sur leur compte-épargne temps, ce dispositif qui permet de stocker des heures travaillées en plus pour partir plus tôt à la retraite ou allonger ses période de formation ou de vacances. Cette liquidation a permis de réduire cette durée de travail annuelle moyenne de 7 heures.

Plutôt que de licencier leurs salariés, les entreprises industrielles allemandes ont donc cherché à réduire le coût du travail sans insulter l’avenir. Dès que l’activité internationale a repris, ils ont pu redémarrer sans avoir à recruter et à forer un personnel nouveau.

 Si le chômage n’a pas explosé en Allemagne en 2009, c’est que les employeurs avaient, malgré les difficultés de l’heure, assez confiance en la solidité de leur technologie, en la qualité de leurs produits, pour conserver des ressources suffisantes pour répondre à la demande dés que celle-ci réapparaîtrait.

C’est aussi qu’ils sortaient d’une période dans laquelle ils avaient souffert du manque d’effectifs. Les industriels allemands se plaignent bien plus que leurs collègues français de problèmes pour recruter. Sachant cela, il était assez naturel, qu’ils évitent de se compliquer la tâche en cas de redémarrage de l’activité.

On peut également penser que les syndicats de salariés appelés à négocier ces réductions de temps de travail accompagnées éventuellement de réduction de rémunération, ont accepté d’autant plus facilement de le faire qu’ils étaient eux aussi convaincus de la compétitivité sur le moyen terme de l’industrie allemande. A l’inverse de ce qui a pu se produire en France, il ne s’agissait pas, dans la plupart des cas, d’une manière de retarder la fermeture d’une usine dont la production est appelée à être délocalisée.

Mais le plus remarquable dans cette affaire est la manière dont ces différents dispositifs s’articulent.

Une réduction du temps de travail flexible 

C’est une loi applicable à toutes les entreprises, ou presque, qui a réduit le temps de travail en France. Ce sont en Allemagne différents dispositifs négociés à des niveaux différents qui ont donné aux entreprises et aux secteurs la possibilité de réagir à la crise.

Certains des dispositifs dont je parlais à l’instant sont nationaux et s’appliquent à tous, c’est le cas du chômage partiel qui va avec une réduction du coût du travail puisque le salaire perdu par les travailleurs mis au chômage est pour partie compensé par l’Etat.

 D’autres sont négociés au niveau de la branche, comme la réduction temporaire de la durée du travail. Ce n’est pas l’Etat qui décide, ce ne sont pas non plus les entreprises, c’est la branche, le secteur, au terme de négociations avec les partenaires sociaux. L’avantage est que cela équilibre la concurrence et évite que certains fassent preuve d’opportunisme.

D’autres encore, comme la liquidation d’actifs des compte-épargne temps sont décidés dans l’entreprise.

C’est toute une architecture de négociations sociales qui a présidé à la mise en place de ces dispositifs. Lorsque des solutions ne pouvaient être trouvées au niveau local, employeurs et salariés pouvaient en chercher une au niveau de la branche…

Tout cela a donné à l’ensemble une grande flexibilité. Chacun a pu trouver une solution adaptée à ses besoins propres au coût le plus faible, je veux dire sans réorganisation. En ce sens, cette réduction du temps de travail s’est faite tout autrement qu’en France où elle a du s’accompagner, dans beaucoup d’entreprises, de véritables efforts de réorganisation.

Ces négociations n’ont été envisageables que parce que les organisations syndicales disposent, du fait de la cogestion, d’informations précises sur la situation réelle de l’entreprise et sur ses projets. On vante beaucoup en France la cogestion à l’allemande, son principal avantage est là : il réduit la méfiance des salariés à l’égard des patrons qui peuvent plus difficilement leur cacher leurs projets. Cette confiance est particulièrement précieuse lorsqu’il s’agit de demander aux salariés de faire des efforts qui leur coûtent.

 Des dispositifs qui existent ailleurs 

Les spécialistes des questions sociales l’auront remarqué : la plupart des dispositifs mis en œuvre en Allemagne existent ailleurs, notamment en France. Nous avons aussi du chômage partiel, des compte-épargne temps et cependant, ces dispositifs ne nous permettent pas de réduire le chômage.

Sans doute faut-il faire la part de la conception de chacun. Le diable est, en ces matières dans les détails. Et on peut penser que les dispositifs allemands sont mieux conçus que le nôtres, qu’ils sont mieux adaptés à des crises qui peuvent durer plusieurs mois. Peut-être parce qu’ils sont plus anciens et que les entreprises les maîtrisent collectivement mieux. C’est dés le début des années 80 que les Allemands ont mis en place ces mécanismes de flexibilité interne par la variation du temps de travail. C’est arrivé chez nous beaucoup plus tard puisque les toutes premières mesures de ce type sont apparues dans les années 90 avec les mesures prises par Philippe Seguin dans le gouvernement Balladur.

Un autre facteur a peut-être joué : la manière dont l’industrie allemande a perçu la crise. Quand on regarde les courbes de l’indice Ifo  qui mesure le climat des affaires en Allemagne, on s’aperçoit que les industriels allemands ont commencé de s’inquiéter des perspectives de croissance dés 2007, avant donc l’éclatement de la crise et qu’ils ont repris confiance très vite, dés la fin de 2008. Tout se passe donc comme s’ils avaient un coup d’avance, qu’ils avaient commencé de s’inquiéter très tôt, avant même que leurs carnets de commande ne souffrent et qu’ils avaient repris confiance alors même qu’on ne parlait encore que de la crise dans la presse économique.

Cela tient sans doute à leur activité, à leurs contacts avec les marchés émergents qu’ils ont sans doute vu avant d’autres sortir du marasme. Mais cette double anticipation a sans doute aidé : quand on est inquiet mais que l’on continue d’avoir du travail, on ne se lance pas dans des plans de licenciement massifs, on recherche plutôt des solutions douces pour passer le cap difficile, on amorce des négociations avec les organisations syndicales, on les informe des difficultés que l’on sent venir. Et lorsque quelques mois plus tard, on voit les premiers signes d’une éclaircie, on évite de prendre des positions qui interdiraient de saisir le rebond.

 Au fond, le « miracle » allemand de l’emploi tient à trois facteurs :

 - à des mécanismes qui permettent d’ajuster rapidement, et sans trop faire souffrir, les effectifs et les horaires à l’activité,

- à la confiance entre partenaires sociaux que la cogestion a permis d’établir,

- et, enfin, à une économie qui, parce qu’elle est massivement tournée vers l’exportation sent mieux et plutôt que d’autres, les grandes tendances.

Trois facteurs qui se sont révélés efficaces cette fois-ci. Mais peut-on les copier ? ou, du moins, s’en inspirer ?

Peut-on s’en inspirer ?

Doit-on copier à la lettre ces mesures ? cela paraît difficile. Nos économies sont trop différentes. L’économie allemande est beaucoup plus sensibles aux variations de l’économie mondiale que l’économie française. Elle a beaucoup plus souffert en 2008-2009 que nous et elle profite aujourd’hui beaucoup plus de la reprise de la demande mondiale. Les activités industrielles, manufacturières qui sont au cœur de son économie se prêtent beaucoup mieux que les activités de service à des fluctuations des horaires.

 Le chômage dont nous souffrons et celui dont a été menacé l’industrie allemande en 2008-2009 ne sont pas non plus de même nature. Ce n’est pas la même chose de perdre son emploi parce qu’une usine est délocalisée dans un pays lointain et le perdre parce que le carnet de commande de l’entreprise est vide. Dans le premier cas, il paraît difficile de revenir en arrière, dans le second, tout peut redémarrer rapidement.

Il y a donc des limites à ce que l’on peut tirer de cet exemple, mais il est plusieurs points sur lesquels on pourrait s’en inspirer.

Il serait, d’abord, utile, de regarder dans le détail les différents dispositifs mis en œuvre s’ils ressemblent à d’autres que nous avons, ils ne sont pas exactement similaires et peut-être peut-on trouver là des pistes d’amélioration.

Il conviendrait, également, de revoir l’architecture de la négociation sociale trop tournée vers le dialogue au niveau national. Le gouvernement veut permettre une négociation de la réduction du temps de travail dans les entreprises. Il néglige le niveau de la branche qui est le plus pertinent lorsqu’il s’agit de mesures transitoires prises pour résister à une crise économique passagère.

 L’Allemagne peut être en la matière un exemple pour peu qu’on le regarde dans son ensemble, et que l’on ne se contente pas d’un copier-coller de quelques mesures prises au hasard auxquelles on attribue un effet qu’elles n’ont pas forcément.

7.2.12

L’exemple allemand…




L’Allemagne comme modèle
La nouveauté de cette dernière semaine est certainement l’installation de l’Allemagne comme modèle économique pour la France. Certains s’en réjouissent, trouvant que c’est une excellente chose que l’Europe entre ainsi dans les faits, d’autres s’en offusquent, trouvant assez surprenant et, pour tout dire, un peu déplaisant de se voir ainsi comparé au bon élève si l’Allemagne est bien un bon élève, ce qui n’est pas le cas dans tous les domaines comme on nous l’a régulièrement rappelé. Mais cet exemple allemand a été surtout convoqué par le Président de la République pour vendre sa TVA sociale dont l’objectif avoué est de réduire le coût du travail.

On a dit, à juste titre, qu’une hausse de 1,6% de la TVA n’effacerait pas l’écart entre les salaires français et ceux pratiqués dans les pays émergents. C’est l’évidence, mais ce n’est sans doute pas l’objectif. Cette mesure vise beaucoup plus les écarts de compétitivité entre l’industrie française et celle de nos voisins immédiats avec lesquels nous faisons l’essentiel de notre commerce. Est-ce que ce sera suffisant ? ce peut l’être marginalement pour des entreprises qui exportent en Europe des produits également fabriqués en Italie, en Espagne ou en Allemagne. Tous pays qui pourraient, éventuellement, réagir, en prenant à leur tout des mesures qui renchérissent nos produits.

Mais revenons à l’Allemagne : son succès viendrait, si on a bien compris Nicolas Sarkozy, de ce qu’elle a su baisser les salaires, de ce qu’elle a, au fond, appliqué les recettes du Medef. C’est, bien sûr, inexact. Si l’industrie allemande est aujourd’hui si puissante c’est pour bien d’autres motifs.

Entreprises exportatrices : des salaires plus élevés que la moyenne
Les performances de l’industrie allemande à l’exportation sont, nous dit-on, la meilleure preuve de sa compétitivité. C’est exact. Mais il faut tordre le coût à une première idée : ce ne sont pas des salaires plus faibles qui en sont la cause. Non seulement, les salaires allemands, sont, malgré les mesures de Schröder, parmi les plus élevés au monde, mais ils sont plus élevés que la moyenne dans le secteur manufacturier et ils le sont plus encore dans les entreprises qui exportent (Schank, Schnabel, Wagner, Do exporters really pay higher wages? et Klein, Moser, Urban, The contribution of trade to wage inequality). Ce n’est pas propre à l’Allemagne. On retrouve le même phénomène un peu partout dans le monde, dans les pays industrialisés comme dans les pays émergents. Aux Etats-Unis, l’écart sont de l’ordre de 7 à 11%. Et ceci est particulièrement vrai pour les salariés les plus qualifiés.

En Allemagne, cet écart entre les salaires pratiqués dans les entreprises qui exportent et celles qui ne travaillent que pour le marché domestique n’a fait que croître ces dernières années avec la libéralisation des marchés et l’augmentation du nombre d’entreprises allemandes qui exportent.

On devine pourquoi : les entreprises qui exportent emploient des personnels plus qualifiés, la concurrence plus vive à laquelle elles sont confrontées les amènent à investir dans tout ce qui peut améliorer leur compétitivité. Et, enfin, comme elles sont en général plus importantes que la moyenne, elles bénéficient d’économies d’échelles. Ce ne sont pas les exportations qui augmentent les salaires, mais ce sont les plus performantes, celles qui emploient les personnels les plus qualifiés, celles donc qui paient les meilleurs salaires, qui exportent. S’il y a eu modération salariale en Allemagne, elle a surtout concerné les entreprises qui travaillent pour le marché domestique.  Ce n’est donc pas de ce coté là qu’il faut chercher la raison des meilleures performances de l’industrie allemande.

Un tissu de PME exportatrices qui ont la confiance de leur banquier
La raison est plutôt à chercher du coté de la structure de l’industrie allemande. On sait qu’il y a plus de grosses PME en Allemagne qu’en France. Et que celles-ci, qu’on appelle les Mittelstand, jouent un rôle déterminant dans les succès de l’industrie allemande à l’étranger. Mais pourquoi ?
On peut avancer plusieurs explications. La première est à chercher du coté du financement de ces entreprises le plus souvent familiales qui entretiennent des liens étroits avec leur banquier. Elles n’en ont souvent qu’un, l’Hausbank, qui les connaît parfaitement bien et est un spécialiste du crédit aux entreprises industrielles. Parce qu’il entretient avec eux des relations solides, il leur prête volontiers sur le long terme, ce qui favorise les investissements de productivité. Parce que c’est un spécialiste du crédit aux entreprises, il peut leur fournir des services multiples et variés : analyse économique du secteur, études de marché à l’étranger…

A l’inverse, les entreprises françaises même petites ont en général plusieurs banquiers qui les connaissent moins bien, sont donc plus sensibles au risque pris et préfèrent, pour ce motif, leur prêter sur le court terme : les banques françaises consentent plus volontiers des avances de trésorerie à leurs clients que de quoi financer des équipements et des machines.

Ce mode de financement favorise bien sûr le développement d’activités industrielles qui demandent plus de capitaux que les activités de service.

Cette qualité des relations entre les entreprises et leur banque est particulièrement utile dans les périodes de crise. Lorsqu’en 2009, l’industrie allemande a connu de très graves difficultés, les banques sont venues au secours de ces entreprises familiales, les prêts aux entreprises ont augmenté alors que chez nous, on le voit aujourd’hui, nos grandes banques ont plutôt tendance à restreindre le crédit dans les périodes difficiles.
Et lorsqu’elles prêtent, elles le font dans des conditions proches de celles consenties aux grandes entreprises, ce qui est bien moins le cas en France. 

Cette différence tient, pour beaucoup, à la structure du secteur bancaire en Allemagne, bien moins concentré qu’en France, avec beaucoup de banques locales, municipales, de coopératives, de caisses d’épargne, les Sparkassen, spécialisées dans le financement de l’industrie, souvent contrôlées par le autorités municipales particulièrement attentives aux performances des entreprises et au marché de l’emploi. Beaucoup ont, d’ailleurs, dans leur raison sociale l’obligation d’être profitable mais aussi de soutenir les activités locales. Si l’on cherchait quelque chose de similaire en France, on pourrait le trouver du coté des caisses régionales du Crédit Agricole dont  le rôle dans le soutien l’agriculture française a longtemps été déterminant. De ce point de vue, le projet de François Hollande de créer une banque d’investissement avec des établissements délocalisés dans les régions, proches donc des entreprises, est une bonne idée qui pourrait corriger cette faiblesse notre économie.

Une spécialisation qui protège
Autre différence : la spécialisation. Les PME allemandes qui exportent sont plus autonomes que les françaises. Elles ont cherché et trouvé des niches, des créneaux techniques sur lesquelles elles se sont développées à l’abri de la concurrence avec des produits qui ne souffrent pas trop d’un coût élevé, soit parce que le travail n’entre que pour peu dans leur coût final, soit parce qu’ils sont protégés par des brevets qui interdisent la copie, soit encore parce que leur fabrication demande de telles compétences que les écarts de salaires entre pays ne jouent plus de manière aussi significative.

Les grosses PME françaises, qui sont souvent des filiales des grands groupes industriels, pratiquent plus volontiers la sous-traitance : si elles exportent, c’est à l’abri, sous le parapluie des grands groupes. Or, cela les fragilise : leur donneur d’ordre peut à tout moment leur préférer un concurrent mieux disant installé ailleurs dans le monde. Tout ce que l’on dit sur l’incitation des grands groupes à tirer les PME à l’exportation va donc plutôt dans le mauvais sens.

Cette autonomie à l’exportation des PME allemandes n’est possible que parce que l’Allemagne a développé un formidable outil de mutualisation, de partage des efforts commerciaux. C’est le pays des grandes foires. Il faut être allé une fois à la Foire de Hanovre, qui regroupait l’année dernière 6500 entreprises venues de plus de 65 pays pour en mesurer la puissance. Les industriels du monde entier viennent faire leur marché en Allemagne. On ne peut pas dire qu’ils le fassent en France. Et ces foires allemandes sont accessibles à toutes les entreprises, même aux plus petites : le m2 de stand est vendu à la foire de Hanovre moins de 200€.

Centrales nucléaires, TGV ou aéronautique, pour ne prendre que ces quelques exemples de spécialités industrielles françaises, font appel à de très hautes technologies et demandent des compétences et tout un environnement qui ne se copient pas du jour au lendemain. Il faudra des années avant que la Chine ou l’Inde fabriquent des avions capables de faire concurrence à Airbus ou à Boeing. Des années, sauf si… nous les aidons. Et on aperçoit là une autre différence majeure entre la France et l’Allemagne.
Nos exportations sont très souvent tirées par de gros contrats négociés au plan politique. Nicolas Sarkozy est allé en Inde faire la promotion du Rafale, après l’avoir tenté sans succès au Brésil et en Lybie, et il espère bien en tirer un avantage politique. D’autres avant lui ont fait de même et c’est même une des traditions les mieux ancrées dans les couloirs du pouvoir que l’organisation de ces voyages politico-industriels où le Président emmène quelques dizaines de grands patrons pour signer des contrats. La presse d’opposition s’en moque en général, soulignant chaque fois que possible l’écart entre les déclarations d’intention et la réalité des contrats effectivement signés. Mais il arrive qu’ils aboutissent. Et c’est alors que la différence entre l’Allemagne et la France apparaît.

Que peuvent en effet demander les autorités politiques des pays clients au Président de la République ? des remises de prix ? Ce n’est pas de leur compétence. Ils recherchent des avantages politiques, des investissements chez eux et des transferts de technologie. En achetant des Rafales, si elle les achète bien, l’Inde se procurera également des compétences, du savoir-faire qu’elle pourra demain nous opposer. Il en va évidemment tout autrement lorsqu’un industriel indien achète des roulements à bille, des moteurs ou des pièces mécaniques très sophistiquées à un producteur allemand : seuls comptent alors les caractéristiques, les performances et le rapport qualité-prix. Dit autrement, la spécialisation de l’Allemagne la protège mieux de la concurrence des pays émergents.

Un hinterland industriel
Toutes ces caractéristiques que je viens de décrire sont anciennes, datent, pour certaines, du début de l’industrialisation en Allemagne, pour d’autres de l’immédiat après-guerre lorsqu’il a fallu créer des institutions financières pour distribuer les fonds du plan Marshall. Les mesures Schröder n’ont donc pas grand chose à voir avec cela. Les mini-jobs dont on parle tant, ces emplois qui permettent de gagner 400€ en travaillant à temps partiel exonéré de cotisations sociales et d’impôts qui ont tant fait pour améliorer les statistiques du chômage outre-Rhin et augmenter le nombre de travailleurs pauvres, sont surtout utilisés dans les activités de service : restauration rapide, services aux personnes, commerce de détail… On en trouve beaucoup moins dans les entreprises industrielles qui ont besoin d’un personnel qualifié.
Ce qui est nouveau, et probablement décisif pour l’avenir de l’industrie allemande, est la création, ces dix dernières années d’un véritable hinterland, d’un arrière pays industriel dans les ex pays socialistes, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et, surtout, la Tchéquie. Les industriels allemands ont investi massivement dans ces pays, surtout l’industrie automobile qui voyait ses marges diminuer et qui souffrait d’un manque de flexibilité lié au développement d’une automatisation conçue pour réduire le coût du travail.

On en parlait la semaine dernière, à propos de la Chine, l’automatisation a de nombreuses vertus, elle améliore la productivité mais elle rend plus difficile les changements rapides de gammes de production.
En créant des usines dans les ex-pays de l’Est, les Allemands ont trouvé des pays avec des traditions et un environnement favorable, une population éduquée, une tradition industrielle, un enseignement professionnel de qualité que le communisme n’avait pas détruit. Et, bien sûr, une main d’œuvre bien meilleur marché et ceci à quelques heures de route de ses grands centres de production. Il ne faut pas plus de 5 heures de transport par la route pour aller de Prague au cœur de l’Allemagne. Ce n’est pas plus loin que Paris de Lyon.

Les industriels qui se sont installés en nombre dans ces pays de l’Est, sont allés chercher des salaires plus faibles mais aussi une plus grande flexibilité. Flexibilité dans la production comme je le disais à l’instant avec des usines moins automatisées, mais aussi flexibilité salariale. Il est bien plus facile de faire varier, à la hausse ou à la baisse, le coût du travail dans ces pays qu’en Allemagne ou en France. Parce qu’il est plus facile de licencier le personnel quand la charge de travail diminue, mais aussi parce que la structure des salaires s’y prête qui associe un fixe et des primes ou des bonus dont le montant varie en fonction de l’activité. Si celle-ci diminue, la masse salariale suit…

Ces investissements dans les ex pays socialistes sont en train de modifier profondément la géographie économique de l’Europe. Il ne s’agit pas en effet de délocalisations éphémères comme celles que pratiquent les industriels à la recherche de coûts salariaux toujours plus faibles, comme Nike qui quitte un pays lorsqu’il trouve mieux ailleurs, il ne s’agit pas non plus de délocalisations pour conquérir un marché, comme lorsque Carrefour s’installe en Chine pour vendre aux consommateurs chinois, il s’agit vraiment de la constitution d’une immense zone industrielle à l’est de l’Europe. Les Allemands sont là pour rester. En témoignent leurs investissements en R&D dans ces pays qui vont leur apporter dans la durée ce qui risque de rapidement leur manquer en Allemagne : une main d’œuvre abondante et motivée (Kampik, Dachs, The Innovative Performance of German Multinationals Abroad). 

Un modèle allemand ?
On connaît les problèmes démographiques de l’Allemagne. Ce n’est pas la seule difficulté qui menace à moyen terme l’économie allemande. Il en est une autre directement liée à ces mesures prises par Gerhard Schröder dont on nous vante aujourd’hui les mérites de ce coté ci du Rhin : le désengagement des salariés allemands. Un récent sondage de Gallup, l’institut américain, révélait que 13% seulement des Allemands étaient engagés dans leur travail. 20% de la population est activement désengagée et le reste n’est ni l’un ni l’autre. Cela se traduit par un absentéisme élevé que Gallup a évalué à 247€ par salarié, et probablement par une diminution de la productivité et une dégradation de la qualité. D’autres études soulignent les effets pervers des mii-jobs introduits par Schröder qui éloignent du marché du travail des gens qui se contentent de ce salaire d’appoint plutôt que de chercher un emploi.
S’il convient de regarder ce qui se passe en Allemagne, s’il est pertinent de s’en inspirer ce n’est pas forcément en allant chercher du coté de mesures dont la principale vertu aux yeux de ceux qui nous les proposent est d’apporter de l’eau au moulin du Medef. Le montant des salaires et des cotisations sociales sont une réalité incontournables. Et si l’Allemagne nous donne un exemple, c’est bien lorsqu’elle nous montre que l’on peut rester compétitif avec un coût du travail élevé pour peu que l’on construise une économie et une offre industrielle adaptées. C’est ce à quoi devraient s’attacher nos prochains gouvernements.